jeudi, 14 juillet 2016
La menace djihadiste, une aubaine pour l'ultra-droite française ?
Selon Patrick Calvar, le patron de la DGSI, une confrontation entre l'"ultra-droite" et le "monde musulman" pourrait survenir en cas de nouveaux attentats en France.
Lors de son audition du 24 mai dernier devant la Commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015, dont le contenu a été publié ce mardi, le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Patrick Calvar, ravive le spectre d'un choc communautaire excité par l'ultra-droite à la faveur des attentats djihadistes. Il prophétise :
"Vous aurez une confrontation entre l'ultra-droite et le monde musulman - pas les islamistes mais bien le monde musulman."
Pour le numéro 1 des renseignements français, cette confrontation est "inéluctable", et implique de "dégager des ressources pour [s']occuper d'autres groupes extrémistes".
Doit-on vraiment craindre que des groupuscules nationalistes radicaux mettent sur pied des représailles ou des expéditions punitives en cas de nouvel attentat sur le sol français ? Contacté par "l'Obs", le ministère de l'Intérieur tempère ces déclarations. Mais la sortie de Patrick Calvar interpelle sur la capacité de l'organisation terroriste à organiser le chaos en France, à quelques mois d'une élection présidentielle qui pourrait être marquée par un score historiquement haut de l'extrême droite. A Beauveau, on résume :
"La crainte est de voir la capacité de résilience affichée par la France au moment de Charlie et du Bataclan s'émousser."
"Vitalité" de l'ultra-droite
Patrick Calvar avait déjà évoqué les mêmes craintes, le 10 mai dernier devant la commission de la Défense nationale de l'Assemblée nationale. "L'Europe est en grand danger : les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l'ultra-droite qui n'attend que la confrontation", avait-il alors affirmé.
"Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d'anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements inter-communautaires".
L'entourage de Bernard Cazeneuve confirme le "regain de vitalité" de la mouvance de l'ultra-droite et "l'attention particulière" des services de renseignements. Exemple : les manifestations anti-migrants de Calais en février 2016, ou les perquisitions fructueuses menées chez plusieurs activistes identitaires pendant l'état d'urgence.
Autre signal début juin, quand Grégoire M., un jeune Lorrain employé dans une exploitation agricole, est arrêté - selon les services secrets ukrainiens (SBU) - près de la frontière polonaise, en possession d'un arsenal impressionnant : 125 kg de TNT, 5 Kalachnikov, 2 lance-roquettes, 5.000 munitions et 100 détonateurs. Les images de son arrestation le montrent vêtu d'un tee-shirt rouge portant le symbole du "Renouveau français", un groupuscule nationaliste. Des informations à prendre avec une "grande prudence" - notamment au sujet des conditions d'arrestation du jeune homme -, rappelle Beauvau. Mais qui acte néanmoins "la présence de militants identitaires aux intentions violentes" sur le territoire français.
"L'attitude de ces groupes évolue : ils agissent de plus en plus à découvert. Ils sont très actifs."
Et le travail de la DGSI réside précisément dans "l'anticipation de toutes les formes de menaces", "de l'ultra-gauche aux mouvements identitaires d'extrême droite", rappelle-t-on à l'Intérieur.
"Au lendemain des attentats de janvier, des lieux culturels et cultuels musulmans avaient été la cible d'attaques. Cela s'est reproduit après novembre mais dans une bien moindre mesure."
Stratégie du chaos de l'EI
La radicalisation potentielle de l'ultra-droite entre pourtant pleinement dans la stratégie du chaos de l'Etat islamique en France. Une stratégie qui s'appuie déjà sur sa relation ambiguë avec les discours identitaires portés par l'extrême droite, Front national en tête.
Au mois de février 2016, sa propagande avait certes désigné, dans son magazine francophone "Dar-al islam", les partisans du FN comme "cibles de premier choix". Mais ces menaces ne doivent pas être prises au premier degré. Elles expriment avant tout une stratégie "opportuniste", selon Jean-Charles Brisard, le président du Centre d'analyse du terrorisme (CAT), alors cité par "L'Express" :
"En visant le parti le plus dur à l'égard des musulmans, l'organisation contribue à faire monter les communautés les unes contre les autres, à créer le chaos."
Le parti d'extrême droite n'a pas attendu ces provocations de l'EI pour surjouer la carte de la confrontation. Quelques semaines plus tôt, Jean-Jacques Bourdin ayant avancé que les djihadistes français et le FN partageaient "une communauté d’esprit" sur "le repli identitaire", la présidente du FN s'était lâchée sur Twitter en publiant des photos - non floutées - d'exécutions menées par l'organisation terroriste.
L'hypothèse d'un EI suivant avec appétit la progression du FN a été encore relayée, le 1er juin 2016, par le maire écologiste de Sevran, Stéphane Gatignon, lors d'un débat sur Public Sénat avec Julien Sanchez le maire FN de Beaucaire :
"Finalement vous êtes opposés mais en même temps vous êtes des alliés objectifs quelque part… Le but c’est de fracturer la société française. Et la victoire de Daech, c’est cette fracturation de la société française."
Certains élus FN ont eu beau s'en offusquer sur les réseaux sociaux, le journaliste de RFI David Thomson, spécialiste du djihadisme, rappelle lui aussi à "l'Obs" qu'il existe de "vrais convergences" entre le discours de l'extrême droite et celui de l'Etat islamique et de ses soutiens :
"Quand le Front national dit que 'l'Islam est incompatible avec la République', les djihadistes applaudissent. Si un attentat mené au nom de l'EI peut faire augmenter le sentiment d'islamophobie, gonfler les scores du FN ou pousser la partie la plus radicale de l'extrême droite à l'acte, c'est une bonne chose pour les djihadistes. Ils peuvent dire aux musulmans de France : 'regardez vous n'avez rien à faire dans ce pays'".
Lucas Burel
09:58 | Lien permanent | Commentaires (0)
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