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mercredi, 06 juillet 2016

Un été risqué pour la jungle de Calais

L’État accepte peu à peu de pourvoir à ses obligations d’accueil des réfugiés. Deux enseignants animent une micro-école dans le bidonville depuis un mois. Dans le même temps, la réduction de l’espace vital des réfugiés est source de tension.

Vue de la jungle de Calais le mois dernier. Aujourd’hui, certains migrants renoncent à partir en Grande-Bretagne et demandent asile en France.

Vue de la jungle de Calais le mois dernier. Aujourd’hui, certains migrants renoncent à partir en Grande-Bretagne et demandent asile en France. / Philippe Huguen/AFP

« Les progrès des enfants sont époustouflants ! » Depuis un mois, Constance Calais, accordéon à l’épaule, enseigne dans le bidonville de Calais. La micro-école dite dispositif d’accueil et d’enseignement (DAE) dans le jargon de l’éducation nationale se compose de deux conteneurs dans lesquels deux enseignants accueillent chacun une classe, l’une pour les enfants, l’autre pour les adolescents. « Nous pensions qu’il faudrait aller chercher les enfants un par un, poursuit Constance Calais. Mais ils sont extrêmement motivés et enthousiastes. Il faut les mettre dehors à la fin de la classe ! »

En raison des parcours migratoires familiaux au long cours, beaucoup d’élèves parlent déjà plusieurs langues. « Ils ont un potentiel linguistique fou », s’étonne l’enseignante. Avec les adolescents, Sylvain Bélart doit, lui, composer. « Certains veulent apprendre l’anglais, d’autres le français, je fais les deux et ruse pour augmenter la part de français. »

Le DAE apparaît comme une petite enclave de soleil dans la « new jungle », le bidonville de Calais relégué depuis le printemps 2015 sur le terrain vague, balayé par la pluie et le vent, qui prolonge la zone industrielle par-delà la rocade est de la ville. Un coin de bonheur où 20 à 25 enfants sont quelques heures par jour presque des élèves comme les autres. Un troisième enseignant pourrait rejoindre l’équipe en septembre pour renforcer l’offre.

Des cours assurés par des bénévoles mais aussi des réfugiés

« On se réjouit de l’ouverture – enfin ! – de cette école. Toutefois l’État reste très loin de satisfaire l’obligation de scolarisation des enfants de 6 à 16 ans », tempère François Guennoc, vice-président de l’Auberge des migrants, l’une des principales associations présentes dans le bidonville.

Or d’après le recensement réalisé mi-juin par l’ONG anglaise Help Refugees, 700 enfants vivent dans le bidonville, dont 544 mineurs isolés, sur les plus de 6 000 réfugiés (la préfecture évalue de son côté la population à 4 600 migrants, dont 350 mineurs isolés). Jusqu’à présent ce sont les associations, les bénévoles et les réfugiés eux-mêmes qui ont pourvu cahin-caha – et qui continuent à le faire – aux besoins élémentaires d’apprentissage des enfants et de cours de langue pour les adultes.

Zimako Mel Jones, Nigérian, un des premiers arrivés sur les lieux l’an dernier, a déployé une énorme énergie pour bâtir son « école laïque du chemin des dunes » où interviennent une quarantaine d’enseignants bénévoles. Ses baraquements joliment agencés sont parmi les seuls rescapés, encore debout – avec une église, une mosquée, la « jungle books » librairie-école – sur la zone sud du bidonville rasée par les bulldozers en février et mars derniers. Un jugement du tribunal administratif avait imposé, sur recours des associations, le maintien des lieux de vie.

« La situation devient potentiellement explosive »

« Je ne bougerai pas, je resterai jusqu’au dernier bout de bois si on veut détruire l’école », avertit Zimako devant une troupe de cirque venue faire un spectacle pour les enfants, évoquant la possible destruction de la zone nord. « La réflexion est en cours. Aucune décision n’est prise, affirme le sous-préfet, Vincent Berton. La situation pour l’instant est figée. »

Tellement figée qu’aux entrées du bidonville, les forces de l’ordre fouillent les voitures pour interdire l’entrée de tout matériel de construction depuis la violente rixe entre occupants du bidonville, qui fit une quarantaine de blessés, et l’incendie qui ravagea des cabanes sur 3 500 m2 le 26 mai dernier. Plus de 800 personnes se sont alors retrouvées sans abri.

« C’est le retour des tentes qui protègent mal du vent et de la pluie ! », s’insurge François Guennoc. En raison de l’interdiction de construction de cabanes, quelque 1 200 tentes ont été installées sur la zone brûlée et nettoyée. « Au camp ouvert de Grande-Synthe (près de Dunkerque), la commission de sécurité impose une distance de 5,30 mètres entre deux abris tandis qu’à Calais, le sous-préfet refuse de décongestionner cet espace confiné de tentes. Il y a tellement de concentration et de promiscuité que la situation devient potentiellement explosive. Je crains l’évolution au fil de l’été », s’inquiète Vincent de Coninck, du Secours catholique.

Plus de mille personnes supplémentaires en un mois

Beaucoup renoncent à l’eldorado de la Grande-Bretagne et acceptent de partir pour l’un des 134 centres d’accueil et d’orientation (CAO) répartis sur le territoire français pour y demander l’asile. « 36 personnes sont parties mercredi dernier, nous avons deux à trois départs par semaine, un total de 4 500 personnes parties depuis l’automne dernier », se réjouit Stéphane Duval, directeur du centre d’accueil provisoire (CAP) installé depuis le début de l’année sur le site du bidonville où 1 500 personnes trouvent un lit dans un des conteneurs dortoirs et où 220 femmes et enfants sont accueillis dans la zone famille voisine.

Mais ils sont aussi chaque jour plus nombreux à converger vers Calais, point de mire d’une partie de ceux qui empruntent la route via la Libye et l’Italie. La population du bidonville a augmenté de mille personnes en un mois selon Help Refugees.

« Le Ramadan est l’occasion d’une trêve temporaire », souligne Anneliese Coury, de Médecins sans frontières. « Mais les tensions sont très fortes, les gens prennent de plus en plus de risques pour tenter de passer en Angleterre. Ils sont de plus en plus désespérés. Le manque de place, la frustration de ceux qui n’ont pas d’abri en dur, etc. Tout nourrit les tensions. À la moindre étincelle, tout peut s’enflammer très vite. »

Marie Verdier (à Calais)
 

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