dimanche, 03 juillet 2016
Après les agressions à Cologne, les Allemands ont-ils sombré dans la peur des immigrés?
Le 31 décembre, des centaines de femmes ont déclaré avoir été agressées sexuellement dans la rue à Cologne. Qu’est-ce que ces événements ont changé dans la société allemande, six mois après ?...
Le 31 décembre 2015, le soir de la Saint-Sylvestre, Cologne était le théâtre d’une vague de violences, notamment sexuelles, contre des femmes, attribuées à des migrants. Point sur l’enquête, reportages, témoignages… Six mois après, 20 Minutes revient sur ces événements qui ont scandalisé l’Allemagne, alors aux prises avec un afflux sans précédent de demandeurs d’asile.
Le 1er janvier 2016, l’Allemagne s’est réveillée avec la gueule de bois. Durant la nuit de la Saint-Sylvestre, des centaines de femmes ont déclaré avoir été victimes d’attouchements et agressions sexuelles en pleine rue, à Cologne. Leurs récits se recoupaient : leurs agresseurs étaient des immigrés, des réfugiés peut-être. Ce fut un séisme dans le pays, qui ouvrait alors ses portes en grand aux migrants : l’Allemagne a accueilli 1,09 million de demandeurs d’asile en 2015. Pourtant, six mois après, le choc n’a pas cédé la place à la peur de l’immigré attisée par les partis d’extrême-droite.
Cristallisation des peurs
Pourtant, au lendemain des agressions, la stupeur était totale : la politique généreuse d’accueil des réfugiés devait-elle être remise en cause ? « Ces agressions sont arrivées au pire moment : le nombre d’entrées dans le pays n’avait jamais été aussi élevé, explique Orkan Kösemen, chargé de programme Intégration et éducation à la très influente Fondation Bertelsmann. Donc cela a donné à tous les sceptiques de la politique d’accueil et à l’extrême-droite un argument pour dire : "Vous voyez, on vous l’avait bien dit". » Sur fond d’angoisse montante, les agressions sexuelles et tout ce qu’elles transportent de fantasmes culturels ont cristallisé les peurs des Allemands.
Mais après les feux d’artifice du nouvel an et l’explosion de colère, la fumée qui planait sur les événements s’est dissipée : les agresseurs présumés n’étaient pas des réfugiés fraîchement arrivés mais en grande majorité des immigrés algériens et marocains présents dans le pays depuis quelques années. Les victimes ont rapporté qu’ils leur avaient parlé en allemand, preuve qu’ils n’étaient pas arrivés à Cologne la veille. « Certains d’entre eux étaient certainement des petits criminels avec une carrière de délinquant derrière eux », estime Orkan Kösemen. Ce rétablissement de l’identité des agresseurs a permis à l’opinion « de distinguer un criminel d’un réfugié syrien, afghan ou irakien », poursuit l’expert. Pas d’amalgame, comme on dirait en France. « Les Allemands sont fiers de ne pas avoir pas fait de lien entre ces événements et les réfugiés, et sont restés très fermes dans leur politique d’accueil », note Catherine de Wenden, docteur en science politique à Sciences Po.
« Les Allemands en veulent plutôt à l’Europe »
Les discours anti-islam de l’AfD et de Pegida, les deux partis de droite populiste en Allemagne, n’ont connu qu’un bref et limité succès. En revanche, les Allemands ont demandé des comptes à leur gouvernement sur sa capacité à maintenir l’ordre dans le pays. « La colère des gens s’est focalisée sur cette question : comment, sur une place publique avec plusieurs milliers de personnes, la vie des gens peut-elle être mise en danger alors que la police est présente ? N’est-elle plus en mesure de venir en aide aux citoyens en détresse ? », explique Henrik Utterwedde, chercheur à l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. « Le monde politique a donc été bousculé dans le sens de redonner de la force à l’état régalien ».
Le flux inégalé de réfugiés à la fin de l’année 2015 commençait à inquiéter les Allemands : était-il possible de contrôler toutes les entrées ? D’enregistrer chaque personne ? Après le drame de la Saint-Sylvestre, Angela Merkel devait reprendre les choses en main : « Les partis de gouvernement, le SPD [gauche] et la CSU de Merkel [droite], ont axé leurs actions sur la maîtrise des flux. La politique d’accueil avait déjà commencé à changer mais depuis le début de l’année le nombre de réfugiés baisse continuellement », observe Henrik Utterwedde. « Merkel en ressort plutôt avec avec une très bonne image, car elle a conservé une position courageuse », ajoute Catherine de Wenden. « Les Allemands en veulent plutôt à l’Europe qui n’est pas assez solidaire dans l’accueil des réfugiés. »
Une situation « un peu précaire »
Bien moins implanté que le Front National en France, l’AfD a néanmoins gagné quelques points dans l’Est de l’Allemagne de l’Est aux dernières élections régionales. La CSU, branche bavaroise de la CDU, a également reproché à la Chancelière d’être trop naïve et pas assez ferme vis-à-vis des réfugiés. Mais au final, deux tiers des Länder ont voté pour des partis favorables à l’accueil de migrants. « La culture de l’asile est forte en Allemagne en raison de l’histoire du pays : après la Seconde guerre mondiale, des millions d’Allemands sont revenus d’exil. Aujourd’hui, le droit d’asile est inscrit dans la loi fondamentale, cela fait partie de l’identité allemande et c’est ce qui fait la différence avec d’autres pays européens qui s’alignent plus facilement sur l’extrême-droite », analyse Catherine de Wenden. « Mais les Allemands pensent aussi que si les gens ne sont plus en danger dans leur pays d’origine, ils doivent y retourner », nuance Henrik Utterwedde.
Il y a néanmoins une condition pour que les Allemands gardent les bras ouverts : que l’Etat soit capable de gérer les flux d’immigration et de les répartir dans le pays. « Ce qu’attendent les citoyens aujourd’hui, ce sont des résultats. Si les flux d’entrée continuent à diminuer [16.281 personnes sont entrées en mai 2016 en Allemagne, contre 91.671 en janvier], le soufflé créé par l’AfD pourra retomber. Mais si ça repart à la hausse, ou que d’autres faits divers sont exploités par des groupes malveillants, il pourrait y avoir des tensions. La situation actuelle est un peu précaire », reconnaît Henrik Utterwedde. L’Allemagne pourra-t-elle continuer à éluder le débat sur l’intégration des immigrés dont une économie prospère, pourvoyeuse d’emplois pour tous, l’avait dispensée ? « Ce débat s’ouvrira certainement après l’été, quand on aura enregistré tous les réfugiés, ceux qui ont une éducation, ceux qui n’en ont pas, les femmes, les enfants, et qu’on se demandera : "Et maintenant, on fait quoi" ? », estime Orkan Kösemen.
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