Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 25 mars 2016

A Bitterfeld, avant-poste du populisme allemand

Après son succès électoral du 13 mars, le parti AFD tente de se structurer, et pourrait déstabiliser la droite aux législatives de 2017.

6742461_303,00.jpg

Place du marché, à Bitterfeld. Gerhard prend le soleil avec deux voisins. Les trois retraités sont inquiets : «Regardez, les commerces ferment les uns après les autres, les jeunes s’en vont. Qu’est-ce qu’on va devenir ?» Capitale du charbon et de la chimie du temps de la RDA, la région de Bitterfeld est aujourd’hui sinistrée. Le taux de chômage dépasse les 10 %. Les jeunes qualifiés sont tous partis chercher du travail dans l’ouest du pays. Ne sont restés que les retraités et ceux qui ont quitté le système scolaire sans diplôme.

A Bitterfeld, petite ville de Saxe-Anhalt située à une heure au sud deBerlin, l’AFD a réalisé son meilleur score aux élections régionales du 13 mars : 31,2 % des électeurs ont donné leur voix au petit parti populiste qui a centré sa campagne sur la lutte contre les réfugiés. Dans les rues avoisinantes, les affiches électorales sont encore en place : «Sécuriser les frontières. Mettre fin au chaos de l’asile politique». Ou simplement «Ça suffit !» Parti protestataire créé en 2013, l’AFD traverse une phase de turbulences, à l’approche d’un congrès décisif pour son avenir, fin avril. Son enracinement dans le paysage politique rend plus difficile la formation de majorités stables.

Retour sur la place du marché. Melanie, une corpulente mère de famille au chômage, mange un kebab au soleil pendant que son fils dort dans sa poussette. Melanie et Gerhard ne font pas mystère de leur vote : «J’ai voté pour l’AFD parce que ça ne peut plus durer, peste la jeune femme. Les réfugiés ont plus de droits que nous, les Allemands ! Ils reçoivent de l’argent, un logement, et nous, on n’a rien !»

Melanie vit avec son fils dans un deux-pièces de la périphérie. L’immeuble, sans charme, édifié du temps du communisme, est confortable. Mais depuis que le propriétaire a rénové la façade, le loyer a augmenté et Melanie n’est pas sûre de pouvoir continuer à payer, malgré l’allocation à laquelle elle a droit du fait de son statut «Hartz IV» de chômeuse de longue durée. «La Merkel, elle doit comprendre que les gens n’en peuvent plus. Et qu’on ne veut pas de tous ces réfugiés. Ici, on a peur.»

En 2011, Melanie faisait partie du camp des abstentionnistes. «Pourquoi je dois m’intéresser à un Nègre qui mendie devant ma porte ? Il n’avait qu’à rester chez lui !» siffle Gerhard. Lui avait voté en 2011 pour les néocommunistes de Die Linke, dont il approuve le programme social, mais dont il rejette violemment le soutien aux réfugiés.

Hétérogène

Le chef de l’AFD en Saxe-Anhalt, André Poggenburg, a axé sa campagne sur un «quota zéro» pour les réfugiés. Le thème est si porteur dans la région qu’un scandale de factures impayées dans l’entreprise de pièces détachées automobiles du candidat, révélé en début d’année, n’a en rien affecté sa popularité. Il sera à la tête d’un groupe parlementaire des plus hétérogènes. On y trouve Andreas Mrozek, un ancien du Parti populaire libéral allemand (FDVP), une formation d’extrême droite éphémère créée dans la région en 2002. Siégera aussi pour l’AFD Hans-Thomas Tillschneider, professeur en islamologie de l’université de Bayreuth, supporteur déclaré du mouvement xénophobe anti-islam Pegida et du sulfureux Björn Höcke, le patron du parti dans le Land voisin de Thuringe. Höcke - l’une des pointures nationales de l’AFD - est l’auteur de dérapages verbaux, comme lorsqu’il compare «la stratégie de reproduction des Européens à celle des Africains».

A Magdebourg, le groupe parlementaire AFD comptera également Jens Diederichs, qui affirmait récemment dans une interview au Mitteldeutsche Zeitung qu’il serait «prêt à tirer sur les réfugiés tentant de franchir la frontière si la situation l’exigeait».Ou encore Robert Farle, un ancien de Die Linke assurant : «L’Allemagne doit rester l’Allemagne. Je ne veux pas être gouverné dans trente ans par les Américains ou un gouvernement islamiste.» Pour le politologue Carsten Koschmieder, de l’Université libre de Berlin, «si on prend en compte la personnalité et le parcours de certains cadres du parti, le discours tenu et les caractéristiques de l’électorat, alors on peut clairement dire que l’AFD est un parti d’extrême droite, même si, en Allemagne, aucun parti ne veut se revendiquer de l’extrême droite».

En Saxe-Anhalt, les frustrations des habitants ont mené 24 candidats de l’AFD sur les bancs du parlement régional. Avec la Saxe-Anhalt, le Bade-Wurtemberg et la Rhénanie-Palatinat où l’AFD a réussi sa percée, le parti est désormais représenté dans huit des seize Länder du pays. Les premiers succès électoraux remontent à 2014, lors des régionales en Thuringe, en Saxe, dans le Brandebourg (tous trois en ex-RDA), à Hambourg et à Brême. Dans ces cinq Parlements, l’AFD semble s’être concertée pour multiplier les actions d’obstruction et déposer des motions et des questions au gouvernement régional qui ralentissent le travail parlementaire. «L’AFD est aussi très forte pour lancer des propositions populistes sans préciser comment elles seront financées», ajoute un député vert du Parlement régional de Saxe. Comme la prime de 5 000 euros réclamée par le parti à la naissance d’un enfant.

Turbulences

En dix-huit mois de travail parlementaire, l’AFD s’est surtout illustrée par ses querelles internes. Trois députés du groupe ont claqué la porte en Thuringe, en conflit avec Björn Höcke. Un quatrième a quitté le bateau à Hambourg, trois autres à Brême et un dernier dans le Brandebourg. Manifestement, cette jeune formation en est toujours à la crise d’adolescence, traversée de courants contraires, voire ennemis. D’autant que l’autorité de la patronne du parti, Frauke Petry, est loin d’être assise. Un des enjeux du conflit porte sur la participation au pouvoir - question pour l’instant théorique, puisqu’aucun des partis représentés au Bundestag n’est prêt à s’allier avec l’AFD. Frauke Petry serait favorable à la constitution d’alliances. L’aile radicale y est farouchement opposée.

Mais avec l’ancrage de l’AFD dans la vie politique, la formation de majorités stables risque de se compliquer. Dans le passé, il suffisait à la CDU (chrétiens-démocrates, droite) ou au SPD (sociaux-démocrates, gauche) de s’allier aux libéraux du FDP ou aux Verts pour former un gouvernement. Depuis l’apparition du parti de la gauche radicale Die Linke en 2005 (avec qui le SPD refuse de gouverner), ce jeu d’alliances est devenu compliqué. Il pourrait l’être davantage avec l’AFD.

L’essentiel se jouera dans les semaines à venir, lors du congrès du parti à Stuttgart les 30 avril et 1er mai, au cours duquel doit être - enfin - adopté son programme électoral. Dans cette perspective, les élections du 13 mars ont rebattu les cartes. L’aile dure, représentée par Björn Höcke et André Poggenburg, est sortie renforcée. Höcke et Poggenburg avaient rédigé en mars 2015 la «Résolution d’Erfurt», un texte signé par 1 800 membres du parti, le définissant comme un «mouvement de protestation contre la liquéfaction de la souveraineté et de l’identité allemandes». Tous deux soutiennent ouvertement Pegida.

L’aile libérale, plus modérée, est incarnée par la tête de liste de l’AFD dans le Bade-Wurtemberg (sud-ouest), Jörg Meuthen, et elle sort aussi renforcée du scrutin de mars, avec 15,1 % des voix dans le Land. Entre ces deux tendances, Frauke Petry aura le plus grand mal à s’imposer, d’autant que son style de management individualiste est critiqué en interne.

Une fois traversée cette période de turbulences, l’AFD pourrait s’installer dans la durée et franchir la barre des 5 % aux législatives de 2017. «Le parti est en train de devenir la version allemande du FPÖ autrichien, estime le quotidien Tagesspiegel, un mouvement de protestation, critique envers l’Union européenne, anti-islam et populiste à la fois.» En clair, le cauchemar de la CDU-CSU, qui avait pour devise de ne jamais laisser de place sur sa droite à un nouveau parti.

Nathalie Versieux Envoyée spéciale à Bitterfeld

Source : Libération

 

 

Les commentaires sont fermés.