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dimanche, 27 mars 2016

Insondable mystère des frères El Bakraoui

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Comprendre, le Premier ministre a raison, ce n’est pas excuser.

Quand une société, à force de mauvaise conscience, finit par excuser ce qui l’a frappée et continuera à le faire, elle est gravement malade et consent à son effacement.

Mais comprendre, c’est autre chose.

Non pas le terrorisme en général, sa géopolitique, sa stratégie, ses ambitions de pouvoir et de domination.

Mais les ressorts profonds, les motivations intimes de ces assassins, Khalid et Ibrahim El Bakraoui, le premier s’étant fait exploser dans l’aéroport de Zaventem et le deuxième à la station de métro Maelbeek, le dernier, Najim Laachraoui, l’artificier, étant le second kamikaze de l’aéroport (Le Monde).

On voit les deux frères sur une vidéo marchant côte à côte, la main gauche seulement gantée probablement sur le détonateur, et leur complice au même niveau mais un peu éloigné d’eux.

Encore une fois, dans ce trio, deux frères. Comme s’il fallait que l’un affermisse sa résolution grâce à la présence de l’autre ou que dans le dialogue la fraternité ait été le lien fondamental pour se jeter dans l’entreprise meurtrière et suicidaire.

Au moment où ils marchent, ils savent qu’ils vont mourir, kamikazes, en déclenchant le détonateur et que dans le même mouvement qui les effacera, ils obtiendront gain de cause, le succès atroce qu’ils escomptent : des innocents tués, des incroyants massacrés.

Mais quel est ce stimulant si puissant qui leur fait prendre leur destruction comme le moyen glorieux de leur victoire, pour une étape nécessaire et admirable avant l’apothéose espérée du désastre autour d’eux ?

Les El Bakraoui étaient connus des services de police pour grand banditisme. Rien qui, dans leur personnalité, les rendait donc aptes au sacrifice suprême, à la désertion délibérée de l’existence, de ses facilités et de ses tentations.

Certes, l’islam, Daech, la justification de la mort causée et propagée par la bonne conscience de l’œuvre pie. Un changement radical d’existence. Du fanatisme, de la haine, l’abandon des transgressions ordinaires pour des extrémités inouïes de malfaisance et d’amoralité sous le couvert d’une pureté névrotique et de la détestation de toutes les joies : par exemple, je ne parviens pas à oublier la décapitation de cet adolescent de 15 ans surpris à écouter du rock !

Mais, pour ces frères, accepter de gaîté de corps et d’esprit, en même temps, de se pulvériser au nom d’une religion à la conception dévoyée relève d’un saut que notre attachement à la vie, même quand il s’agit de défendre les plus nobles causes, ne parvient pas à appréhender ! Donner sens à sa vie par la mort ! Quel étrange ballet où, malgré le rêve sur les béatitudes et les mille vierges, le culte du néant côtoie l’ignominie la plus nue.

Il y a là quelque chose qui dépasse de très loin la curiosité qui m’habitait quand je cherchais à me rendre lisibles le plus lucidement possible les crimes épouvantables contre lesquels j’ai dû requérir en ma qualité d’avocat général.

Avec les deux frères, on est dans un autre registre qui nous saisit d’effroi et d’horreur. Mon dieu, être capables de faire ça, de tellement tuer et de se tuer sans frémir en même temps, quel insondable mystère !

On pourrait répliquer que mes questions sont vaines et que c’est bon débarras.

Il me semble, cependant, que la lumière sur cette interrogation est essentielle. En tout cas, elle fait partie de la solution qui, un jour, nous permettra de réduire à son plus bas niveau le terrorisme parce qu’on aura compris comment il naît et se développe dans les têtes

 

Extrait de : Pourquoi leur mort contre tant d’autres ?

Philippe Bilger

 

 

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