mercredi, 22 juin 2016
France : déjà la guerre civile ?
Après le double assassinat à Magnanville, Matthieu Chaigne analyse les conséquences possibles de l'accroissement des fractures françaises, notamment culturelles et religieuses.
Matthieu Chaigne est le co-fondateur de Délits d'Opinion, observatoire de l'opinion publique et des sondages, et directeur conseil chez Taddeo.
Est-ce que la France peut s'enfoncer dans une guerre civile, le pays se déchirer entre ses communautés?
Est-ce qu'une escalade incontrôlable de violence pourrait, demain, pousser des individus à prendre les armes?
En d'autres termes, est-ce que Daech serait en mesure d'exporter sa guerre hors des frontières du Califat? Alors que l'Organisation islamique connaît un net recul sur ses bases arrières, rendant de plus en plus hypothétique la création d'un Etat autonome, son plan de bataille est entré dans une seconde phase: espérer que les attentats menés par les fous de Dieu finissent par engendrer une vague de violence incontrôlable au cœur de l'Occident.
Or, le terreau n'a jamais été aussi propice sur le territoire français. A tout moment, l'étincelle peut embraser des esprits particulièrement à vifs.
Il y a d'abord cette inquiétude latente qui s'est insidieusement installée au cœur du pays.
Cette bataille, Daech l'a incontestablement gagnée. Le virus de la peur s'est propagé au rythme des attentats. Toutes les études convergent: aujourd'hui, une écrasante majorité de Français avoue être angoissée au quotidien pour soi et ses proches. Un climat qui a conduit presque un quart des Français à changer ses habitudes. Baisse de fréquentation des restaurants et des bars, musées amputés d'une partie des touristes, fan zones à moitié vides: les indicateurs quantitatifs corroborent le sentiment de lourdeur qui transpire des villes. Un cancer de la suspicion généralisé, qui amène chacun à voir dans l'autre une menace potentielle.
Et qui nourrit le deuxième ingrédient de l'embrasement: la défiance. Une défiance qui puise ses racines sur un déracinement culturel. Aujourd'hui, une majorité de nos compatriotes considère «qu'on ne sent plus chez soi comme avant en France» selon une étude Ipsos. Un chiffre qui monte à 98% chez les électeurs FN et 73% chez les électeurs Républicains. Dans leur ligne de mire, les vagues migratoires successives qui menaceraient la culture nationale. La théorie du remplacement, portée par les mouvances d'extrême-droite infuse peu à peu la société Française. Ce serait «eux ou nous». Dans cette vision binaire de la société, plus de place pour la coexistence. Le racisme s'est imposé. Les Français sont les premiers à l'admettre. Plus de deux tiers jugent que ce phénomène est présent dans la société, touchant bien sûr les individus d'origine étrangère, mais aussi de plus en plus «les Français de souche».
C'est donc le portrait d'une société fracturée qui se dessine, et sur lequel l'extrémisme islamiste cherche dorénavant à importer sa guerre. Il peut pour cela compter sur un troisième ingrédient, peut-être le plus explosif: le continuum perçu entre islam et islamisme.
Une part croissante de Français ne fait plus de différence entre islam et islamisme. 37% parmi les électeurs FN, un cinquième parmi l'ensemble de nos compatriotes estimant que nous sommes en guerre, ne montrent pas seulement les djihadistes du doigt, mais également l'Islam selon les données d'Ipsos.
Cette confusion des esprits se nourrit de l'image très contrastée de l'islam en France. Une religion qui peine, aux yeux de nos compatriotes, à se fondre dans le sillon de la République. Pour trois quarts des Français, la religion musulmane chercherait à imposer son mode de fonctionnement aux autres. Ainsi, peu à peu - et même si cela ne concerne encore qu'une minorité de Français - Islam et terrorisme finissent par ne faire plus qu'un.
Mettre Islam et islamisme sur le même plan, c'est forcément aller vers une guerre civile. Confondre Islam et Islamisme, c'est demain légitimer une attaque d'une mosquée comme vengeance à un attentat de Daech. C'est acter le début d'une escalade incontrôlable, entraînant les majorités silencieuses à se positionner entre deux extrémismes.
Trop silencieuse? Parfois accusée de ne pas prendre ses responsabilités, la communauté musulmane a dans sa grande majorité une position sans équivoque: ainsi une étude menée par Ipsos en 2016 démontrait que seuls 2% des musulmans avaient une bonne image de Daech, 78% une mauvaise image. Mais 16% déclaraient ne pas assez connaître Daech pour se prononcer… Si la tentation du pire existe aussi dans la communauté musulmane, elle est encore minoritaire.
De part et d'autre, le poison de la discorde menace. Au bord du précipice, le pays saura-t-il trouver la ressource nécessaire pour demeurer uni?
Demeurer unis, c'est d'abord pour les Français imaginer autour de quelles valeurs se rassembler.
Demeurer unis, pour les Français, c'est savoir précisément quelle place assigner à chaque chose. Aux citoyens, à l'Etat, aux religions.
Demeurer unis, c'est enfin partager un même objectif: autour de quelles conquêtes unir des voix singulières?
Des défis qui ressemblent fort au combat de la dernière chance pour le prochain Président.
Matthieu Chaigne
23:07 | Lien permanent | Commentaires (0)
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