samedi, 05 mars 2016
La veritable histoire de la mosquée pirate de Gennevilliers
Il a fallu l'état d'urgence pour fermer cette salle de prière installée dans les entrepôts portuaires. Enquête sur un lieu de culte qui, pendant des années, a concentré les dérives d'un extrémisme musulman que les autorités locales ne voulaient pas voir...
C'est l'histoire d'une petite mosquée des Hauts-de-Seine, dissimulée entre cuves de pétrole et entrepôts, sur le port de Gennevilliers. Une salle de prière musulmane ne ressemblant à rien, faite de bric et de broc, à l'image de celles qui ont prospéré dans les banlieues durant des décennies. Une de ces mosquées pirates comme la France en a vu pousser des dizaines, favorisant sans le vouloir ce que les spécialistes ont appelé l'islam des caves, propice à toutes les dérives radicales.
Le tout dans un local squatté au nez et à la barbe du département et des autorités du port autonome, copropriétaires des murs, et avec la bénédiction de l'Etat qui fermait les yeux plutôt que d'affronter le problème. Jusqu'au jour où l'état d'urgence, décrété après les massacres du 13 novembre dernier, a précipité une descente de police. La fermeture qui a suivi était dès lors prévisible à partir du moment où le nouveau préfet, Yann Jounot, s'était mis en tête de mettre un peu d'ordre autour des tapis de prière...
Depuis combien d'années la petite mosquée prospérait-elle plus ou moins discrètement derrière ces murs ? Depuis combien de temps ses animateurs développaient-ils leurs activités aux marges de la République, dans ces préfabriqués occupés sans droit ni titre, pour le plus grand bonheur d'une poignée de prédicateurs ? L'inauguration d'une belle et grande mosquée, en règle celle-là, sur la commune de Gennevilliers, en 2009, aurait dû entraîner la fermeture de ce lieu pirate. C'était du moins l'ambition de la municipalité, communiste, qui avait contribué à faire sortir de terre ce nouvel et digne établissement. C'était aussi le marché passé avec la communauté musulmane.
Sauf qu'une poignée d'irréductibles ont décidé de s'enraciner, probablement parce qu'ils ne partageaient pas complètement la ligne « officielle » de la grande mosquée, sans doute aussi à cause de l'enjeu financier que représente une salle de prière, les fidèles étant généralement volontiers généreux lors de la prière du vendredi. Une association, El Houda, s'est donc montée et le flot des fidèles n'a cessé de gonfler, d'autant que la fermeture d'une mosquée estampillée « salafiste » à Epinay-sur-Seine, en novembre 2010, avait rabattu vers le port près de 300 fidèles supplémentaires, rejoints par quelques centaines d'autres un peu plus tard, venus cette fois d'Argenteuil...
Le vendredi, le nombre de véhicules stationnés en double file à proximité de la salle rendait difficile le passage des camions se rendant dans la zone industrielle voisine, au point que la police passait régulièrement verbaliser à tour de bras. Les services de renseignements ont à plusieurs reprises alerté les autorités administratives, sous le quinquennat précédent, sur les risques d'emprise salafiste, mais rien ne bougeait. Comme si ce point de fixation arrangeait, si ce n'est le ministère de l'Intérieur lui-même, qui pouvait facilement surveiller ce petit monde, au moins les responsables de la mosquée « officielle » de la ville, débarrassés des fidèles les plus remuants.
UN IMAM "DUR"
C'est ainsi que, ces derniers temps, les animateurs d'El Houda avaient été contraints de repousser les murs et de monter, à l'arrache, plusieurs tentes dans l'arrière-cour. Avec plus de 700 fidèles recensés les grands jours, débordant parfois dans la rue, il fallait bien ça. Le tout était placé sous la houlette d'un imam considéré comme un « dur », du moins par rapport à celui qui prêchait dans la grande mosquée, dont les frères Kouachi, auteur du raid mortel contre les locaux de Charlie Hebdo, avait déploré la « mollesse ». Un vieil homme d'origine algérienne, suffisamment adroit pour ne pas franchir certaines limites, ce qui aurait pu mettre en péril son titre de séjour.
La proximité de sites industriels classés « Seveso » a poussé les policiers de la direction du renseignement de la Préfecture de police à tirer plusieurs fois la sonnette d'alarme, mais les hautes autorités politiques et administratives du département y sont longtemps restées insensibles...
Les attentats de janvier 2015 modifient cependant la perception du préfet du département, qui évoque le sujet avec le maire de Gennevilliers et sonde Patrick Devedjian, patron UMP des Hauts-de-Seine, directement concerné puisque les locaux appartiennent en partie au conseil départemental. Tous approuvent une démarche consistant finalement à faire simplement appliquer la loi, une opération précipitée par l'état d'urgence, qui accorde aux préfets des pouvoirs spéciaux.
Le 17 novembre 2015, la police fait irruption dans les locaux de la mosquée du port, perquisition réalisée avec précaution dans la mesure où les fonctionnaires prennent la peine de retirer leurs chaussures, conformément aux usages.
Les éléments découverts ne relèvent guère des services antiterroristes, ils sont juste dans le droit-fil de cette saga : un pseudo-gardien en situation irrégulière, près de 4 000 € en espèces découverts dans le bureau de l'imam, sans doute le produit de la zakat (l'aumône) du vendredi, un scooter appartenant à un homme probablement en fuite, des sabres japonais, des couteaux et des poignards saisis dans une caravane à l'abandon, plus un fusil à air comprimé, sans oublier un garage sauvage installé dans l'arrière-cour, un atelier où l'on repeignait les voitures au black pour le compte d'on ne sait quelle caisse.
Une fermeture est aussi prononcée, geste autant politique que symbolique que les responsables de l'association ne manquent pas de contester fermement devant le tribunal administratif, tandis que le président, Rafik Raka, un Algérien d'une cinquantaine d'années, officiellement employé par la mairie de Gennevilliers comme gardien de stade, explique tant bien que mal le fonctionnement de sa mosquée. Elu à la tête de l'association depuis un peu plus d'un an après la destitution de son prédécesseur, accusé de « ne pas prendre le temps d'écouter les membres de la communauté », il n'ignore rien de la situation de l'immeuble. Il assure même avoir consulté un avocat pour tenter de s'arranger avec l'administration.
El Houda ne touchait aucune aide publique, seuls les dons des fidèles permettaient de faire tourner la boutique, en particulier les cours de soutien scolaire, de langue arabe et de culture islamique dispensés aux plus petits par des bénévoles, explique-t-il. La collecte moyenne oscillait entre 300 et 500 € chaque vendredi, 700 € les bons jours, le compte en banque de l'association abritant autour de 30 000 €. Quant à l'imam, le président assure ne le connaître que par son prénom, Mustapha, même s'il exerçait depuis plus de dix-huit ans dans ces murs, tout en se défendant de toute dérive radicale : « Sincèrement, je peux vous dire que cette association est très difficile à gérer. Il y avait des tensions entre les fidèles, il fallait que je rétablisse l'ordre, je voulais de l'apaisement au sein de la communauté. »
L'imam, un homme de 70 ans, se rend à son tour au commissariat, où il se présente aux policiers comme un pacificateur plutôt que comme un barbu, arrivé en France en 1990 pour exercer sa profession dans la région parisienne. Il certifie avoir œuvré pour tenir à la porte de la mosquée ces fidèles « qui venaient imposer leurs certitudes alors qu'ils n'avaient aucune connaissance coranique » et voulaient officier à sa place.
A plusieurs reprises, confie-t-il, « des gens » ont essayé de prendre le contrôle de la mosquée, mais il ne les a pas « laissés aller jusqu'au bout de leur manœuvre ». L'association est pauvre, à l'entendre, tout juste si elle a les moyens de régler la facture d'électricité, lui-même est endetté et la sandwicherie de Bois-Colombes dans laquelle il avait investi a fait faillite... Et cet argent trouvé dans son bureau ? Il avait peur des gestes de sa femme, instable au point d'être capable de déchirer un jour des billets ou son propre passeport. Bienvenue dans l'islam de France !
Frédéric Ploquin
13:01 | Lien permanent | Commentaires (0)
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