lundi, 20 juin 2016
A Annemasse, la future mosquée met à mal l’unité de la communauté
Le projet de construction d’un nouveau lieu de culte pour les musulmans de l’agglomération suscite des tensions
En langue arabe, on appelle cela la fitna, qui se traduit par rivalité, voire dissension. C’est ce qu’une partie des 10 000 musulmans d’Annemasse ressentent en ce moment. Au point que le président de la Communauté culturelle des musulmans d’Annemasse (CCMA), le modéré Hamid Zeddoug, vient de donner sa démission après quatre années de mandat.
A l’origine de ce départ, l’élection en février dernier au sein du conseil d’administration de Mohammed Bousekri, imam en place depuis 30 ans à la mosquée d’Ambilly, et de trois de ses proches. Qu’un religieux intègre cet organisme a froissé beaucoup de monde. Certains membres de l’association déplorent un mélange des genres car si la CCMA fournit une assistance cultuelle, sa vocation est avant tout culturelle avec l’organisation du soutien scolaire, des cours de langue arabe, des œuvres caritatives, des camps de vacances, des conférences, des relations avec les élus et les représentants des autres communautés religieuse, etc. Par ailleurs, la CCMA s’exprime au nom de tous les musulmans d’Annemasse tandis que Mohammed Bousekri, d’origine marocaine, est identifié comme le prêcheur de la mosquée d’Ambilly. D’autres lieux de culte sont, eux, fréquentés par des musulmans d’origine turque ou algérienne, comme ceux qui se rendent à la salle de prière Nour, dans le quartier du Perrier.
Terrain pour la Grande Mosquée
Pourquoi l’imam Bousekri, discret et très respecté, étend-il ses prérogatives au-delà du service religieux? La réponse tient en deux mots: Grande Mosquée. Après 20 années de demandes restées sans effets, la communauté musulmane aura enfin un vrai lieu de prière assez vaste (7 500 m2) pour accueillir 800 fidèles le vendredi. Le 18 février dernier, le conseil municipal s’est en effet prononcé en faveur d’une vente au CCMA d’un terrain communal situé dans le quartier du Brouaz. Cette vente a entraîné la révision des statuts de la CCMA avec la constitution notamment d’un fonds de dotation (organe qui gérera la nouvelle mosquée) puisque la construction et le fonctionnement de l’édifice seront financés par des dons individuels et privés; mille personnes ont déjà cotisé.
Mais c’est avant tout le contrôle du lieu et son esprit qui font débat. Rencontré récemment à la mosquée d’Ambilly, l’imam Bousekri clame sa légitimité: «A l’heure où enfin un lieu de culte digne ce nom va s’élever, il est normal que l’autorité religieuse que je représente ait son mot à dire. Nous menons des discussions car c’est un grand changement pour notre communauté, cela ne va pas sans tensions parfois».
L’imam regrette par ailleurs «qu’une presse locale évoque des choses qui n’existent pas comme la présence à mes côtés de musulmans radicaux». «J’officie à Annemasse depuis 30 ans, ça se saurait si j’étais un radical», argumente-t-il. Et de prendre à témoin le colloque «contre la radicalisation» qu’il a organisé le 23 janvier à Annemasse, rassemblant des responsables religieux de toute confession, des élus et des sociologues. Il y a déclaré entre autres «adhérer au pacte républicain et défendre la laïcité».
Des fidèles parlent cependant d’allées et venues en début d’année «de deux jeunes inconnus fanatisés qui ne sont pas restés longtemps mais qui n’auraient jamais dû entrer». L’imam Bousekri n’est pas soupçonné de connivence avec ceux-ci «car c’est un homme d’ouverture et de paix»; on lui reproche davantage d’avoir été négligent et d’avoir manqué d’autorité. Ce qui dans la perspective du rôle qu’il est désormais amené à tenir au sein de la CCMA «pose des questions».
Christian Dupessey, maire d’Annemasse, regrette le départ d’Hamid Zeddoug (qui n’a pas souhaité s’exprimer dans nos colonnes) en qui il avait confiance et se dit étonné de l’entrée de Mohammed Bousekri au sein du conseil d’administration du CCMA. «Son autorité est morale et religieuse plus qu’administrative, mais cela reste une affaire qui regarde la communauté musulmane». L’élu réitère bien entendu son offre de vente de terrain mais restera attentif à la constitution du fonds de dotation «qui devra être composé de membres indiscutés et indiscutables». «Tous les Musulmans de l’agglomération d’Annemasse doivent se reconnaître dans l’autorité morale de ces personnes», insiste-t-il.
Christian Lecomte
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