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dimanche, 27 mars 2016

"A Molenbeek, le discours de Daech s'infiltre à petites doses"

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Propos recueillis par Patricia Neves

Sa famille a longtemps habité Molenbeek, cette commune de Bruxelles où ont grandi certains des principaux auteurs des attentats de Paris. Observateur du conflit syrien (pro-Assad) notamment pour la télévision publique belge (RTBF), auteur de "Syriana, la conquête continue", Bahar Kimyongur revient pour "Marianne" sur la communautarisation galopante de ce repère populaire de la capitale belge.

Marianne : Votre famille a longtemps habité Molenbeek, cette commune de Bruxelles où ont grandi certains des principaux terroristes des attentats de Paris. Pouvez-nous nous décrire le quartier ?

Bahar Kimyongur : La commune se partage entre le "bas" Molenbeek (Ribaucourt, Etang noir…) et le "haut". Les habitants sont pour la plupart issus de l'immigration marocaine. Le bas, (où vit encore la famille Abdeslam, et où le père d’Abdelhamid Abbaoud tenait un magasin, ndlr) est traversé par la Chaussée de Gand, une chaussée commerçante. On y trouve beaucoup de magasins alimentaires, de magasins de vêtements, (des vêtements de cérémonie, pour les mariages notamment), mais aussi beaucoup de magasins avec les codes vestimentaires religieux. Il y a aussi plein d’organisations caritatives, d’associations de jeunes, de librairies islamiques, etc. Le tout nourrit une ambiance très puritaine. Il est de plus en plus rare de voir des gens non musulmans, à part quelques groupes d’immigrés d’Europe de l’Est, des roumains, des polonais etc. C’est donc un quartier de moins en moins ouvert à l’altérité et où la propagande religieuse, très diluée, se retrouve dans des discussions banales qui font penser aux discours de Daech mais à petites doses.

Qu’est ce qui a changé depuis l’arrivée de la première vague de travailleurs immigrés ?

Bahar Kimyongur : Ce qui a changé c’est l’engouement qu’il y a pour la religion, il y a une religiosité, mais pas la religiosité qu’on a connue dans les années 70. A l’époque, les immigrés étaient des travailleurs organisés avec d’autres immigrés, ils avaient l’habitude de côtoyer des Italiens, des Espagnols, etc. Maintenant on a affaire à des guettos où la spiritualité, l’islam culturel, ouvert, bien plus tolérant et périphérique, si je puis dire, dans la vie quotidienne, a quasi disparu. Il y a une véritable surenchère fétichiste. On affirme de plus en plus son code vestimentaire par exemple.

De quel oeil les habitants voient-ils la situation actuelle ?

Bahar Kimyongur : J’ai tendu l’oreille à une discussion l’autre jour. Il y en a qui trouvent que c’est la faute à Israël. Il y en a qui parlent de complot. Il y a encore et toujours ce déni de réalité. Il y a aussi beaucoup de musulmans qui me disent, ici dans le quartier, "je regrette l’islam de mes grands parents." C’est une phrase qui revient souvent dans les conversations avec les musulmans libéraux, la quarantaine. C’est une phrase que j’ai entendue plein de fois à Molenbeek prononcée par ceux qui ont peur du discours religieux et qui aimeraient pouvoir déménager. Les musulmans fuient les musulmans pour avoir plus de liberté.

Un quart des jeunes originaires de Bruxelles partis en Syrie (197 selon le décompte officiel) est originaire de la commune de Molenbeek. Comment cela se traduit-il au quotidien ?

Bahar Kimyongur : Si tu viens à Molenbeek et que tu demandes "connaissez vous quelqu’un qui est en Syrie ?", tu tomberas d’office sur quelqu’un qui te dira oui. Tout le monde connaît quelqu’un. Mais il y a comme une sorte d’omerta. On n’en parle pas. Le plus effrayant c’est que les familles vivent avec. Toutes les familles quasiment sont touchées, de près ou de loin… Certaines disent : "on n’est pas d’accord mais que peut-on faire, on ne peut pas abandonner notre fils ou notre fille". D'autres envoient même de l’argent à leur enfant en Syrie via la Turquie. Il y a plusieurs femmes, belges notamment, qui étaient à Raqqa - elles ont peut-être bougé à cause des bombardements - qui ont reçu, pour au moins deux d'entres elles, de l'argent de leur famille ici. Et ce ne sont vraiment pas des cas isolés.

Comment se fait le recrutement, le départ de ces jeunes ?

Bahar Kimyongur : Il y a différents types de recrutement. Il y a des recrutements ponctuels dans un chicha bar, dans la rue, parfois ça va tellement vite, qu'il suffit de deux ou trois discussions pour que le jeune soit parti. Ce jeune reçoit alors des consignes pour ne pas attirer l’attention, des indications sur les lieux à fréquenter ou ne pas fréquenter, sur les habits à porter ou ne pas porter… Le pôle de recrutement n’est par conséquent pas forcément la mosquée, d’ailleurs ça l’est de moins en moins parce que les mosquées sont davantage contrôlées. Et puis il y a internet. Ces jeunes sont hyper connectés, il suffit à quelqu’un de vouloir partir sur un coup de tête, à l’arrivée il y aura toujours une personne pour l’accueillir, une personne qui connaît la piste permettant de franchir la frontière turco-syrienne. Cette hyper connexion est inquiétante, cela signifie que Daech continue de recruter à distance. En même temps, plus on creuse plus on voit que ceux qui partent sont à chaque fois des personnes qui se connaissent. Ces jeunes partent souvent par groupe et sont de plus en plus dans une logique de clandestinité...

Source : Marianne

 

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