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vendredi, 22 avril 2016

Les chiffres de l’immigration, mode d’emploi

La question du nombre de personnes d’origine étrangère résidant en France alimente tous les fantasmes. L’absence de statistiques ethniques rendrait, dit-on, impossible leur décompte. Pourtant, on dispose de données de source publique, Insee et INED, qui permettent une évaluation assez fiable. Cette note tente de clarifier les concepts et d’actualiser les études disponibles.

Immigrés ou étrangers ? Une statistique ambiguë
 
Les notions d’immigré et d’étranger se recoupent sans se superposer. Un immigré n’est pas nécessairement étranger. Un étranger n’est pas toujours immigré ; d’où la difficulté à s’entendre sur les chiffres et leur interprétation. Rappelons la définition adoptée par le Haut Conseil à l'Intégration : "… un immigré est une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France. Les personnes nées françaises à l'étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. À l'inverse, certains immigrés ont pu devenir français, les autres restant étrangers. […] La qualité d'immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s'il devient français par acquisition".

Ainsi les rapatriés d’Algérie ne sont pas considérés comme immigrés. Mais Manuel Valls, Mme Vallaud-Belkacem, nés étrangers hors de France, le sont, tandis que le terroriste du Musée juif de Bruxelles, né à Roubaix, ne l’est pas. On voit que cette notion d’immigré recouvre des réalités sociologiques très diverses.

Le nombre des immigrés présents sur le sol français augmente du fait de nouvelles arrivées et diminue par départ spontané ou par décès. Elle était de l’ordre de 125 000 par an sur les quinze dernières années. Les immigrés représentaient 8,9 % de la population totale en 2014 (soit 5,9 millions de personnes).

Moins discutable en apparence est la répartition, sans double compte, de l’ensemble des résidents, consistant à distinguer les Français de naissance, les Français par acquisition et les étrangers. Grosso modo, le partage entre la première catégorie et les deux autres est de 88/12 en 2014. Ce ratio n’était que de 96/4 au début du XXe siècle. Entre 1911 et 2010, la population totale a augmenté de 60 %, tandis que le nombre des Français naturalisés a été multiplié par 13, celui des étrangers par 3.

Mécaniquement, le nombre des Français de naissance a progressé de 50 %, un peu moins vite que la population générale. Bien entendu, l’immigration est à l’origine de ces progressions, celle du nombre des naturalisés et des étrangers, et même dans une moindre mesure, via la filiation, du nombre des Français de naissance. Le nombre des immigrés a été multiplié par 5 en un siècle.

Plus que par le passé, l’intégration des immigrés dans la société française connaît quelques difficultés. C’est peut-être que, leur proportion au regard de la population autochtone ayant crû sensiblement, les mécanismes subtils de cette intégration, école, habitat, lieu de travail, famille, se sont grippés. Affirmer que la France a toujours été "terre d’immigration" fait perdre de vue que de qualitatif le phénomène est devenu quantitatif.

Un concept opérationnel : "la population d’origine étrangère"

Plus que le lieu de naissance des individus, leur nationalité, passée plutôt qu’actuelle, est susceptible de renseigner sur leurs caractéristiques socio-culturelles. À un moindre degré, la descendance des personnes d’origine étrangère peut présenter les mêmes traits distinctifs. Il est donc légitime de s’intéresser à ceux que l’on appelle abusivement "immigrés de la deuxième ou de la troisième génération". C’est à cette condition que les politiques publiques, conçues pour les aider, seront mieux ciblées.

"Le développement de l'immigration familiale favorise la constitution d'une population de descendants d'immigrés. La France ne se distingue guère de beaucoup de pays européens quant à la proportion et aux principaux traits socio-démographiques des populations nées à l'étranger. Par rapport aux autres grands pays, la France se caractérise par des flux migratoires plus anciens, mais aussi plus faibles sur la période récente. La proportion de descendants d'immigrés dans la population résidente est en revanche parmi les plus élevées d'Europe".

L’Insee a évalué à 6,7 millions le nombre des descendants directs d’immigrés en 2008 (individus dont au moins un parent est immigré). Ce chiffre doit être actualisé en tenant compte de l’accroissement naturel de cette population entre 2008 et 2014. À cet effet, on a évalué le nombre des naissances, cumulé de 2008 à 2013 inclus, à 1,050 million d’individus.

De ce nombre de naissances, il faut retrancher les décès (environ 260 000) survenus au cours de la période. Finalement, on a substitué aux 6,7 millions, estimés pour 2008, le chiffre de 7,5 millions. Ce segment de la population a donc progressé au rythme soutenu de 1,9 % par an entre 2008 et 2014.

Le total de la "population d’origine étrangère" se monterait donc en 2014 à :

2,3 M d’immigrés naturalisés + 3,6 M d’immigrés restés étrangers + 7,5 M descendants d’immigrés = 13,4 millions représentant 20,4 % du total de la population résidente..

On n’a pas tenu compte ici des descendants d’immigrés au-delà de la deuxième génération. La démographe Michèle TRIBALAT avance un pourcentage de 30 % de personnes d’origine étrangère en 2011, en considérant trois générations, pour les moins de 60 ans. En extrapolant à l’ensemble de la population, on aboutit à un total d’environ 20 millions de personnes à cette date.

8,4 millions de personnes originaires de pays situés hors de l’UE

La décomposition selon l’origine géographique est plus délicate. On estime que 68 % des immigrés recensés sont venus de pays situés hors de l’UE, parmi lesquels 70 % sont nés en Afrique et Turquie (pays à forte population musulmane).

L’étude de l’Insee de 2008 décrit également la structure par pays d’origine des enfants d’immigrés. Pour la prolonger jusqu’en 2014, il a fallu tenir compte de la présence croissante des familles issues d’une immigration extra-européenne (88 % des enfants d’immigrés, nés entre 2008 et 2014, ont au moins un parent venu d’un pays non membre de l’UE).

Tous calculs faits, la décomposition par origine géographique de la "population d’origine étrangère", immigrés et descendants d’immigrés confondus, s’établit comme suit en 2014 :

5 M d’originaires de l’Union européenne + 8,4 M d’originaires de pays situés hors de l’UE = 13,4 millions. Parmi les 8,4 millions non originaires de l’UE, 6,1 millions viennent d’Afrique ou de Turquie.

Un fort potentiel de progression

Cette évaluation est une photographie à un moment du temps, l’année 2014. La "population d’origine étrangère" est appelée à évoluer et probablement à augmenter, pour plusieurs raisons.

• Le flux d’immigrés (net des retours) risque fort de se maintenir, voire de progresser encore. Au rythme de 150 000 personnes par an, il représenterait déjà 57 % de l’accroissement naturel (naissances moins décès) de la population des personnes nées en France (260 000 environ en 2014). Le nombre des immigrés s’accroîtrait donc bon an mal an de 85 000, après déduction des décès (65 000 environ) survenant inévitablement parmi eux. Comme environ 100 000 personnes nées en France quittent le territoire tous les ans, l’effectif de ces dernières n’augmente plus que de 160 000, soit moins du double.

Ainsi, alors que la part des personnes nées hors de France (immigrés au sens large, en incluant les individus nés français à l’étranger) dans la population générale est d’environ 12 %, leur contribution à son accroissement est maintenant de 35 %. Les immigrés vont donc augmenter en nombre plus vite que la population générale ; il en sera de même des catégories de la "population d’origine étrangère" qui en dérive, Français naturalisés, des étrangers résidents et descendants d’immigrés.

• La proportion de 20,4 % constatée en 2014 est d’ores et déjà dépassée, s’agissant des indicateurs avancés. C’est ainsi que, au cours des dix dernières années, ont été célébrés 23 % de mariages pour lesquels au moins un des conjoints était né hors de France. De même, 27 % des naissances concernent des descendants d’immigrés.

• Ajoutons que les résidents illégaux ("sans-papiers") viendraient majorer encore cette évaluation. La rumeur parle de 200 000 à 400 000 personnes. Elle est invérifiable.

Une présence inégale sur le territoire national

Il s’agit jusqu’ici de moyennes nationales. La répartition géographique est très inégale. Ainsi, les communes de plus de 10 000 habitants seraient peuplées de 28,6 % d’immigrés ou de descendants d’immigrés, contre 10 % dans les communes de moins de 10 000 habitants (source : Insee, 2008).

De même, on note de fortes disparités entre les départements, s’agissant de la proportion des naissances pour lesquelles au moins un parent est immigré. En tête du classement, la Seine-Saint-Denis (65 %), le Val de Marne et le Val d’Oise (49 %), Paris (45 %), etc. En fin de classement, la Manche, la Vendée et le Pas-de-Calais (6 %), le Cantal (7 %), tandis qu’en France métropolitaine, la moyenne s’établissait à 27 % (source : Insee, 2011).

Cette hétérogénéité est de nature à nourrir une perception du phénomène migratoire, variable d’un lieu à l’autre.

Sources

OCDE, "La France face aux défis persistants de l’intégration", https://www.oecd.org/els/mig/press-note-France.pdf

Gérard Bouvier, Insee octobre 2012, "Les descendants d’immigrés plus nombreux que les immigrés : une position française originale en Europe".

Chantal Brutel, cellule statistiques et études sur l’immigration, Insee 2015, "Populations française, étrangère et immigrée en France depuis 2006".

Michèle Tribalat "Une estimation des populations d’origine étrangère en France en 2011." Espace, Population, Société, 2015.


En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-156370-les-chiffres-de-limmigration-mode-demploi-1215479.php?4W6msocrleIPyqz1.99
Gérard Maarek

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