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samedi, 28 mai 2016

Emmanuelle Cosse contre le "sans-abrisme" des migrants

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Jeudi, la ministre du Logement visitait l'ancien lycée Jean-Quarré, réhabilité en centre d'accueil par Emmaüs, après des débuts chaotiques. Reportage.

Un migrant lui tend son smartphone. Emmanuelle Cosse s'approche et observe la photo. Difficile d'identifier l'objet. Le jeune homme tente d'expliquer sa requête à la ministre dans un mélange d'arabe et d'anglais. On comprend vaguement qu'il s'agit de nourriture et que celle-ci ne lui plaît pas… Nous sommes dans la salle à manger de l'ancien lycée Jean-Quarré dans le 19e arrondissement de Paris. Coincé entre une barre HLM et un squat d'artistes, le centre d'hébergement d'urgence accueille aujourd'hui 145 migrants sous l'égide d'Emmaüs.

En face de quelques élus parisiens, le jeune réfugié insiste : « C'est une banane écrasée ! » croit reconnaître le maire de l'arrondissement, François Dagnaud (PS). Quelques rires s'échappent devant le garçon, qui s'obstine avec le plus grand sérieux à se faire entendre. Au lieu de l'ignorer, la ministre du Logement l'interpelle en anglais, et lui fait un peu la leçon. « Nous essayons de vous donner un toit, de vous apprendre le français… » relativise-t-elle. Avant de conclure, un brin ironique : « Je suis sûre qu'on va trouver une solution ! » Malgré l'épreuve qu'elle traverse, l'épouse de Denis Baupin, qui faisait jeudi l'une de ses premières apparitions publiques depuis l'éclatement de l'affaire, n'a pas perdu son aplomb ni son franc-parler.

« Ils veulent de la viande halal »

Il est vrai que les barquettes sous vide servies ici en guise de repas ne sont pas toujours au goût de ces hommes originaires du Soudan, de Somalie, d'Érythrée, d'Afghanistan ou de Libye. Une salariée d'Emmaüs confirme : « Ils veulent en plus de la viande halal, et on ne peut pas leur en fournir. On essaye d'épicer les plats, mais ça ne convient pas toujours. » On est bien loin des revendications d'hier… Du temps où 1 300 personnes s'entassaient ici, se partageant deux toilettes par étage et trois douches au total, et où les bagarres et les nuisances sonores rythmaient le quotidien des occupants.

Emmanuelle Cosse poursuit sa visite dans les locaux entièrement rénovés par Emmaüs (avec le financement de l'État). Elle entre dans une chambre. Ici, avant l'évacuation d'octobre 2015, les matelas s'empilaient et des dizaines de personnes cohabitaient dans une promiscuité parfois malsaine. « Les femmes s'enfermaient à clef dans leur chambre, le soir », raconte une élue parisienne. « Je pense qu'il y a malheureusement eu quelques femmes qui ont été… » La ministre ne finit pas sa phrase, mais on comprend qu'elle évoque des violences sexuelles.

« En France, on peut s'intégrer facilement »

Dorénavant, il n'y a plus que des hommes, tous trentenaires et célibataires. Les chambres sont vastes et accueillent entre deux et quatre personnes uniquement. Un bloc de douches a été créé, ainsi qu'une laverie et des vestiaires. Emmanuelle Cosse discute avec Youssef, un Soudanais venu de Libye. Elle s'intéresse au parcours de cet homme portant une veste kaki et un bonnet sur lequel est écrit « Italia ». Il est passé par l'Italie, donc, puis par Marseille et le campement de la Chapelle, à Paris. Ensuite, elle croise Ibrahim, qui a quitté la Libye, lui aussi. On lui demande l'image qu'il avait de la France avant son exil, il explique en arabe, par l'intermédiaire de la traductrice : « En France, on peut s'intégrer facilement. » Quel est son projet ? « Apprendre des langues et… faire du foot ! » Dans leur pays d'origine, 16 % d'entre eux étaient agriculteurs et 17 %, ouvriers du bâtiment. Un espoir de réinsertion pour l'équipe d'Emmaüs.

En attendant, on tente de les occuper entre deux démarches administratives. Un potager a vu le jour en février, grâce à l'association Vergers urbains et aux habitants du quartier qui ont apporté les premières graines. L'atelier jardinage ne fait pas le plein. Entre cinq et dix personnes seulement s'y rendent, une fois par semaine, pour bêcher et semer afin de récolter blettes et autres courges. Seront-elles plus nombreuses à venir ramasser les œufs dans le futur poulailler ?

Pour la ministre du Logement, la reconversion de ce lycée est une réussite. Elle compte réhabiliter davantage de bâtiments, notamment des bureaux vides. Comme cela a été le cas dans les anciens bureaux de Canal+, dans le 15e arrondissement, qui accueillent aujourd'hui 176 personnes, dont 70 enfants. Face à l'afflux de migrants, l'urgence est de désengorger Paris et l'Ile-de-France pour créer de nouveaux centres en province. Mais comment faire jouer « la solidarité nationale » ? « On motive ou on impose ! prévient la ministre, qui compte utiliser l'arme de la réquisition. Mon objectif, c'est de ne laisser personne à la rue. »

Une détermination que la ministre a immédiatement tweetée dans un message qui n'est pas passé inaperçu.

Émilie Trevert

Source : Le Point

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