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jeudi, 05 mai 2016

Visas : l'Europe cède aux exigences de la Turquie

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La Commission européenne a recommandé mercredi l'exemption de visas pour les Turcs dans le cadre de l'accord sur les migrants, malgré de très fortes réserves au sein de l'Union.

La décision n'était pas facile, tant elle suscite de réserves au sein de l'Union européenne. Mais Ankara l'attendait avec impatience. La Commission européenne s'est donc exécutée. Elle a recommandé mercredi aux États membres et au Parlement européen d'accepter d'exempter de visas les 75 millions de ressortissants turcs souhaitant effectuer des séjours limités à 90 jours dans les pays de l'espace Schengen, soit 22 des 28 pays de l'UE. Le Royaume-Uni, l'Irlande, la Grèce, Chypre, la Roumanie et la Bulgarie sont restés en dehors. Cette dérogation est considérée à Ankara comme un brevet de démocratie, ce qui fait grincer des dents au Parlement européen. Le plus combatif est l'ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt, président de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, qui dénonce un chantage.

Le gouvernement turc ne souhaite pas polémiquer. Son ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a préféré louer «un tournant» dans les relations entre la Turquie et l'Union européenne. Mais personne à Ankara n'est dupe. L'accord des gouvernements et du Parlement européen n'est pas acquis. La Turquie maintient donc sa menace. «Si les États ou le Parlement européen disent non, c'est la fin de l'accord de réadmission», avertissent ses dirigeants. L'exemption de visas est le prix politique de l'accord conclu avec la Turquie pour endiguer l'exode des réfugiés syriens vers la Grèce. Les États membres de l'UE ont cherché à verrouiller la mesure, avec un mécanisme de suspension de cette libéralité en cas d'abus. L'Allemagne et l'Autriche, où sont installées d'importantes communautés turques, redoutent en effet une multiplication des séjours irréguliers de ressortissants turcs qui ne rentreraient pas dans leur pays. Ainsi qu'une vague de demandes d'asiles introduites par les Kurdes fuyant les violences et les affrontements entre l'armée et le PKK. Ces deux éventualités ont été évoquées dans la proposition franco-allemande qui a servi de base pour la formulation des conditions permettant de rétablir l'obligation de visas.

Encore 5 critères non remplis

La machine est désormais sur les rails. La Commission a formulé sa recommandation dans les délais impartis pour permettre aux Vingt-Huit et au Parlement européen de se prononcer pour la fin du mois de juin. «La Turquie a réalisé des progrès impressionnants», a plaidé le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, artisan de l'accord avec Ankara. Les Turcs devaient satisfaire à 72 critères. Il leur en reste 5, notamment la lutte contre la corruption et la lutte contre le terrorisme, très importantes pour les Européens. Mais Ankara doit aussi convaincre de sa volonté de respecter l'accord. «Il ne s'agit pas seulement d'un exercice mathématique. Il ne suffit pas de cocher des cases. La question est beaucoup plus large», a commenté un diplomate européen. «L'exemption de visas n'est pas un chèque en blanc accordé aux autorités turques pour leur permettre de bafouer la démocratie et la liberté d'expression», a averti plus explicitement le groupe du Parti populaire européen (PPE), première force politique au Parlement européen.

Le pragmatisme devrait toutefois l'emporter. L'accord est vital pour les Européens. Sa mise en œuvre doit permettre de surmonter la pire crise des réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale. Le conflit en Syrie et l'exode de sa population ont fait voler en éclats le système d'asile de l'Union européenne et menacent la libre circulation dans Schengen, l'un des acquis de l'UE. Les Européens cherchent à réparer les dégâts et à renforcer leurs défenses aux frontières extérieures. La tâche est compliquée, car les États refusent toutes les solutions communautaires, considérées comme un abandon de souveraineté. «Les frontières extérieures ne sont pas un bien commun», soutient le représentant d'un grand pays de l'UE.

250.000 euros de pénalité

La Commission européenne est donc contrainte de composer avec les règles existantes et de proposer des ajustements. La réforme des dispositions du règlement de Dublin pour l'asile, présentée mercredi, est l'illustration de cet exercice d'équilibriste. La règle demeure inchangée: l'accueil et le traitement des demandes d'asile incombent au pays d'entrée dans l'Union européenne. Mais Dublin n'a pas été conçu pour faire face à un afflux massif de réfugiés. En première ligne, l'Italie et la Grèce ont laissé filer les arrivants sans les enregistrer. Furieux, les pays traversés par les réfugiés et les migrants ont rétabli les contrôles à leurs frontières nationales. La Commission préconisait de «communautariser» la prise en charge des demandeurs d'asile en cas de crise. L'idée a été rejetée. Sa proposition prévoit bien un mécanisme de solidarité et préconise d'infliger une amende de 250.000 euros par réfugié pour punir les États «égoïstes» qui refuseraient de prendre en charge leur quote-part de demandeurs d'asile. Mais elle a peu de chances d'être acceptée. «L'idée de la pénalité a déjà été soumise aux États il y a quelques mois, et elle a été recalée», a confié un diplomate.

La solidarité ne sera en outre pas totale, car le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark peuvent refuser cette nouvelle mouture du règlement et demander l'application des anciennes dispositions. «Nous aurions souhaité une autre donne, mais le jeu a été distribué et nous devons en tirer le meilleur parti», a commenté Frans Timmermans.

Christian Lemenestrel

Source : Le Figaro

 

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