Historique: le nombre de travailleurs étrangers au Japon franchira la barre du million d'individus cette année, a calculé le gouvernement. Depuis 2009 cette population a crû de 49%. Une poussée exponentielle, visible surtout dans le grand Tokyo, où est concentrée 30% de la main d'œuvre étrangère: il suffit de pousser les portes d'un konbini, une des épiceries de proximité qui quadrillent le pays, pour se retrouver devant des caissiers généralement chinois. Serait-ce le signe d'une tolérance nouvelle du Japon à l'immigration? Pas encore. A tous égards, l'Archipel demeure extraordinairement strict et circonspect sur la question. Le Premier ministre ne manque jamais une occasion de rappeler que la troisième économie du monde n'a pas de politique d'immigration, à la grande joie de l'opinion publique et des syndicats nippons, qui n'ont jamais été bercés par l'"Internationale" quand on leur parlait d'ouvriers étrangers. Même si le nombre des étrangers augmente, il est au même niveau qu'en 2008, avant le terrible choc Lehman et la catastrophe de Fukushima, qui ont provoqué énormément de retours aux pays.
Les critères d'obtention de visas professionnels demeurent drastiques.
« Le problème d’accepter des étrangers est qu’ils risquent d’acquérir la nationalité japonaise. Nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation de la France », déclare crûment Akira Morita, directeur général de l’institut national de la population IPSS avant d’opposer des arguments définitifs à une ouverture du pays « le Japon n’est de toute façon pas attirant pour les travailleurs immigrés. Ils peuvent aller partout sur la planète, où ils seront mieux payés qu’au Japon. Et leur propre pays leur offrira bientôt le même salaire que le nôtre ».
Seuls les milieux patronaux se prononcent prudemment en faveur d’une politique d’immigration. Car eux connaissent leurs comptes de résultats. « Il n’y a pas d’alternative: le Japon doit utiliser davantage la main-d’œuvre étrangère », martèle Hiromichi Shirakawa, économiste en chef de Crédit Suisse. Pour répondre à la pénurie actuelle de main-d'œuvre le gouvernement doit soit augmenter la taille de la population active, soit encourager la mobilité professionnelle, rappelle-t-il. Mais aucune de ces options n’est satisfaisante: sur les quatre millions de personnes qui pourraient rejoindre la population active, seul 1,2 million (en majorité des femmes de 45 à 64 ans) pourraient travailler. Quant à la mobilité professionnelle, elle demeure bloquée par un régime du licenciement très strict. « Les seules personnes professionnellement mobiles sont celles qui ont pris leur retraite », résume l'économiste. « À ma grande surprise les bureaucrates du ministère du Travail commencent à parler d’une politique d’immigration. Mais ils sont terrorisés à l’idée d’évoquer le sujet ouvertement. Car s’ils le font, les médias leur tomberont dessus à bras raccourcis », explique le grand démographe japonais Naohiro Ogawa.
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