jeudi, 19 mai 2016
Retour des contrôles aux frontières plébiscité
Un sondage montre qu’une majorité de Suisses veut préserver les bilatérales, tout en contrôlant les frontières et en restreignant la libre circulation. Décryptage d’un dilemme
Pour le maintien des accords bilatéraux, pour des contrôles aux frontières et pour une libre circulation avec des restrictions: le sondage Sophia, réalisé par l’Institut de recherches économiques et sociales M.I.S Trend pour le compte de l’Hebdo, livre des résultats contrastés. Sollicitée dans le cadre du Forum des 100, organisé par l’hebdomadaire et consacré cette année aux nouvelles frontières, l’étude recueille l’avis du grand public et celui de leaders d’opinion actifs dans les domaines économiques, politiques, culturels ou scientifiques. Un échantillon représentatif de la population suisse, composé de 1290 personnes issues des trois régions linguistiques, a ainsi été interrogé en ligne entre le 22 mars et le 4 avril. Les 380 leaders ont quant à eux été consultés durant le mois de mars.
Parmi les sujets relatifs à la mondialisation, thème central du sondage, les questions liées à la migration et aux relations avec l’Union européenne attirent l’attention. Rétablir des contrôles systématiques aux frontières comme c’est le cas dans certains pays d’Europe?
70% de la population se révèle «assez» voire «tout à fait d’accord» avec cette pratique. Chez les leaders, le chiffre baisse à 52%. Formulée une première fois à propos de l’UE, la proposition suscite le même engouement concernant la Suisse plus spécifiquement: 69% de plébiscite dans la population et 51% chez les leaders. «Seule l’appartenance politique permet de comprendre ces résultats, précise Mathias Humery, chercheur et coauteur du sondage. La droite est quasi unanime à approuver les contrôles (87% pour l’UE et 85% pour la Suisse) alors que la gauche est partagée (50% et 48%).»
Clivage gauche droite
On retrouve ce même clivage dans la volonté de maintenir la libre circulation avec des restrictions, plutôt que de la conserver telle quelle. Largement débattue suite à l’acceptation de l’initiative UDC contre l’immigration de masse, le 9 février 2014, l’idée récolte l’approbation de 53% de la population et de 46% des leaders. A droite, les deux groupes sondés souhaitent des restrictions dans les mêmes proportions (57% du grand public et 58% des leaders). Au sein de la population de gauche, les avis sont partagés à parfaite égalité, alors que chez les leaders, une majorité de 71% entend maintenir le statu quo. Seuls 28% souhaitent des aménagements.
Selon Mathias Humery, le contexte migratoire particulièrement tendu et les récents attentats de Paris et Bruxelles ont certainement influencé les résultats. «Les personnes réagissent à l’instinct et n’ont pas conscience des implications qu’entraînerait un retour systématique des contrôles aux frontières. Face à la menace terroriste et aux flux migratoires, le besoin de protection prend le dessus.» En particulier au Tessin où près de 75% des sondés, population et leaders confondus, approuvent la pratique.
Contrôler chaque frontière: «une illusion»
Une analyse partagée par Etienne Piguet, spécialiste des migrations et professeur à l’Université de Neuchâtel, guère étonné par les résultats. «On assiste à un retour en grâce de la frontière, 10 ans après l’euphorie de la libre circulation. La population recherche le risque zéro. Pourtant, vouloir contrôler chaque centimètre de frontière est une illusion.» En février dernier, l’institut Prognos avait estimé le coût d’une fermeture de Schengen à 470 milliards de francs en 10 ans pour les pays de l’UE. Réalisée pour le compte de la Fondation Bertelsmann, l’étude soulignait les conséquences en termes de personnel, de stockage et d’infrastructures. Et de files d’attente interminables.
Pour Cesla Amarelle, conseillère nationale socialiste, les résultats du sondage réalisé pour l’Hebdo sont à l’image du «brouillage politique» qui règne dans le domaine de l’asile. «La Suisse est prisonnière d’une croyance politique, profondément ancrée historiquement, qui fait de la frontière une variable d’ajustement des flux migratoires. Or, on réalise que cette conception est dépassée. Aujourd’hui, la frontière n’a plus le même sens physiquement. Les personnes passent à travers quoi qu’il arrive.»
A Berne, les tentatives de l’UDC pour introduire des contrôles généralisés – avec l’aide de l’armée si nécessaire – se multiplient. En décembre dernier, le Conseil des Etats a rejeté une motion du Schwytzois, Alex Kuprecht, demandant que le Conseil fédéral réagisse dans l’urgence et mette en place des contrôles stationnaires.
S’il reconnaît qu’une surveillance systématique de toutes les personnes qui passent la frontière n’est pas réaliste, Martin Baltisser, secrétaire général de l’UDC, plaide pour un renforcement des contrôles afin d’endiguer l’immigration clandestine et les activités de bandes criminelles de passeurs. «En particulier sur certains points stratégiques comme dans les trains en provenance d’Italie. Les autorités doivent prendre leurs responsabilités et donner un signal politique fort.» Comment concilier ce durcissement avec le maintien des accords bilatéraux? «Une marge de manœuvre existe, l’intérêt de conserver les bilatérales est mutuel.»
Prédisposition favorable aux bilatérales
Paradoxalement, 54% de la population estime qu’il «faut sauver les accords bilatéraux même si cela implique de ne pas respecter le vote» sur l’immigration de masse. Deux études réalisées par M.I.S Trend, avant et après le 9 février 2014, soulignaient déjà cette tendance. A la question, «que choisiriez-vous entre l’application de quotas pour limiter la main-d’œuvre étrangère et le maintien des accords bilatéraux», 69,9% des sondés s’étaient prononcés en faveur des bilatérales en décembre 2014. Un an et demi plus tôt, en mai 2012, 67% des personnes interrogées déclaraient déjà vouloir poursuivre dans la voie bilatérale.
Pour Pascal Sciarini, directeur du département de science politique de l’Université de Genève, les résultats du sondage Sophia illustrent la situation inextricable dans laquelle se trouve le Conseil fédéral à savoir devoir appliquer l’initiative UDC tout en préservant les accords avec l’UE.
«Il n’est pas forcément contradictoire d’être à la fois pour un contrôle de l’immigration et plus favorable aux bilatérales qu’à la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse. La deuxième question impose un choix, contrairement à la première.» S’ils montrent une prédisposition favorable aux bilatérales, les résultats ne garantissent pas le succès d’un second vote populaire dont les termes ne sont pas encore connus. L’initiative RASA, par exemple, qui cherche à sortir de l’impasse en annulant le vote du 9 février, n’est donc pas gagnée.
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