lundi, 29 février 2016
Islam et esclavage
Si l’on ignore tout des pratiques économiques et sociales de la préhistoire (et qu’il est peu probable que l’on en connaisse jamais grand-chose), l’on sait que toutes les sociétés antiques connues ont été fondées sur l’esclavage des prisonniers de guerre et des peuples soumis par droit de conquête ainsi que sur la servitude des débiteurs insolvables. C’était notamment le cas des Arabes et des Juifs de la Péninsule arabique quand Mahomet vint au monde, l’an vers 570, à La Mecque (Watt, 1958).
S’il faut en croire le Coran, Mahomet a beaucoup admiré Moïse et Jésus de Nazareth. Hélas, il a adopté la tradition esclavagiste moïsaïque, en la remodelant, et s’est détourné du commandement d’amour général du Christ.
Si le Deutéronome fait des peuples vaincus les esclaves naturels du peuple hébreu, le Lévitique ordonne de libérer les esclaves juifs (pour dettes) lors de l’année sabbatique, tandis qu’il n’est pas prévu de libérer les esclaves razziés lors d’une guerre.
Pour les esclaves « frères de race » (les Juifs), les choses se sont aggravées dans la seconde moitié du 1er siècle avant Jésus-Christ, quand Hillel l’ancien, le « bon pharisien », a proposé la clause du prosbul (ou prosbol : à l’époque d’Hillel, on ne notait pas les voyelles dans les écrits rédigés en hébreu ou en araméen, chacun est donc libre d’écrire ce mot à sa guise). Selon cette clause, lors de l’année sabbatique (soit, tous les sept ans), les biens prêtés et les esclaves qui avaient accepté cette clause, du fait de l’ampleur de leur dette ou de leur incurable stupidité, passaient sous l’administration du Sanhédrin de Judée (ou du tribunal juif provincial pour les Juifs de la diaspora), puis étaient rendus, l’année suivante, à leur propriétaire.
Mahomet a été formel : aucun musulman, aucun Croyant en Allah, ne peut être l’esclave d’un autre musulman (ce qui réalise un progrès par rapport à la religion juive), mais pour les autres (prisonniers de guerre non exterminés après une victoire, individus capturés lors d’un rezzou, famille d’un apostat ou d’un homme qui a combattu l’islam), il n’est pas prévu d’affranchissement, tout au plus une rançon, s’il s’agit d’un riche chevalier (sourate 47).
Par ses sourates 2, 6, 16, 24, 29, 30, 31, 33, 47, le Coran légalise l’esclavage (Chebel, 2007, non exhaustif). Il est précisé, in sourates 6 et 33, que l’esclave féminine doit satisfaire toutes les exigences de son maître. Toutefois, les relations homosexuelles sont absolument prohibées, ce qui n’empêche nullement qu’elles n’aient été fort pratiquées par les maîtres et les gardes-chiourmes sur les Européens des bagnes du Maghreb (Davis, 2003) et de Turquie.
Il est important de noter qu’en terres d’islam (le Dâr al-Islam), les dhimmis, en pratique dépourvus de droits civiques, pressurés d’impôts et soumis à de multiples vexations, ne sont pas des esclaves, mais des individus simplement « inférieurs » (Fattal, 1958).
L’esclavage des VII-XIXe siècles conservera les deux caractéristiques initiales, la juive et la musulmane, enrichie d’un apport de très mauvais chrétiens (coptes, monophysites éthiopiens, catholiques et réformés de toutes les variétés à l’exception des quakers).
Il a existé, en Afrique ou en provenance de ce continent, trois courants esclavagistes. Les bons auteurs n’insistent guère que sur la Traite négrière vers les Amériques, ce qui est une façon fort réductrice de considérer le phénomène, à la fois dans les dates et dans les effectifs.
A – La Traite vers les Amériques
C’est la seule qui soit connue des auteurs consensuels. L’on y trouve, parmi les trafiquants, des Juifs et des chrétiens, mais aussi des musulmans.
Les estimations des Noirs razziés par des « rois nègres » et vendus à des négociants musulmans, juifs ou plus rarement chrétiens établis sur les côtes d’Afrique occidentale varient entre 10 et 12 millions. En fait, les deux estimations chiffrées recouvrent des réalités différentes.
Environ 10 millions d’esclaves sont arrivés d’Afrique dans les trois Amériques (Antilles, colonies anglaises d’Amérique du Nord puis USA, colonies néerlandaises, espagnoles et portugaises d’Amérique du Sud), mais il en était parti d’Afrique environ 12 millions entre le milieu du XVe siècle et le début du XIXe (Folhen, 1998 ; Eltis, 2008).
L’énorme mortalité de la traite transatlantique, évoquée par les Lumières françaises du XVIIIe siècle, a été amplement confirmée par les études modernes. Entre mutineries, naufrages et destructions de navires lors des guerres opposant divers États européens, on évalue la mortalité au sixième des captifs (Eltis, 2008). On ne peut en faire porter la responsabilité que sur les organisateurs chrétiens et juifs, le rôle des vendeurs musulmans s’arrêtant aux côtes d’Afrique occidentale.
Le « commerce triangulaire » est effectivement européen. Les vaisseaux partent de Bristol et de Liverpool (c’est le port prédominant de la traite au XVIIIe siècle, in Petré-Grenouilleau, 2004), de Rotterdam, de Bordeaux (où la famille juive Gradis domine la traite au dernier siècle de l’Ancien Régime), accessoirement de Copenhague, de Nantes et de La Rochelle. Ces navires sont chargés de tissus et d’articles de pacotille destinés à satisfaire, moins les vendeurs arabes qui exigent du numéraire, que les Noirs razziant des Africains.
Repartis, avec soutes et entrepont bondés d’esclaves, ils affrontent l’Atlantique pour atterrir aux Antilles ou à Newport (Rhode Island) où la famille juive Lopez domine, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la vente des esclaves destinés aux plantations de l’Est de l’Amérique du Nord (l’esclavage est interdit au Canada français), ou encore dans les ports de Curaçao ou du Brésil : Isaac da Costa, juif portugais, et sa famille dominent le trafic d’Amérique du Sud (Raphael, 1983).
En ce XVIIIe siècle, six millions d’Africains arrivent dans les Amériques (dont 42 % sont transportés par des Anglais, 28 % par des Portugais, 18 % par des Français, 12 % par des néerlandais et des Danois, in Daget, 1990).
Mais, il ne faut pas oublier la réduction en esclavage des Amérindiens, à l’initiative d’un gouverneur français de Saint-Domingue en 1503 (Daget, 1990), largement imité par les gouverneurs des colonies espagnoles et portugaises, en dépit des initiatives des Jésuites pour éviter cette ignominie. De même, il serait malhonnête de ne pas signaler qu’en 1746, après leur victoire de Culloden, les Anglais ont vendu des milliers d’Écossais des Highlands, comme esclaves, aux Bahamas et à la Barbade (Henninger, 2010).
Ce trafic de chair humaine commence très tôt à révolter certaines consciences. Dès la fin du XVIIe siècle, les quakers de Grande-Bretagne et d’Amérique du Nord ont vainement tenté d’apitoyer leurs concitoyens. En fait, les premières condamnations sont venues de l’Église catholique. Si un mauvais pape, Nicolas V (Tommaso Parentucelli), ignorant probablement tout des écrits de saint Justin, père de l’Église, et répudiant la doctrine de charité du Christ, a autorisé en 1454 les rois du Portugal à déporter des Africains pour leur colonie brésilienne (en échange de leur baptême systématique), d’autres pontifes ont condamné l’esclavage, sans aucune ambiguïté (in Sévillia, 2003) : Paul III (en 1537), Pie V (en 1568), Urbain VIII (en 1639), Benoît XIV (en 1741).
Vers 1750, les Lumières de France prennent le relais : Montesquieu, Diderot, Jean-Jacques Rousseau, Louis de Jaucourt, suivis des prêtres Guillaume Raynal et Henri Grégoire, à la fin du siècle. Leur combat n’aboutira qu’à une tentative mort-née d’abolition de l’esclavage, durant le règne de la Convention Nationale.
B – La Traite d’Afrique noire vers le Maghreb et la piraterie barbaresque
Qu’elle soit transsaharienne ou méditerranéenne, cette traite, exclusivement musulmane celle-là, porta sur 9 à 10 millions d’humains, des Africains, mais aussi des Européens (Austen, 1987 ; Davis, 2004).
Entre 8 et 8,5 millions de Noirs ont été razziés dans les bassins du Tchad et du Niger, puis exportés à pied, enchaînés, à-travers le Sahara, vers les cités du Maghreb, avec une mortalité d’environ 1,5 million d’êtres humains lors des transferts, entre les VIIe et XIXe siècles (Austen, 1987 ; Petré-Grenouilleau, 2004), alors que l’esclavage avait disparu du Maghreb christianisé avant l’invasion musulmane.
Entre 1,2 et 1,3 million d’Européens (des hommes, pour 90 % d’entre eux) ont été réduits en esclavage, entre 1530 et 1830 (Davis, 2004). Ils étaient soit les victimes de raids de vaillants guerriers musulmans sur les cités et les villages non ou mal défendus des zones côtières d’Ibérie, de Provence, de Sicile et d’Italie méridionale, soit des navigateurs dont les navires de pêche ou de commerce avaient été attaqués par des « pirates barbaresques » du Maroc et d’Algérie, ces derniers n’ayant été neutralisés que grâce à l’intervention militaire française de 1830. Les Arabes d’Alger et d’Oran exportaient des esclaves « roumis » vers le Soudan (Mali, de nos jours).
Jusqu’à présent, aucune repentance ne s’est manifestée, à ce propos, du côté de Salé ou de Rabat, ou en provenance d’Oran ou d’Alger. Cela ne saurait tarder, de la part d’individus qui se sentent très concernés par ce concept… à moins que, comme on l’a constaté pour le racisme ou les génocides, la repentance ne soit une notion à géométrie variable.
C – La Traite d’Afrique orientale
Elle fut à la fois juive, copte, monophysite éthiopienne et majoritairement musulmane, pour les trafiquants, quasi-exclusivement musulmane pour les acheteurs. Elle a porté sur environ 8 millions d’humains, avec une mortalité en cours de transport d’environ 100 000 Noirs (Petré-Grenouilleau, 2004).
Les bassins de rapt étaient la Nubie (ou Soudan égyptien), l’Éthiopie et les royaumes de Somalie, la région des grands lacs d’Afrique centrale. Les captures étaient organisées par des roitelets noirs ou le négus éthiopien. Les négociants étaient des musulmans de Khartoum, de Mogadiscio et de Zanzibar, qui dispersaient leurs prises vers les Comores et les Mascareignes, vers la Péninsule arabique, vers l’Égypte (où ils étaient revendus par des musulmans, des Juifs et des coptes), vers le littoral libyen, ainsi que vers le Pakistan, l’Insulinde et la Malaisie.
Des Juifs installés en Égypte assuraient la fourniture en esclaves de la Perse, où ces trafiquants étaient appelés Rhadanites (Heers, 2003).
Musulmans et Juifs, d’Alger et du Caire, n’hésitaient pas à châtrer des esclaves pour en faire des gardiens de harem ou des prostitués mâles (Heers, 2003), en dépit des interdits coraniques sur l’homosexualité.
Si l’on additionne les deux dernières traites, en très grande partie musulmanes pour trafiquants et acheteurs – des traites si rarement citées par les auteurs bien-pensants –, l’on arrive à un chiffre approximatif de 16 à 17 millions d’êtres humains victimes de rapt à des fins d’esclavage : c’est nettement plus que le total de la Traite des Noirs vers les Amériques.
*
* *
C’est d’Europe qu’est venue la campagne pour l’abolition de l’esclavage et ce sont les Européens qui l’ont interdit partout où ils ont dominé : en terres musulmanes aussi bien qu’en Éthiopie, où la victoire italienne de 1936 fut suivie de la fin de l’esclavage (les derniers négus n’avaient interdit que l’esclavage des Éthiopiens, mais ils poursuivaient la politique de razzia des Noirs étrangers à leur empire et l’exportation, fort rémunératrice, de ces esclaves en terres d’islam).
Après un premier essai en février 1794, les gouvernants français n’ont interdit la pratique de l’esclavage dans les possessions coloniales qu’en 1848. Mais il est bon de rappeler que le Code Noir de 1685 affranchissait au moins en principe tout esclave dès qu’il mettait le pied sur le territoire métropolitain. Les Britanniques avaient interdit la traite dès 1807, puis abolirent l’esclavage dans leurs colonies par un vote du Parlement en 1833, la date d’application étant fixée au 1er janvier 1835.
Abraham Lincoln en fit autant, à la date du 1er janvier 1863, en pleine guerre de Sécession. L’application de ce décret présidentiel attendit la fin du conflit, soit l’année 1865. Au Brésil, l’esclavage ne fut aboli qu’en 1888 (Petré-Grenouilleau, 2004).
En terres d’islam, l’esclavage disparut rapidement avec la colonisation par l’homme blanc. Toutefois, il fallut attendre 1922 pour l’obtenir au Maroc, simple protectorat français, alors que le sultan-calife de l’Empire ottoman l’avait aboli en 1876.
En Arabie saoudite, où les Wahhabites avaient chassé, de 1926 à 1932, les chérifs de La Mecque, l’esclavage fut très florissant dès les années 1920 ; la pratique n’en fut officiellement abolie qu’en 1968.
L’esclavage a repris en Mauritanie après la décolonisation française et ne fut déclaré hors la loi qu’en 1980, mais il fallut renouveler l’avis à la fin de la décennie 1990, et l’on considérait qu’au début du XXIe siècle, il existait encore environ 100 000 esclaves dans ce pays (Delacampagne, 2002).
En 2003, un rapport présenté devant l’Organisation des Nations Unies (un organisme dont l’efficacité n’échappe à personne) faisait état d’environ 20 millions d’esclaves adultes et de dix à quinze fois plus d’enfants esclaves (Petré-Grenouilleau, 2004). Aucune mesure ne fut prise contre les États esclavagistes de fait, dont les représentants nièrent tous la réalité du phénomène et hurlèrent leur parfaite bonne foi, s’indignant d’une accusation « colonialiste ».
De nos jours (Chebel, 2007), il semble que l’esclavage soit florissant au Pakistan oriental (Bengladesh), en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes, ainsi que dans les États du Sahel où le prosélytisme et le terrorisme islamistes progressent d’année en année, pour la plus grande gloire d’Allah, le Tout-puissant et le miséricordieux.
Si le Deutéronome fait des peuples vaincus les esclaves naturels du peuple hébreu, le Lévitique ordonne de libérer les esclaves juifs (pour dettes) lors de l’année sabbatique, tandis qu’il n’est pas prévu de libérer les esclaves razziés lors d’une guerre.
Pour les esclaves « frères de race » (les Juifs), les choses se sont aggravées dans la seconde moitié du 1er siècle avant Jésus-Christ, quand Hillel l’ancien, le « bon pharisien », a proposé la clause du prosbul (ou prosbol : à l’époque d’Hillel, on ne notait pas les voyelles dans les écrits rédigés en hébreu ou en araméen, chacun est donc libre d’écrire ce mot à sa guise). Selon cette clause, lors de l’année sabbatique (soit, tous les sept ans), les biens prêtés et les esclaves qui avaient accepté cette clause, du fait de l’ampleur de leur dette ou de leur incurable stupidité, passaient sous l’administration du Sanhédrin de Judée (ou du tribunal juif provincial pour les Juifs de la diaspora), puis étaient rendus, l’année suivante, à leur propriétaire.
Mahomet a été formel : aucun musulman, aucun Croyant en Allah, ne peut être l’esclave d’un autre musulman (ce qui réalise un progrès par rapport à la religion juive), mais pour les autres (prisonniers de guerre non exterminés après une victoire, individus capturés lors d’un rezzou, famille d’un apostat ou d’un homme qui a combattu l’islam), il n’est pas prévu d’affranchissement, tout au plus une rançon, s’il s’agit d’un riche chevalier (sourate 47).
Par ses sourates 2, 6, 16, 24, 29, 30, 31, 33, 47, le Coran légalise l’esclavage (Chebel, 2007, non exhaustif). Il est précisé, in sourates 6 et 33, que l’esclave féminine doit satisfaire toutes les exigences de son maître. Toutefois, les relations homosexuelles sont absolument prohibées, ce qui n’empêche nullement qu’elles n’aient été fort pratiquées par les maîtres et les gardes-chiourmes sur les Européens des bagnes du Maghreb (Davis, 2003) et de Turquie.
Il est important de noter qu’en terres d’islam (le Dâr al-Islam), les dhimmis, en pratique dépourvus de droits civiques, pressurés d’impôts et soumis à de multiples vexations, ne sont pas des esclaves, mais des individus simplement « inférieurs » (Fattal, 1958).
L’esclavage des VII-XIXe siècles conservera les deux caractéristiques initiales, la juive et la musulmane, enrichie d’un apport de très mauvais chrétiens (coptes, monophysites éthiopiens, catholiques et réformés de toutes les variétés à l’exception des quakers).
Il a existé, en Afrique ou en provenance de ce continent, trois courants esclavagistes. Les bons auteurs n’insistent guère que sur la Traite négrière vers les Amériques, ce qui est une façon fort réductrice de considérer le phénomène, à la fois dans les dates et dans les effectifs.
A – La Traite vers les Amériques
C’est la seule qui soit connue des auteurs consensuels. L’on y trouve, parmi les trafiquants, des Juifs et des chrétiens, mais aussi des musulmans.
Les estimations des Noirs razziés par des « rois nègres » et vendus à des négociants musulmans, juifs ou plus rarement chrétiens établis sur les côtes d’Afrique occidentale varient entre 10 et 12 millions. En fait, les deux estimations chiffrées recouvrent des réalités différentes.
Environ 10 millions d’esclaves sont arrivés d’Afrique dans les trois Amériques (Antilles, colonies anglaises d’Amérique du Nord puis USA, colonies néerlandaises, espagnoles et portugaises d’Amérique du Sud), mais il en était parti d’Afrique environ 12 millions entre le milieu du XVe siècle et le début du XIXe (Folhen, 1998 ; Eltis, 2008).
L’énorme mortalité de la traite transatlantique, évoquée par les Lumières françaises du XVIIIe siècle, a été amplement confirmée par les études modernes. Entre mutineries, naufrages et destructions de navires lors des guerres opposant divers États européens, on évalue la mortalité au sixième des captifs (Eltis, 2008). On ne peut en faire porter la responsabilité que sur les organisateurs chrétiens et juifs, le rôle des vendeurs musulmans s’arrêtant aux côtes d’Afrique occidentale.
Le « commerce triangulaire » est effectivement européen. Les vaisseaux partent de Bristol et de Liverpool (c’est le port prédominant de la traite au XVIIIe siècle, in Petré-Grenouilleau, 2004), de Rotterdam, de Bordeaux (où la famille juive Gradis domine la traite au dernier siècle de l’Ancien Régime), accessoirement de Copenhague, de Nantes et de La Rochelle. Ces navires sont chargés de tissus et d’articles de pacotille destinés à satisfaire, moins les vendeurs arabes qui exigent du numéraire, que les Noirs razziant des Africains.
Repartis, avec soutes et entrepont bondés d’esclaves, ils affrontent l’Atlantique pour atterrir aux Antilles ou à Newport (Rhode Island) où la famille juive Lopez domine, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la vente des esclaves destinés aux plantations de l’Est de l’Amérique du Nord (l’esclavage est interdit au Canada français), ou encore dans les ports de Curaçao ou du Brésil : Isaac da Costa, juif portugais, et sa famille dominent le trafic d’Amérique du Sud (Raphael, 1983).
En ce XVIIIe siècle, six millions d’Africains arrivent dans les Amériques (dont 42 % sont transportés par des Anglais, 28 % par des Portugais, 18 % par des Français, 12 % par des néerlandais et des Danois, in Daget, 1990).
Mais, il ne faut pas oublier la réduction en esclavage des Amérindiens, à l’initiative d’un gouverneur français de Saint-Domingue en 1503 (Daget, 1990), largement imité par les gouverneurs des colonies espagnoles et portugaises, en dépit des initiatives des Jésuites pour éviter cette ignominie. De même, il serait malhonnête de ne pas signaler qu’en 1746, après leur victoire de Culloden, les Anglais ont vendu des milliers d’Écossais des Highlands, comme esclaves, aux Bahamas et à la Barbade (Henninger, 2010).
Ce trafic de chair humaine commence très tôt à révolter certaines consciences. Dès la fin du XVIIe siècle, les quakers de Grande-Bretagne et d’Amérique du Nord ont vainement tenté d’apitoyer leurs concitoyens. En fait, les premières condamnations sont venues de l’Église catholique. Si un mauvais pape, Nicolas V (Tommaso Parentucelli), ignorant probablement tout des écrits de saint Justin, père de l’Église, et répudiant la doctrine de charité du Christ, a autorisé en 1454 les rois du Portugal à déporter des Africains pour leur colonie brésilienne (en échange de leur baptême systématique), d’autres pontifes ont condamné l’esclavage, sans aucune ambiguïté (in Sévillia, 2003) : Paul III (en 1537), Pie V (en 1568), Urbain VIII (en 1639), Benoît XIV (en 1741).
Vers 1750, les Lumières de France prennent le relais : Montesquieu, Diderot, Jean-Jacques Rousseau, Louis de Jaucourt, suivis des prêtres Guillaume Raynal et Henri Grégoire, à la fin du siècle. Leur combat n’aboutira qu’à une tentative mort-née d’abolition de l’esclavage, durant le règne de la Convention Nationale.
B – La Traite d’Afrique noire vers le Maghreb et la piraterie barbaresque
Qu’elle soit transsaharienne ou méditerranéenne, cette traite, exclusivement musulmane celle-là, porta sur 9 à 10 millions d’humains, des Africains, mais aussi des Européens (Austen, 1987 ; Davis, 2004).
Entre 8 et 8,5 millions de Noirs ont été razziés dans les bassins du Tchad et du Niger, puis exportés à pied, enchaînés, à-travers le Sahara, vers les cités du Maghreb, avec une mortalité d’environ 1,5 million d’êtres humains lors des transferts, entre les VIIe et XIXe siècles (Austen, 1987 ; Petré-Grenouilleau, 2004), alors que l’esclavage avait disparu du Maghreb christianisé avant l’invasion musulmane.
Entre 1,2 et 1,3 million d’Européens (des hommes, pour 90 % d’entre eux) ont été réduits en esclavage, entre 1530 et 1830 (Davis, 2004). Ils étaient soit les victimes de raids de vaillants guerriers musulmans sur les cités et les villages non ou mal défendus des zones côtières d’Ibérie, de Provence, de Sicile et d’Italie méridionale, soit des navigateurs dont les navires de pêche ou de commerce avaient été attaqués par des « pirates barbaresques » du Maroc et d’Algérie, ces derniers n’ayant été neutralisés que grâce à l’intervention militaire française de 1830. Les Arabes d’Alger et d’Oran exportaient des esclaves « roumis » vers le Soudan (Mali, de nos jours).
Jusqu’à présent, aucune repentance ne s’est manifestée, à ce propos, du côté de Salé ou de Rabat, ou en provenance d’Oran ou d’Alger. Cela ne saurait tarder, de la part d’individus qui se sentent très concernés par ce concept… à moins que, comme on l’a constaté pour le racisme ou les génocides, la repentance ne soit une notion à géométrie variable.
C – La Traite d’Afrique orientale
Elle fut à la fois juive, copte, monophysite éthiopienne et majoritairement musulmane, pour les trafiquants, quasi-exclusivement musulmane pour les acheteurs. Elle a porté sur environ 8 millions d’humains, avec une mortalité en cours de transport d’environ 100 000 Noirs (Petré-Grenouilleau, 2004).
Les bassins de rapt étaient la Nubie (ou Soudan égyptien), l’Éthiopie et les royaumes de Somalie, la région des grands lacs d’Afrique centrale. Les captures étaient organisées par des roitelets noirs ou le négus éthiopien. Les négociants étaient des musulmans de Khartoum, de Mogadiscio et de Zanzibar, qui dispersaient leurs prises vers les Comores et les Mascareignes, vers la Péninsule arabique, vers l’Égypte (où ils étaient revendus par des musulmans, des Juifs et des coptes), vers le littoral libyen, ainsi que vers le Pakistan, l’Insulinde et la Malaisie.
Des Juifs installés en Égypte assuraient la fourniture en esclaves de la Perse, où ces trafiquants étaient appelés Rhadanites (Heers, 2003).
Musulmans et Juifs, d’Alger et du Caire, n’hésitaient pas à châtrer des esclaves pour en faire des gardiens de harem ou des prostitués mâles (Heers, 2003), en dépit des interdits coraniques sur l’homosexualité.
Si l’on additionne les deux dernières traites, en très grande partie musulmanes pour trafiquants et acheteurs – des traites si rarement citées par les auteurs bien-pensants –, l’on arrive à un chiffre approximatif de 16 à 17 millions d’êtres humains victimes de rapt à des fins d’esclavage : c’est nettement plus que le total de la Traite des Noirs vers les Amériques.
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C’est d’Europe qu’est venue la campagne pour l’abolition de l’esclavage et ce sont les Européens qui l’ont interdit partout où ils ont dominé : en terres musulmanes aussi bien qu’en Éthiopie, où la victoire italienne de 1936 fut suivie de la fin de l’esclavage (les derniers négus n’avaient interdit que l’esclavage des Éthiopiens, mais ils poursuivaient la politique de razzia des Noirs étrangers à leur empire et l’exportation, fort rémunératrice, de ces esclaves en terres d’islam).
Après un premier essai en février 1794, les gouvernants français n’ont interdit la pratique de l’esclavage dans les possessions coloniales qu’en 1848. Mais il est bon de rappeler que le Code Noir de 1685 affranchissait au moins en principe tout esclave dès qu’il mettait le pied sur le territoire métropolitain. Les Britanniques avaient interdit la traite dès 1807, puis abolirent l’esclavage dans leurs colonies par un vote du Parlement en 1833, la date d’application étant fixée au 1er janvier 1835.
Abraham Lincoln en fit autant, à la date du 1er janvier 1863, en pleine guerre de Sécession. L’application de ce décret présidentiel attendit la fin du conflit, soit l’année 1865. Au Brésil, l’esclavage ne fut aboli qu’en 1888 (Petré-Grenouilleau, 2004).
En terres d’islam, l’esclavage disparut rapidement avec la colonisation par l’homme blanc. Toutefois, il fallut attendre 1922 pour l’obtenir au Maroc, simple protectorat français, alors que le sultan-calife de l’Empire ottoman l’avait aboli en 1876.
En Arabie saoudite, où les Wahhabites avaient chassé, de 1926 à 1932, les chérifs de La Mecque, l’esclavage fut très florissant dès les années 1920 ; la pratique n’en fut officiellement abolie qu’en 1968.
L’esclavage a repris en Mauritanie après la décolonisation française et ne fut déclaré hors la loi qu’en 1980, mais il fallut renouveler l’avis à la fin de la décennie 1990, et l’on considérait qu’au début du XXIe siècle, il existait encore environ 100 000 esclaves dans ce pays (Delacampagne, 2002).
En 2003, un rapport présenté devant l’Organisation des Nations Unies (un organisme dont l’efficacité n’échappe à personne) faisait état d’environ 20 millions d’esclaves adultes et de dix à quinze fois plus d’enfants esclaves (Petré-Grenouilleau, 2004). Aucune mesure ne fut prise contre les États esclavagistes de fait, dont les représentants nièrent tous la réalité du phénomène et hurlèrent leur parfaite bonne foi, s’indignant d’une accusation « colonialiste ».
De nos jours (Chebel, 2007), il semble que l’esclavage soit florissant au Pakistan oriental (Bengladesh), en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes, ainsi que dans les États du Sahel où le prosélytisme et le terrorisme islamistes progressent d’année en année, pour la plus grande gloire d’Allah, le Tout-puissant et le miséricordieux.
* R. Austen : African economic history, Currey, Londres, 1987
* M. Chebel : L’esclavage en terre d’islam. Un tabou bien gardé, Fayard, 2007
* S. Daget : La Traite des Noirs, Éditions Ouest-France, Rennes, 1990
* R. C. Davis : Christian slaves, muslim masters. White slavery in the Mediterranean, the Barbary coast and Italy, 1500-1800, McMillan, New York, 2003 (en réalité la traite des esclaves européens se poursuit jusqu’en 1830 en Algérie et jusqu’au milieu du XIXe siècle au Sahel)
* C. Delacampagne : Histoire de l’esclavage. De l’Antiquité à nos jours, Librairie Générale de France, 2002
* D. Eltis : The trans-atlantic slave trade database, Emory University, 2008 (en libre lecture sur le Net)
* A. Fattal : Le statut légal des non-musulmans en pays d’Islam, Institut Catholique de Beyrouth, 1958 (consultable dans les facultés catholiques de France et de Belgique)
* C. Folhen : Histoire de l’esclavage aux États-Unis, Perrin, 2007
* J. Heers : Les négriers en terre d’Islam, Perrin, 2003
* L. Henninger : Révolution militaire et naissance de la modernité, Krisis, N° 34, juin 2010, p. 58-75
* O. Petré-Grenouilleau : Les traites négrières, essai d’histoire globale, Gallimard, 2004
* M. L. Raphael : Jews and judaism in the United States. A documentary history, Behrman, New York, 1983
* J. Sévillia : Historiquement correct. Pour en finir avec le passé unique, Perrin, 2003
* W. M. Watt : Mahomet à La Mecque, Payot, 1958
* M. Chebel : L’esclavage en terre d’islam. Un tabou bien gardé, Fayard, 2007
* S. Daget : La Traite des Noirs, Éditions Ouest-France, Rennes, 1990
* R. C. Davis : Christian slaves, muslim masters. White slavery in the Mediterranean, the Barbary coast and Italy, 1500-1800, McMillan, New York, 2003 (en réalité la traite des esclaves européens se poursuit jusqu’en 1830 en Algérie et jusqu’au milieu du XIXe siècle au Sahel)
* C. Delacampagne : Histoire de l’esclavage. De l’Antiquité à nos jours, Librairie Générale de France, 2002
* D. Eltis : The trans-atlantic slave trade database, Emory University, 2008 (en libre lecture sur le Net)
* A. Fattal : Le statut légal des non-musulmans en pays d’Islam, Institut Catholique de Beyrouth, 1958 (consultable dans les facultés catholiques de France et de Belgique)
* C. Folhen : Histoire de l’esclavage aux États-Unis, Perrin, 2007
* J. Heers : Les négriers en terre d’Islam, Perrin, 2003
* L. Henninger : Révolution militaire et naissance de la modernité, Krisis, N° 34, juin 2010, p. 58-75
* O. Petré-Grenouilleau : Les traites négrières, essai d’histoire globale, Gallimard, 2004
* M. L. Raphael : Jews and judaism in the United States. A documentary history, Behrman, New York, 1983
* J. Sévillia : Historiquement correct. Pour en finir avec le passé unique, Perrin, 2003
* W. M. Watt : Mahomet à La Mecque, Payot, 1958
Docteur Bernard Plouvier
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