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lundi, 09 mai 2016

Au Brenner, le mur de la discorde

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Une manifestation contre la fermeture des frontières a dégénéré samedi au Brenner, entre l’Italie et l’Autriche. Le village se retrouve bousculé par une politique autrichienne anti-migrants que les habitants italiens ne comprennent pas

Le panneau affiché sur la façade de l’ancien poste-frontière est difficilement lisible. Le mot «Österreich» se devine grâce aux étoiles du drapeau européen l’entourant. Il est barré d’un «welcome», tagué sur le mur. Bienvenue au Brenner, ce village d’à peine plus de 2000 habitants à cheval sur la frontière italo-autrichienne, pris malgré lui dans un conflit politique opposant Rome et Vienne. Les frontières s’étant successivement fermées sur la route des Balkans, les autorités autrichiennes craignent que les migrants n’affluent désormais par l’Italie. Elles ont ainsi menacé d’ériger un mur sur le col du Brenner si la Péninsule ne protégeait pas ses frontières maritimes et ne renforçait pas les contrôles sur son territoire.

Les réactions à Rome sont virulentes. «Il s’agit d’une propagande dangereuse», a condamné la semaine dernière Matteo Renzi, le président du Conseil italien. Cette position va à l’encontre de «la logique et de l’Histoire». Matteo Renzi fait référence à la campagne électorale en cours en Autriche. L’extrême droite est arrivée en tête du premier tour de l’élection présidentielle, le 24 avril. Le second tour aura lieu le 22 mai. Mais la menace autrichienne n’est pas seulement verbale. Mi-avril, les fondations pouvant accueillir une clôture de 250 mètres de long et jusqu’à 4 mètres de haut ont été posées.

La date du début des travaux de la barrière n’est pas encore fixée. Mais une fois construit, le mur pourrait couper la route, l’autoroute et la voie ferrée en deux. Au Brenner, les habitants n’en voient pas encore la trace. Les fondations ne sont pas accessibles. «Tout ce que j’apprends, c’est par la télévision», sourit Karl, grillant derrière le comptoir de sa buvette quelques saucisses pour des promeneurs de passage. Les tensions entre les capitales italienne et autrichienne semblent si lointaines dans ce village lové entre des montagnes encore enneigées.

De nombreux Italiens et Autrichiens viennent donc profiter du paysage, font une pause dans les nombreux restaurants et en profite pour faire des courses dans l’imposant centre commercial. Leurs voitures et motos sont garées au bord de deux routes parallèles le long desquelles s’étire le village. A midi, aucune place n’est libre. Au bout de quelques centaines de mètres, un rond-point marque la frontière avec l’Autriche. Au-delà, une station-essence puis une route nationale.

La seule différence que notent les habitants est une présence renforcée des forces de l’ordre, notamment dans la gare. Plusieurs patrouilles de trois hommes arpentent les quais et contrôlent chaque train. Dans la salle d’attente du bâtiment, cinq Erythréens et Somaliens attendent. Trois autres migrants se trouvent au bord de la voie. Ils discutent avec Emad Mansour, de l’association italienne Volontarius, venant en aide aux réfugiés de passage dans la région. Ils n’ont rien mangé depuis deux jours, disent-ils dans un anglais maladroit. La police a prévenu l’opérateur humanitaire.

Emad, 33 ans, est Egyptien. Informaticien de formation, il est arrivé en Italie en 2005 à la recherche d’un emploi. Volontarius l’a engagé en novembre dernier après plusieurs mois de volontariat. Il veut se rendre «utile, apporter soutien et information à ces migrants». «Je ne me suis pas retrouvé dans leur situation, je ne le souhaite à personne», lâche-t-il, quittant la gare pour se rendre dans le centre de premier accueil de l’association, non loin. Il salue sur la route chaque policier ou commerçant. Tous le connaissent. Il se rend dans la structure de l’association qui peut accueillir jusqu’à 70 personnes, afin de préparer des sandwiches pour les nouveaux arrivés.

Le ministre italien de l’Intérieur, Angelino Alfano, affirme qu’en début d’année les migrants passant de l’Autriche vers l’Italie ont été plus nombreux que ceux traversant la frontière dans le sens inverse. Il n’a pas appuyé ses propos avec des chiffres. Volontarius refuse de compter les personnes de passage. «Mais nous n’avons vu aucun changement ces dernières semaines, rétorque Emad, aucune augmentation. Aujourd’hui est un dimanche comme un autre».

Pas tout à fait. Le village garde encore les marques de la violente manifestation de la veille. Quelques centaines d’anarchistes venus pour «abattre la frontière» ont affronté les forces de l’ordre. 18 personnes ont été blessées. Le Brenner a été paralysé une journée entière, ses rues bloquées et quadrillées dès le matin par la police italienne. Il s’agit de la troisième manifestation en un mois.

«C’est un désastre économique, déplore Franz Kompatscher, le maire. Nous avons enregistré 200 000 euros de perte samedi. Le centre commercial était vide, il n’y avait personne. D’habitude, il y a jusqu’à 6000 personnes en une journée comme celle-ci». Sans compter sur le blocage de l’autoroute et de la gare, où transitent près de 2500 camions et 15 000 voitures tous les jours ainsi que 42 millions de tonnes de marchandise tous les ans, faisant du col du Brenner un axe crucial pour l’économie et les entreprises italiennes.

Sonia Leitner gère depuis les années nonante le restaurant Terminus, à quelques dizaines de mètres seulement de la frontière autrichienne. Elle ne craint pas le potentiel afflux de migrants dénoncé par Vienne. Elle craint désormais les manifestations à répétition. Samedi, contrainte de fermer son local quelques heures, elle a servi moins de 20 repas, contre 200 un samedi normal. «Il faut des contrôles», clame Sonia, exaspérée. Pour les migrants? Non, pour les manifestants. Ici, «la seule chose qui a changé, déplore-t-elle, c’est l’arrivée non de réfugiés, mais de manifestants violents.»

Source : Letemps.ch

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