dimanche, 29 mai 2016
Non à l'impunité parlementaire en matière de racisme
Jean-Louis Masson, sénateur de la République, a déposé récemment un amendement dont les motivations étaient clairement et explicitement racistes. Selon lui, le contrôle au faciès est légitime car "dans la mesure où la totalité des attentats terroristes récents sont le fait de musulmans, il est normal que dans un but de dissuasion des attentats, on contrôle plutôt les personnes de cette religion que les personnes d'autres religions". Les "musulmans d'apparence" sont de retour. Le sénateur Masson ne nous dit pas comment on les reconnait mais il a surement son idée sur la question. Fort heureusement, la bronca soulevée par la publicité donnée par la LICRA à ce texte scélérat semble avoir conduit ledit sénateur à ne pas venir défendre son texte en séance. La Haute Assemblée a ainsi évité le déshonneur en sus de la bêtise.
Le sénateur Masson est un récidiviste. Le 14 octobre 2015, il était déjà monté à la tribune du Sénat pour expliquer que "les immigrés d'aujourd'hui sont les terroristes de demain", sous les applaudissements jouissifs des deux sénateurs du Front National. Mais attention pas tous les immigrés ! Et le sénateur mosellan de continuer son oraison funeste : "par le passé, nous avons eu d'énormes vagues d'immigration : des Polonais, des Italiens, des Portugais. Et c'était des gens qui ne posaient pas de problèmes... Et il faut le dire.". Suivez son regard.
Jean-Louis Masson est parlementaire. Sa liberté d'expression est totale. L'article 26 de la Constitution dispose qu' "aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions". L'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit en outre que "ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l'une de ces deux assemblées.". Le sénateur Masson le sait bien et une fois sorti de l'hémicycle, il a ses pudeurs.
Voilà. Chat perché. Fermez le ban. A l'Assemblée ou au Sénat, on peut être raciste sans passer par la case tribunal : c'est le racisme à cocarde. On peut outrager les valeurs de la République et se prévaloir de l'article 26 de la Constitution pour s'exonérer de rendre des comptes devant un tribunal qui, pourtant, rend la justice "au nom du Peuple Français".
Et bien non. L'incitation à la haine, prononcée à la sortie d'une école juive, dans la cage d'escalier d'une tour de banlieue ou sous les lambris du Palais du Luxembourg doit connaître le même sort. Dans le cas contraire, nous laisserions prospérer l'idée que l'immunité des parlementaires est une impunité. Quand les révolutionnaires, en France ou aux Etats-Unis, ont introduit ce privilège de protection des parlementaires, il s'agissait de garantir que le travail de la représentation nationale ne soit pas entravé ou contraint par le pouvoir exécutif, l'Eglise, le pouvoir judiciaire ou les citoyens eux-mêmes. Il s'agissait de sanctuariser le débat parlementaire, pas d'en faire une zone de non-droit.
Surtout, la parole des élus n'est pas une parole anodine. Elle a reçu l'onction du suffrage universel, même indirect. Elle est chargée d'une légitimité qui porte à conséquence. Elle est publique et en tant que telle, elle a une responsabilité particulière. Les mots d'aujourd'hui sont les actes de demain. Les élus ont une obligation d'exemplarité sur le plan éthique. Où est l'exemplarité, où est l'éthique quand un parlementaire incite à la haine raciste, échappe aux poursuites judiciaires et ensuite va expliquer à ses concitoyens qu'il faut respecter la loi, façon tolérance zéro ? Nulle part.
Un proverbe chinois bien connu dit que "le poisson pourrit toujours par la tête". A laisser prospérer de telles dérives au sein des institutions de la République, au plus haut niveau de l'Etat, notre pays joue avec le feu. Et les estimations qui prédisent l'arrivée en 2017 d'une cinquantaine de députés d'extrême-droite à l'Assemblée Nationale devraient conduire, avant qu'il ne soit trop tard, nos dirigeants à introduire une procédure pour que les parlementaires qui tiendraient des propos racistes ou antisémites, rendent des comptes devant la justice. Car certains discours qui seront alors prononcés à la tribune du Palais Bourbon après le mois de juin 2017 risquent de faire passer les dérapages de Monsieur Masson pour de la poésie bucolique.
Alain Jakubowicz
09:09 | Lien permanent | Commentaires (0)
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