samedi, 04 juin 2016
Migrants. Daech à l’assaut de l’Europe via les côtes libyennes
Le groupe terroriste Etat islamique, qui étend son influence sur le littoral libyen, tente d’envoyer dans les pays européens des combattants infiltrés parmi les migrants en provenance de Libye. Le reportage de CNN international.
Après avoir traversé des rues parsemées de détritus, au-delà des carcasses de voitures brûlées, dans une cour où s’amoncellent des bouteilles en plastique vides, on pénètre soudain dans leur chambre sombre et insalubre. Environ 30 migrants africains, plein d’espoir, sont assis, les genoux serrés les uns contre les autres, confrontés à leur nouveau statut de prisonniers de la police de l’immigration libyenne.
Eugene est le premier à s’exprimer. C’est avec des sanglots dans la voix qu’il évoque son frère et son père tués au Nigeria par une bombe déposée par Boko Haram, le groupe ayant fait allégeance à l’Etat islamique.
“Aujourd’hui, une explosion, demain, une explosion”, se lamente-t-il face à sa décision de quitter le Nigeria et d’accepter l’aide des passeurs dans son périple à travers les routes poussiéreuses d’Afrique pour rejoindre la Libye. “Laissez-moi sortir, laissez-moi partir. Ici en Libye, la paix n’existe pas. Nous ne pouvons pas vivre en paix.”
Ces hommes ont été arrêtés quelques instants plus tôt lors d’une descente de police dans le petit immeuble situé en front de mer dans lequel ils s’étaient entassés avant d’être renvoyés vers la Méditerranée. Ils font partie du nombre exponentiel de migrants qui cherchent à rejoindre l’Europe par la Libye – approximativement 100 000 cette année, selon les dernières estimations à l’approche des frontières turques –, mais ils font également face à une nouvelle menace.
Des représentants de l’autorité libyenne et un passeur nous ont déclaré que le groupe Etat islamique – qui a peu à peu étendu son influence en Libye en prenant le contrôle d’environ un dixième de son littoral – avait tenté de s’infiltrer dans ce trafic humain pour envoyer ses combattants en Europe.
Il y a près d’un mois, un passeur confiait à CNN qu’un “fervent religieux”, qu’il savait appartenir à l’Etat islamique, lui avait demandé de transporter 25 militants par bateau pour 40 000 dollars. Il a refusé mais a ajouté que, quinze jours auparavant, il avait entendu parler d’un bateau sur lequel 40 membres du groupe Etat Islamique avaient embarqué depuis leur bastion de Syrte en compagnie d’un passeur. Le mauvais temps les a contraints à faire demi-tour, et pourtant ils ont réessayé. Il ne sait pas ce qu’il est advenu d’eux, mais il a ajouté que les passeurs n’avaient aucun problème moral à transporter des membres de l’Etat islamique.
“La seule chose qui les intéresse c’est le trafic. Qu’il s’agisse de l’Etat islamique ou de quiconque. Peu leur importe. Du melon ou des pastèques… seul l’argent les intéresse.”
Ce trafic a commencé à devenir visible ces deux derniers mois, affirme le passeur. Plusieurs militants se rasent la barbe avant de partir et voyagent avec des familles – constituées exprès pour le voyage – afin d’éviter les soupçons.
Les propos du passeur ont été corroborés par des agents d’immigration à Tripoli, qui ont affirmé qu’ils avaient retrouvé des membres de l’Etat islamique parmi les migrants qu’ils avaient récemment arrêtés. Un haut responsable du renseignement militaire libyen, le colonel Ismaïl Al-Chukri, a également confirmé ces affirmations en indiquant à CNN sur le port de la ville de Misrata que les membres de l’Etat islamique “peuvent faire partie des migrants illégaux qui remplissent les bateaux. Ils voyagent avec leurs familles, sans armes, comme de simples migrants illégaux. Ils s’habillent comme des Occidentaux et ont des papiers d’identité en anglais afin de n’éveiller aucun soupçon.”
Nous nous sommes aventurés en mer avec ceux qui représentent la seule ligne de défense que la Libye peut offrir à l’Europe contre cette menace : sa garde côtière. Bien qu’ils n’aient que six petits canots pneumatiques, ils nous ont confié que celui dans lequel nous nous trouvions était le seul qui était en état de marche. On saisit alors l’ampleur du défi auquel ils devront répondre.
Nick Paton Walsh - Correspondant Senior à CNN International
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