mardi, 14 juin 2016
«La Suisse doit envoyer des gardes-frontière à la gare de Milan»
Une semaine après la défaite de l’UDC sur l’asile, le président national du parti Albert Rösti propose une mesure pour la fermeture des frontières.
Deux votations perdues coup sur coup. Et sur des thèmes chers à l’UDC: le référendum contre la réforme de l’asile dimanche dernier et la mise en œuvre de l’initiative sur l’expulsion des criminels étrangers le 28 février dernier. L’UDC est-il en perte de vitesse? La machine de guerre du premier parti de Suisse est-elle cassée? Albert Rösti, le président national, se veut pourtant combatif et rassurant sur son parti.
Il paraît que vous êtes proche d’Adolf Ogi, vous venez tous les deux de Kandersteg… Il vous a dit quoi après la votation de dimanche dernier?
C’est vrai que nous nous connaissons très bien. Tout le monde sait qu’Adolf Ogi n’est pas toujours content avec la politique du parti. Mais je crois qu’il est assez strict en matière de politique migratoire. Je ne veux pas parler pour lui. Mais j’imagine qu’il va me faire l’une ou l’autre remarque.
Ou alors il vous dirait que deux défaites pour commencer une présidence, c’est une sacrée baffe…
Je ne crois pas. Mais, bon, quand j’ai pris la présidence du parti, je savais que ce ne serait pas une tâche facile. En fait, un nouveau président doit se fixer des buts à long terme. Moi, par exemple, je vise une certaine croissance en Suisse romande. Après, en tant que chef, il faut prendre ses responsabilités et assumer aussi lorsque cela se passe moins bien, même s’il y a beaucoup d’autres facteurs bien plus décisifs que le président de l’UDC dans une votation. L’important pour moi, c’est que je ressens une très grande confiance à l’interne du parti.
Qu’est-ce que vous avez fait de faux?
Aujourd’hui encore, je lancerais le référendum. Mais la grande leçon du vote de ce dimanche c’est que le parti n’a pas réussi à mobiliser suffisamment dans les sections cantonales. Certes, nous avons renoncé à une campagne nationale d’affichage et peut-être que le message sur des points précis, comme les avocats gratuits ou le problème de l’expropriation, était difficile à faire passer. Mais nous avons demandé aux sections cantonales de mener campagne sur le terrain, d’utiliser les champs que les paysans mettent gratuitement à disposition ou d’aller sur les marchés. Les débats auxquels j’ai participé n’ont pas réuni plus de 50 personnes… Là non plus, nous n’avons pas su mobiliser les citoyens.
Vous pourriez faire semblant que cette défaite n’est pas grave…
D’abord, j’aimerais dire que je ne suis pas sûr que l’UDC soit la perdante de cette votation. Premièrement, nous avons obtenu trois grandes promesses de la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga: une accélération des renvois et pas seulement des procédures d’asile, aucune expropriation et une baisse des coûts. Sans le référendum, ces questions n’auraient même pas été débattues. Et puis la loi est prévue pour 24 000 demandes d’asile par année. Nous pourrions rapidement avoir le double, voire encore plus. L’UDC est donc en bonne position. Elle ne sera pas responsable si les choses tournent mal et, si tout se passe bien, elle aura fait son travail en attirant l’attention sur des points précis.
Au fond, cette défaite ne vous sert-elle pas à faire semblant de rester dans l’opposition?
Non! Je rappelle que nous avons déposé 80 demandes pour modifier cette réforme au Parlement, notamment pour réduire l’attractivité de la Suisse pour les réfugiés économiques. Et toutes nos demandes ont été rejetées. Puisque nous n’avons pas été entendus, il était normal de lancer le référendum, ne fût-ce que pour rester crédible, et puis aujourd’hui il n’est pas question d’endosser la responsabilité de cette réforme. Mais cela n’a rien à faire avec l’opposition.
Avec ces deux dernières votations, avouez que la machine de guerre UDC est cassée…
Disons que la machine ne roule pas toute seule. C’est la grande leçon, comme je le disais tout à l’heure, il faut toujours créer la mobilisation. L’UDC a perdu beaucoup plus d’initiatives et de référendums qu’elle n’en a gagné, y compris celle de l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Il y a eu deux exceptions: le renvoi des criminels étrangers et l’initiative «Contre l’immigration de masse». Et dans une moindre mesure l’initiative antiminaret issue de milieux proches de l’UDC. C’est comme ça en politique suisse, les instruments populaires servent à corriger le tir. Si on devait mesurer le succès d’un parti aux initiatives qu’il gagne, le PS ne serait plus autorisé à faire de la politique.
Le problème n’est-il pas que tout le monde s’occupe désormais de l’asile? Le PLR s’attaque aux admissions provisoires. Le président du PDC veut accueillir les réfugiés chrétiens. Et le PS, après Simonetta Sommaruga, va proposer ses solutions lundi…
Ce n’est pas un problème, c’est un succès de l’UDC! Un parti politique doit imposer des sujets et trouver des solutions aux problèmes qu’il dénonce. C’est donc une réussite pour nous que tous les autres partis, même si nous n’avons pas tous les mêmes solutions, débattent de l’asile. C’est le même succès que nous avions eu avec les abus dans l’aide sociale. Après, c’est vrai que c’est plus difficile de profiler le parti. Mais je suis sûr que nos électeurs se rendent compte que les autres partis reprennent nos idées avec deux ans de retard. Mais qu’ils sont heureux, comme moi, que des majorités soient désormais possibles.
Mais vous êtes comme les Verts une fois que la sortie du nucléaire a été décidée: sans combat à mener et avec un gros problème d’identité.
Il y a une différence: les Verts n’ont que le thème du nucléaire. Alors que, nous, nous avons trois gros dossiers où il y a encore beaucoup à faire. L’indépendance de la Suisse est une question brûlante avec l’accord institutionnel que veut l’UE et nous devons veiller à l’application stricte de l’initiative du 9 février. Il y a le sujet de la dérégulation qui est important pour l’économie et sur lequel nous travaillons avec les autres partis bourgeois. En matière d’asile, il y a notre proposition de fermer les frontières et pour l’instant, nous sommes seuls, avec des soutiens très mous des autres partis au Parlement.
Fermer les frontières sera donc votre prochain grand combat en matière d’asile?
Oui. Nous espérons trouver une majorité au sein du Conseil fédéral. S’il y a un afflux massif de 60 000 ou 70 000 requérants, je pense que le Conseil fédéral nous écoutera et prendra des mesures. S’il refuse, nous devrons encore nous battre…
… pour mettre un soldat derrière chaque arbre à la frontière tessinoise?
Non. Je sais que la mesure n’est pas si efficace et que la Suisse ne peut pas construire de mur. Nous verrons si l’armée doit être envoyée en renfort. Mais rétablissons déjà des contrôles systématiques aux frontières. C’est une mesure urgente à prendre et le Conseil fédéral a le cadre législatif nécessaire. Ce serait un message fort aux passeurs et aux réfugiés économiques. Je ne parle pas là des réfugiés syriens. Et puis 85% des réfugiés en Suisse arrivent par le train entre Milan et Chiasso. Nous pourrions négocier avec l’Italie pour trouver une solution: des gardes-frontière suisses pourraient monter faire des contrôles dans le train à Milan. Ils pourraient ainsi faire descendre les voyageurs clandestins. C’est désormais le seul moyen de faire réellement respecter l’accord Schengen-Dublin.
Fabian Muhieddine
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