lundi, 02 mai 2016
Il faut cesser de diaboliser le populisme
L’historien Olivier Meuwly se penche sur la définition du populisme. Et propose quelques pistes pour cesser de le diaboliser
Si l’on devait calculer le mot qui recueille le plus d’occurrences aujourd’hui pour qualifier un courant politique, il y a de fortes chances que le mot «populisme» emporte la palme. Terme polyphonique par excellence de notre chaotique modernité, le populisme, souvent confondu avec la démagogie, brille plus par l’obscurité qu’il sécrète que par ses facultés explicatives. Le populisme est-il de droite ou de gauche? Le désordre conceptuel autour de ce terme a incité Joseph Macé-Scaron, dans Marianne du 18 mars 2016, à déclarer que «le populiste, c’est toujours l’autre»…
La dimension gauchisante du populisme
Antoine Chollet et son équipe ont montré dans une série d’articles parus dans Le Courrier en janvier 2015 que le populisme s’encastrait dans une tradition plutôt gauchisante, par le souci que ses promoteurs avaient de restaurer une proximité entre la décision politique et le peuple qui en est à la fois le destinataire et la source. La dimension gauchisante du populisme des origines est ressortie à travers les qualificatifs dont la nouvelle extrême gauche, prompte à ferrailler contre l’«européanisme» ambiant derrière Syriza, a été affublée.
Mais au populisme est surtout subordonné l’ensemble des mouvements marqués à droite et accusés de contrevenir à un corpus de valeurs proclamées distinctives de l’Occident. De fait, il est surtout devenu le concept censé recouvrir par euphémisme tous les partis classés sur un segment allant de la droite conservatrice à la droite la plus extrême, cloués sans nuance au pilori d’une pensée superficiellement péremptoire.
Le populisme à droite
Blaise Fontanellaz, dans Le Temps du 30 mars 2016, a montré que ces partis répondent certes à certains critères propres à ces partis dits «populistes», comme l’appel systématique au peuple, la critique des élites, la présence d’un leader charismatique ou le rejet de l’immigration. Mais le terme a été érigé en pilier d’un discours de gauche en quête d’un fascisme sous l’étendard duquel elle aime glisser ses adversaires. Or Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg ont montré la multiplicité des droites sises au-delà de la droite libérale «classique» et la difficulté de les réunir sous un vocable unique (Les droites extrêmes en Europe, Seuil, 2015).
Un lexique sclérosé
Il est dès lors nécessaire d’oser s’affranchir de ce lexique sclérosé. Comment lutter contre ce qui pourrait apparaître comme la résurgence d’une droite ou d’une gauche plus ou moins extrême, armé d’un concept qui ne signifie plus rien? Comment répondre par un discours adéquat si les mots employés sont condamnés à échouer sur l’indifférence que causera un propos trop psalmodié et que l’on devine vide de sens? Une remise en question s’impose…
Il conviendrait plutôt de s’interroger sur les raisons qui ont amené des individus à faire leur ces «valeurs» que la bien-pensance juge si inappropriées. Une telle démarche est particulièrement requise pour le «populisme» de droite, dont le spectre est si large. Car que réfutent ses partisans? L’«esprit 68» assurément. Mais leur révolte va au-delà, car tous les partis ont adopté partiellement les valeurs individualistes qu’il a inspirées: c’est surtout son élévation au rang d’aboutissement de la démocratie authentique qui a répandu un dépit que l’omniprésence du populisme comme définition originelle empêche d’analyser.
Le conformisme de gauche et ses effets pervers
Le sociologue de gauche Jean-Pierre Le Goff, dans son dernier ouvrage (Malaise dans la démocratie, Stock, 2016), a souligné les effets dévastateurs du conformisme jailli de la révolution soixante-huitarde. Elle n’a fait que substituer au conformisme qu’elle dénonçait un système de pensée articulé en réalité sur le discours de la Nouvelle gauche qui, par esprit de revanche ou par honte du passé occidental, a voulu marteler l’inévitabilité d’un relativisme culturel.
Fustigeant la trop confortable dénonciation d’un prétendu activisme antidémocratique adressée à toute pensée «déviante», le Goff pointe les dégâts de son moralisme de l’immédiat et attribue à la contre-culture des années 60 la responsabilité du malaise qui hante nos démocraties aujourd’hui. Par l’affirmation dogmatisée d’une uniformité comme gage d’une universalité a-historique, elle aurait ainsi attisé le retour du facteur identitaire et fouetter l’extrémisme plus ou moins fort des partis dits «populistes».
Le Goff interpelle directement la droite libérale et les socialistes. Accusée par la gauche de s’aligner sur la droite «dure» et par cette dernière de plier devant les diktats moralisateurs de la gauche, la droite libérale doit, selon Le Goff, s’opposer au discours dominant et bien-pensant, tout en reprenant la défense d’un pluralisme cultuel non méprisant. Evelyn Finger, dans Die Zeit du 21 avril 2016, donne une piste: par rapport à la question islamique, au cœur aujourd’hui du problème «populiste», tant que l’on défendra l’islamisme le plus extrême par peur d’offenser l’autre, l’extrême droite, sous toutes ses déclinaisons, aura encore de beaux jours devant elle en Europe!
Olivier Meuwly, historien
07:43 | Lien permanent | Commentaires (0)
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