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mercredi, 09 mars 2016

Migrants : «La clef de la crise est en Syrie»

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Pour Henri Labayle, les négociations entre Bruxelles et la Turquie ne serviront à rien. Une part de la crise actuelle prend ses racines dans l'incapacité européenne et notamment française de participer à un règlement diplomatique de la guerre en Syrie.

LE FIGARO. - S'est tenu ce lundi à Bruxelles un sommet extraordinaire entre l'Union européenne et la Turquie (en présence du premier ministre turc Davutoglu). L'objectif: fermer sous peu la route des Balkans qu'empruntent les migrants. la balle est désormais dans le camp de la Turquie. Que peut-on en attendre?

Henri LABAYLE. - «Fermer la route des Balkans» est une formule un peu hâtive, car elle concerne aussi d'autres Etats que ceux de l'Union, à commencer par la Serbie et la Macédoine. On peut craindre qu'une fois encore les Etats de l'Union prennent ici leurs désirs pour une réalité. A ce jour, ni la Commission ni Angela Merkel ne partagent le vocabulaire d'un président du Conseil européen qui, dans cette crise, a souvent oublié qu'il représentait l'Union et non pas son pays d'origine.

Le coeur de la crise est en Syrie, et pour partie en Turquie. Tant que les causes de cet exil, la guerre, persisteront, il y a tout lieu de penser que la pression demeurera. Ne serait-ce que parce que les milliers de kilomètres de frontières de l'Union ne leur permettent pas d'être étanches. D'autres fronts se ré-ouvriront alors, à commencer par celui de la Méditerranée et de Lampedusa avec le retour de conditions climatiques moins dures. Les passeurs savent faire cela, parfaitement.

Sur le fond, il faut faire la part des choses. D'abord en ayant à l'esprit le poids du contexte politique sur les travaux actuels du Conseil européen, notamment avec la proximité d'élections locales en Allemagne et nationales en Autriche qui conduisent au durcissement de certaines postures. Ensuite, en mesurant le double jeu pour ne pas dire la duplicité de la Turquie qui alimente et entend bénéficier diplomatiquement et financièrement de cette crise. Depuis novembre 2015, un «plan d'action» Union européenne/Turquie est censé réguler les choses, en vain. Enfin, et seulement enfin, la dimension strictement européenne intervient. Celle-ci demeure inchangée: nous sommes liés, individuellement et collectivement, par des obligations nationales et internationales qui nous interdisent de renvoyer des femmes et des enfants vers la mort ou la torture. Le reste n'est que littérature surtout si l'on s'interroge sur les «valeurs» du régime turc actuel auquel on demande de nous décharger du fardeau.

Le commissaire européen aux affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos a réaffirmé dans Le Figaro que l'UE refuserait désormais l'accueil de migrants «économiques». Cette déclaration sera-t-elle suivie d'effets?

Il aurait mieux fait de rappeler que cette interdiction existe d'ores et déjà aujourd'hui, que la migration «légale» vers l'Union est largement fermée. C'est davantage du détournement des protections de l'asile par des migrants économiques qu'il convient de parler, d'où l'absolue nécessité de procédures de «tri» permettant de faire la distinction entre les deux, au fur et à mesure que l'immigration irrégulière se dissimule derrière les réfugiés.

30 000 migrants sont bloqués en Grèce en raison de la fermeture des frontières des pays d'Europe centrale. Le Premier ministre grec Alexis Tsipras a qualifié dimanche d'«urgence absolue» le transfert de milliers de migrants vers d'autres pays de l'UE. Ce transfert est-il envisageable?

Sauf à vouloir transformer rapidement la Grèce en gigantesque camp de réfugiés, comme la Palestine l'est devenue, ce transfert est indispensable, au moins par principe. D'abord parce que la Grèce n'a aucune raison d'accepter la situation actuelle: ce n'est pas chez elle que ces réfugiés veulent aller, c'est en Europe occidentale. Ensuite parce que l'on ne peut être efficace dans le renvoi des «illégaux» qu'en aménageant un minimum de procédures légales pour ceux qui ont le droit à une protection, aussi restrictives qu'elles soient.

Enfin parce qu'il faut être objectif face à la réalité chiffrée: que l'on ne prétende pas que 506 millions d'habitants de l'Union ne peuvent trouver une place pour 160 000 réfugiés!!! Quand la Turquie en abrite plus de 2 millions, le Liban et la Jordanie des centaines de milliers?

Regardons les choses telles qu'elles sont et non comme nous imaginons qu'elles le sont: il y a aujourd'hui dans l'Union à peu près 4 % d'étrangers ordinaires, non citoyens d'un Etat membre (environ 20 millions de personnes). A titre d'exemple, ils sont 21 % au Canada, 13 % aux Etats Unis, 9 % en Russie et 30 % en Israël. L'argument du «seuil de tolérance» appelle donc un peu de modération.

Que la Pologne trouve parfaitement normal d'avoir près de 750 000 des siens installés au Royaume Uni tout en refusant d'accueillir 6 000 réfugiés pose un problème de principe. N'est-elle pas entrée en toute connaissance de cause dans l'Union avec l'objectif légitime de bénéficier de cet espace ouvert?

L'OTAN - à laquelle la Turquie vient de refuser l'accès à ses eaux territoriales - jouera-t-elle un rôle dans la résolution de la crise migratoire? Lequel?

Pour l'essentiel, et en apparence, de surveillance et de renseignement au profit des autorités turques. Avec la même ambiguïté pour ce qui est de l'accueil des réfugiés en mer et du respect du droit de la mer et des conventions humanitaires.

Huit pays signataires de la convention de Schengen ont réinstallé des contrôles aux frontières. Simple modalité légale permise par Schengen ou début de sa dislocation?

Les raisons en sont trop diverses, du terrorisme à la dislocation du camp de Calais ou à la crise migratoire, pour recevoir une seule réponse. En l'état, le fait d'avoir laissé les Etats gérer leurs frontières extérieures souverainement, sans contrôles et sanctions européennes réelles en cas de défaillance est la principale cause des difficultés. Prétendre rétablir ces contrôles nationaux en tournant le dos à Schengen est une aimable plaisanterie destinée aux gogos, à la veille des élections. Quand vos frontières sont une agglomération, ou quasiment, comme à la frontière franco-belge, qui peut prétendre que l'on est capable de maîtriser les centaines de points de passage possible??? Les autorités belges sans doute et le Front national certainement.

Manuel Valls avait critiqué à Munich la politique migratoire allemande, jugée trop laxiste. Bernard Cazeneuve réaffirme hier matin dans Libérationle travail mené en commun par la France et l'Allemagne sur ce dossier. La politique de la France est-elle lisible?

L'absence de pilotage du dossier par les autorités françaises est, à proprement parler, calamiteuse, même s'il faut distinguer sa gestion politique de son traitement technique. On croirait du Marivaux dans le texte, une frontière nationale doit-elle être ouverte ou fermée? Ouverte, à entendre M. Caseneuve s'adresser à son homologue belge et M. Macron menacer de cette ouverture les autorités britanniques en cas de Brexit, en s'attirant ainsi les foudres du premier nommé … Fermée, bien sûr, si l'on en croit les leçons administrées par le Premier ministre à Angela Merkel sur le territoire allemand, avec un art consommé de la diplomatie. Entrouverte, alors, selon la synthèse toute présidentielle de François Hollande qui confirme les 30 000 réfugiés relocalisés en deux ans mais pas plus!!! Au rythme de cette relocalisation, à peu près 300 accueils réalisés depuis septembre, une cinquantaine d'années nous permettront d'être en règle avec une décision que nous avons adoptée et, paraît-il, inspirée …

L'auto-satisfaction ministérielle quant à l'ambition de ses réformes législatives reçoit, pour sa part, une réponse des réfugiés eux-mêmes: ils ne demandent pas l'asile en France. Dans la crise générale, entre 2014 et 2015, la demande d'asile française est l'une de celles qui a le moins augmenté (20 %) dans une Europe déstabilisée (+ 123 %). A comparer avec les + 178 % en Belgique ou + 800 % en Finlande …

L'ironie n'y suffit pas. Une part de la crise actuelle prend ses racines dans l'incapacité européenne et notamment française de participer à un règlement diplomatique de la guerre en Syrie, source principale des malheurs actuels.

Pire, loin d'être l'inspiratrice de la solution de la relocalisation qu'elle prétend, et comment le serait-elle à entendre le premier ministre, la France s'est au contraire dérobée dans la négociation. Mettre son poids dans la balance aux côtés d'Angela Merkel aurait permis au couple franco-allemand d'équilibrer la charge d'un dossier dont la clé demeure à Damas et Ankara, répétons-le. Elle ne l'a pas fait. La France n'est plus en Europe ce qu'elle était, par sa faute.

Henri Labayle est professeur agrégé des facultés de droit françaises, en poste à la faculté de Bayonne, à l'université de Pau. Il dirige le CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en matière de droits fondamentaux, d'immigration et de sécurité intérieure. Il est également membre du réseau Odysseus et directeur du GDR «Droit de l'espace de liberté, sécurité, justice».

Eléonore de Vulpillières

Source : Le Figaro

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