mercredi, 02 mars 2016
Les finances de l’Etat islamique
L’Etat Islamique est-il riche ? Oui pour l’instant. Mais l’ère de l’opulence semble toutefois révolue et certaines difficultés commencent à apparaître dans le califat autoproclamé (et provisoire) de Syrie.
Le pillage des banques
Lors de la proclamation de l’Etat Islamique, les caisses de l’organisation sont pleines. Les sources sont multiples : d’abord la prise de nombreuses villes de Syrie et surtout d’Irak, s’est soldée par la main mise de Daesh sur les réserves bancaires abandonnées par l’administration en fuite. Le cas le plus spectaculaire est celui de Mossoul, la ville chrétienne, où d’importantes quantités d’argent ont été laissées dans les coffres. Les islamistes n’ont eu qu’à se servir. Le cas s’est répété à de nombreuses reprises et les réserves en liquide ont été soigneusement acheminées vers Raqqa, la nouvelle capitale.
Ces sommes servent notamment à payer les combattants et à faire vivre leurs familles quand celles-ci les ont rejoints. Notons à ce sujet, que Daesh a profité de ces excédents monétaires pour augmenter les soldes et attirer ainsi de nouveaux combattants au détriment des milices islamistes rivales. La foi n’empêche pas les affaires..
A ces pillages, s’ajoutent les trafics.
Il y en principalement de deux sortes : les objets d’art et le pétrole.
L’Etat Islamique n’a pas attendu de prendre Palmyre, la perle du désert, pour commencer à piller les vestiges païens, chrétiens, assyriens, mésopotamiens, et autres. Sous couvert de destruction d’un passé antérieur à Mahomet, et qui ne saurait donc exister, de nombreux objets et vestiges transportables ont en réalité été vendus à des trafiquants avant d’abonder le marché mondial des antiquités, peu scrupuleux par nature. C’est bien évidemment par la funeste Turquie que ce trafic opérait et opère toujours.
La prise de Palmyre
La conquête de Palmyre, de ce point de vue, constitue la plus belle prise artistique de Daesh. On peut au passage s’interroger sur la passivité de la coalition à ce sujet. Comment une colonne de plusieurs centaines de véhicules blindés ou armés a-t-elle pu traverser le désert impunément, sans qu’aucun bombardement ne vienne freiner sa progression ? L’occasion était pourtant belle. Est-ce parce que le site était toujours aux mains des troupes de Bachar à ce moment-là et qu’il ne fallait pas donner l’impression de l’aider ? On n’ose le penser, et pourtant… Seule l’Amérique a la réponse, mais comme c’est déjà elle qui avait organisé le pillage du musée de Bagdad sous l’ère Bush, on sait que tout est possible.
Palmyre est donc démantelée petit à petit dans l’indifférence générale et cela rapporte gros à l’Etat islamique. Il n’y a que peu d’illusions à se faire sur l’issue finale : ce qu’il ne pourra emporter sera un jour détruit et la plus belle colonnade romaine du monde n’existera plus.
L’autre source de revenus vient bien évidemment du pétrole. Plusieurs puits ont été conquis, et des milliers de camions partaient de Turquie pour, tranquillement, faire la queue devant les raffineries et revendre le pétrole en Turquie. Des proches d’Erdogan se sont ouvertement enrichis en touchant leur part sur ce commerce peu banal. Certains journalistes turcs croupissent en prison pour avoir évoqué ce dernier point…
Enfin, il y a l’impôt local, dans les zones contrôlées par l’EI. Les entreprises et les commerçants payent tribut pour avoir le droit de continuer à exercer leur activité. Comme on peut s’en douter le recouvrement ne se faisant pas vraiment sous forme amiable, il y a donc peu de resquilleurs..
Mais cette mécanique bien huilée commence à connaître des ratés.
Depuis quelques mois, L’EI a reculé, perdant des puits de pétrole au profit des Kurdes notamment. De plus , l’effondrement des cours se fait durement sentir, surtout pour un produit déjà vendu au tiers de son prix de marché.
Les mannes se tarissent
Et puis la coalition s’est enfin décidée à bombarder une partie des raffineries aux mains de l’EI. Il était temps et , là aussi, on peut se demander pourquoi avoir attendu l’intervention russe pour agir. Une année a été perdue et autant de gagnée pour Daesh. L’exemple russe a en tout cas certainement joué dans la décision, la passivité étant dorénavant un peu plus voyante.
La Turquie a, elle aussi, fait preuve d’un peu moins de complaisance. Pas par hostilité bien sûr, mais les pressions internationales finissaient par embarrasser Erdogan. Surtout, cela faisait mauvais genre au moment où le régime turc soutire des sommes considérables à l’Europe en lui faisant croire qu’il va juguler les départs des migrants vers l’Europe.
Les réserves restent importantes bien sûr et il semble aussi que des dons arrivent du monde entier, empruntant des circuits financiers complexes. Il est toutefois assez difficile d’avoir des certitudes à ce sujet.
Ce qui est sûr, c’est que les « impôts » augmentent dans les zones occupées et que la redistribution au profit des populations les plus pauvres, qui avait contribué à une certaine popularité de l’EI au début de son existence, diminue.
Ce n’est pas encore le chant du cygne, loin de là, mais tout de même, le vent tourne. Pour la suite, tout dépendra des discussions entre les deux supers-grands, puisque super-grands il y a à nouveau. La volonté russe sera primordiale : Poutine a, pour l’instant sauvé le régime, mais n’a pas rempli un de ses buts de guerre : anéantir les islamistes caucasiens qu’il ne veut à aucun prix voir revenir en Russie. Les prochains mois seront décisifs.
Antoine de Lacoste
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