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mardi, 24 mai 2016

Immersion dans le "Hofer Land", l'Autriche qui vote extrême-droite

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De Vienne, la capitale, au Burgenland, région d’origine du candidat d’extrême droite Norbert Hofer, plongée dans cette Autriche qui s’apprête à porter un populiste à la présidence.

Trois cicatrices. Fines et blanches. Deux sous la joue gauche, une autre au-dessus de ses lèvres finement dessinées. Conséquences de rituels élitistes pratiqués par la fraternité d'extrême droite très fermée de l'Olympia dont la devise est "Allemand, uni, fidèle et sans crainte". "Des jeux stupides et infantiles", rien d'autre, selon Dietbert Kowarik, désormais cadre du Parti autrichien de la liberté (FPÖ), à Vienne. Le responsable du 15e arrondissement de la capitale est joli garçon. Grand, mince, le teint pâle, la coupe de cheveux quasi militaire. Costume gris cintré, cravate bleue à pois blancs et chemise blanche. Allure irréprochable, élégance naturelle. Le double juvénile, et sans la canne, de Norbert Hofer, arrivé en tête du premier tour de la présidentielle autrichienne.

L'assistance, regroupée autour de lui comme tous les mois depuis dix ans chez Bieriger, une auberge populaire du quartier de Rudolfsheim, est sous le charme. Une trentaine de convives dont un tiers de femmes. "On est fier que les gens simples qui votaient pour le Parti socialiste, alors qu'il ne l'est plus depuis longtemps, viennent désormais vers nous." Dietbert Kowarick a la victoire modeste et prudente. L'écart entre Hofer et son rival, le vert Alexander Van der Bellen s'est resserré tout au long de la semaine, suscitant une sourde inquiétude chez les militants du FPÖ. "Ça va être juste mais on va gagner", souligne tranquillement Dietbert Kowarik.

Pas de questions taboues pour ce clerc de notaire, d'ascendance bohême, fils d'un député FPÖ, petit-fils du premier secrétaire général du parti dans les années 1960. "La politique n'est pas un métier mais mon destin." L'animal politique dénonce les "atteintes injustes" de la presse internationale et "son traitement partial" du scrutin. Tout juste ses joues s'empourprent-elles quand est mentionné l'Olympia, cette corporation estudiantine ouvertement pangermanique, et le racisme ambiant en Autriche en ce moment. "C'est justement le contraire, ce sont les Autrichiens qui le subissent. Les femmes ne peuvent même plus aller au square."

La prestance de Kowarik, la facilité à éviter les chausse-trapes collent parfaitement à cet objectif que le FPÖ est en passe d'atteindre après des années de toilettage : être un parti comme les autres. Pour se débarrasser de l'image d'épouvantail d'extrême droite "que certains s'obstinent à lui coller". "Je ne suis pas pour ces distinctions gauche droite, poursuit l'élu, ce sont des frontières qui s'estompent. La preuve : dans notre programme, nous avons des propositions jugées très à gauche et d'autres non." Le public de cette soirée à connotation plus populiste que réellement d'extrême droite est, à lui seul, une victoire. Il y a là un médecin, des retraités, des artisans, des cadres ou encore des entrepreneurs. "Le FPÖ touche tous les segments de la population, nous sommes au pouvoir dans certains Länder, nous avons prouvé notre compétence."

"L'Autriche d'aujourd'hui est terriblement clivée"

Parmi les participants, le plus jeune, Riccardo, 16 ans, venu tout seul comme un grand. En apprentissage dans une entreprise d'informatique, le jeune homme ne veut pas se contenter de mettre son premier bulletin de vote dans les urnes dimanche, mais demande aussi à être assesseur. Son voisin, un monsieur de 77 ans, passé de la gauche à la droite classique, vote désormais FPÖ. Le père de Charles Bohatsch s'est battu sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale, finissant même sur le plus meurtrier, le front russe. "Notre région a été libérée par les Russes. Toutes les femmes ont été violées et puis on a eu à subir les bombardements des alliés." Soupirs. Il est clair que cet ancien journaliste se souvient de cette époque avec souffrance et amertume. Mais sans hostilité envers les Allemands. C'est sans doute là que réside la force du FPÖ, cette capacité à surfer sur une fibre nationaliste qui joue sur les ambiguïtés d'un passé mal digéré. "Je veux que l'avenir de mes petits-enfants soit assuré, c'est la raison pour laquelle, je vote FPÖ." Le fils de Charles votera comme lui mais sa fille donnera sa voix à Alexander Van der Bellen, le candidat vert. "L'Autriche d'aujourd'hui est terriblement clivée."

Sauf dans le Burgenland, le fief de Norbert Hofer. Les résultats du premier tour en sa faveur ont de quoi faire tourner les têtes. Plus de 60 % dans certaines communes. Le Burgenland, région de vignobles, où la collaboration avec les nazis pendant la guerre fut intense. Comme à Rechnitz, où 600 juifs furent contraints aux travaux forcés. Où, dans la nuit du 24 au 25 mars 1945, peu de temps avant l'arrivée de l'Armée rouge, les nazis massacrèrent quelque 200 juifs hongrois. Un massacre précédé d'une grande fête dans le château de la ville, désormais détruit. Le Burgenland, une région frontalière où la population parle allemand, hongrois, slovène et croate. Sans oublier la communauté rom extrêmement présente. C'est à Oberwart, une ville de moyenne importance, et qui a voté pour Hofer, qu'en 1995, un attentat raciste causa la mort de quatre Roms. Il y a dix ans, Francis Papai, 67 ans, a frappé à toutes les portes des partis politiques. Seul le FPÖ a répondu. "Ils sont tous venus me voir, Hofer et les autres, chez moi!" Une sœur morte au camp de Ravensbrück, une mère à Auschwitz, et pourtant sa voix ira au FPÖ. Mieux, il est encarté et a raté un poste de conseiller municipal du parti de Hofer, à une voix, en 2015. Le Burgenland est une région à l'identité mélangée où le désir de ne faire qu'un est palpable, où le patriotisme local est exacerbé.

Revirement historique de la gauche sociale-démocrate

Au prix d'une alliance avec le diable. Comme à Pinkafeld, à 120 km de Vienne, la ville natale de Hofer. Le SPÖ (social-démocrate) a brisé un tabou, l'an dernier, lors des élections régionales. Arrivé en tête, il a choisi néanmoins de s'allier avec le FPÖ qui n'avait pourtant obtenu que 15 % des suffrages. Ce revirement historique de la gauche sociale-démocrate sera présenté comme une "expérience". Pinkafeld, un an plus tard, 5.400 habitants, 90 demandeurs d'asile, dont 20 mineurs non accompagnés a voté à 61% Hofer. Wiesfleck, le hameau d'à côté, 649 habitants, a explosé le compteur avec 64% en faveur de Hofer. Kurt Maczek, 61 ans, descendants de grands-parents polonais et maire SPÖ de Pinkafeld se retranche derrière le choix du peuple pour justifier une alliance pointée du doigt. Il n'a donné aucune consigne pour la présidentielle d'aujourd'hui mais son propos est sans ambiguïté. "Le monde en est resté à une lecture de fin 1945 sur l'Autriche. C'est une erreur parce que le FPÖ n'est pas nécessairement un parti d'extrême droite."

Que s'est-il passé? Une insécurité fantasmée face à un taux de criminalité quasi inexistant. Les voilà donc au banc des accusés ces "Asylanten", un mot intraduisible, extrêmement péjoratif et utilisé par Maczek pour désigner les demandeurs d'asile (Asylbewerber). Héritage lexical direct de feu Jörg Haider, l'ancien patron du FPÖ. Le terme est à usage exclusif du FPÖ ou de ceux qui sont hostiles à cette vague de demandeurs d'asile. Tous les acteurs locaux, y compris les partisans d'un accueil des migrants, concèdent que leur arrivée massive l'année dernière et la gestion chaotique, voire inexistante, de la coalition au pouvoir, a quelque chose à voir avec le score vertigineux du FPÖ. "Il y a beaucoup de femmes seules qui subsistent avec 800 € par mois, poursuit le maire de Pinkafeld, et le ressentiment est grand, lorsque les nouveaux arrivants touchent, eux, 2000 €." Un faible taux de chômage, mais la disparition des usines textiles a poussé bon nombre d'habitants de la région à aller travailler à Vienne. Accepter les nouveaux venus, c'est craindre de se faire prendre le peu d'emplois qui reste ou de voir son niveau de vie encore baisser. Le maire, Kurt Maczek, comprend le vote FPÖ.

Face à la mairie, se dresse un magnifique cabinet médical tenu par le docteur Rainer Oblak. Lui et 16 personnes ont monté l'association Pink-up. Un îlot de résistance, le bastion de ceux qui disent "oui" aux étrangers et qui leurs apportent de l'aide. On devine à leurs mines que les rapports sont tendus avec la mairie, que le score du FPÖ est mal vécu. Alors embarrassés le docteur Oblak et ses amis par la perspective d'avoir demain un président d'extrême droite? "Oui, mais si je suis embarrassé, ce n'est pas parce que je suis autrichien mais parce que je suis un être humain et le citoyen d'un pays respectable."

Karen Lajon

Source : Le Jdd

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