mercredi, 13 juillet 2016
Pourquoi l’identité nationale refait parler d’elle dans la campagne
Tribune libre. Après quelques signes d’essoufflement, le thème de l’identité revient en force. Il est en passe de devenir un sujet central de la campagne présidentielle, à tout le moins, de la primaire de la droite.
L’épisode raté du débat sur l’identité nationale avait remisé le thème au fond des tiroirs. Il ressort aujourd’hui et ce n’est pas un hasard. D’abord parce qu’il est clivant et différenciant. Ensuite parce qu’il permet d’aborder plusieurs champs, celui de la République, de la nation, comme celui des valeurs. Pourtant des enquêtes récentes ont montré que les Français étaient de moins en moins réceptifs à ces thématiques. Une étude de l’Ifop réalisée dernièrement, souligne que seul un tiers des personnes interrogées se déclare sensible à ces termes. 47% des sympathisants du Parti Socialiste disent que ça ne les touchent plus vraiment, contre 53% qui y sont encore sensibles. Chez les Républicains, la proportion s’inverse. 53% disent que ça ne les touchent pas contre 47% qui pensent le contraire. Aux extrêmes, le taux d’insensibilité est plus marqué. 57% chez les sympathisants du Front de Gauche et 70% chez ceux du Front National ou la notion de République peut parfois faire référence au Système que ces partis combattent.
Entre le recours à la République, largement exploité par la gauche en particulier après des attentats de 2015 et la tentation de la droite à réinventer le thème de l’identité nationale, un débat politique s’est installé. Mais là encore, les Français semblent de moins en moins touchés par ces discours. Ils se divisent d’ailleurs en trois groupes dès lors qu’il s’agit de se prononcer sur les propos les plus évocateurs de sens. 38% se disent touchés par les politiques quand ils parlent d’identité nationale. C’est davantage le cas dans l’électorat de droite et d’extrême droite, mais c’est également vrai pour un quart des sympathisants de gauche. 33% disent être sensibles aux discours sur la République quand 29% se déclarent indifférents à ces deux concepts. C’est bien dans les électorats les plus mobilisés que ces sujets fonctionnent le mieux. Nicolas Sarkozy ne s’est d’ailleurs pas privé de relancer sa conquête en utilisant ce registre identitaire : « La campagne va se jouer sur la France, la République, la culture française, avec deux questions majeures ; qu’est-ce qu’être français ? Et que va devenir la France ? Il oblige ainsi ses concurrents à opérer un tournant pour venir sur un sujet plus clivant que les choix techniques sur le taux de la CSG ou la défiscalisation des heures supplémentaires. C’est d’ailleurs sur ce terrain identitaire qu’il se sent le plus crédible à défaut d’être rassembleur, et même si la période « buissonnière » ne lui a guère été profitable. Quand Bruno Le Maire et François Fillon en appellent à la culture et à l’histoire, quand Alain Juppé déroule le concept de l’identité heureuse, quand Jean François Copé flatte la fierté d’être français, Nicolas Sarkozy, lui, exploite les fractures françaises et s’appuie sur la vision d’une France éternelle attendue par une majorité de l’électorat des Républicains. Mais aucun ne dit vraiment que la République « une et indivisible » ne suppose pas forcément une identité « une et indivisible ».
Ce tournant identitaire de la campagne est aussi inspiré par une production littéraire particulièrement dense, elle-même suscitée par un contexte dans lequel la laïcité est bafouée, les communautarismes stimulés, les tentations nationalistes exacerbées. Dans la préface qu’il consacre à la « République identitaire » de Béligh Nabli, Michel Wieviorka souligne combien les mots de République, de Nation et d’Identité déchaînent les passions. La « guerre des deux France » du début du XXème siècle qui opposait une gauche républicaine, laïque et dreyfusarde et une droite catholique, un brin nationaliste, a laissé place à un unanimisme républicain facteur de tensions et de crise. Béligh Nabli montre comment les clivages demeurent, s’intensifient et se transforment entre partisans d’une République ouverte à la diversité, ceux qui ne reconnaissent aucun particularisme dans l’espace public et les derniers qui veulent faire de la laïcité un moyen de préservation de l’identité nationale. Dans cette France à l’identité fracturée, Malika Sorel –Sutter, revient dans son dernier livre « Décomposition française – comment en est—on arrivé là ? » sur ces mythes de la diversité, de la discrimination positive qui ont conduit les politiques à la faiblesse face à la montée des communautarismes et à l’exigence d’assimilation. De son coté, Roger Martelli, historien de gauche, ex-communiste, publie un essai au titre provocateur « L’identité, c’est la guerre », dans lequel il explique comment la droite installe le thème de l’identité pour en faire un combat alors que la gauche abandonne son « pivot symbolique » de l’égalité. Après la fracture sociale, la fracture identitaire, décrite différemment pas ces trois auteurs, est en passe de devenir un des marqueurs d’une campagne électorale où la compétition n’a jamais été aussi rude et le résultat aussi incertain.
D’abord journaliste, puis conseiller d'un Premier ministre et d'un ministre de l'Intérieur, ex-directeur du Service d'Information du Gouvernement (SIG) et du Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale (SPQR), Vincent de Bernardi est aujourd'hui, directeur de la communication et des affaires publiques d'une organisation et chroniqueur au Magazine Paroles de Corse.
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