Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 29 juillet 2016

Comment fonctionne la double peine pour les étrangers, jamais vraiment supprimée ?

Beaucoup de personnalités politiques se sont prononcées à plusieurs reprises pour le rétablissement de la double peine pour les étrangers en France, à l’instar de Nicolas Sarkozy après l’attentat de Nice et celui de Saint-Etienne-du-Rouvray. Pourtant, elle n’a jamais été véritablement supprimée et existe donc toujours. En quoi consiste le régime de la double peine ?

Un principe daté de 1945

La « double peine » désigne le fait qu’un étranger – c’est-à-dire une personne qui n’a pas la nationalité française – ayant commis un délit ou une infraction sur le territoire français puisse en être exclue si « sa présence menace l’ordre public ».

En plus de la peine judiciaire, qui peut passer par de l’emprisonnement ou une amende, le condamné subit une mesure administrative complémentaire, l’interdiction judiciaire du territoire français, qui vise à l’exclure temporairement ou définitivement du territoire (à l’issue de son emprisonnement, le cas échéant).

Environ trois cents crimes et délits sont concernés : meurtre, viol, trafic de stupéfiants, vol aggravé, recel, blanchiment, espionnage, terrorisme, contrefaçon, etc. Si l’étranger expulsé revient sur le territoire, il risque une nouvelle peine de prison.

Autorisée par l’article 23 du 2 novembre 1945, la double peine peut être administrative ou judiciaire. L’expulsion est prononcée soit par le ministère de l’intérieur ou le préfet à l’aide d’un arrêté d’expulsion, soit par le tribunal par le biais d’une interdiction du territoire français (ITF), l’un ou l’autre pouvant être limité dans le temps ou définitif. D’autres mesures d’éloignement peuvent être prises pour renvoyer un étranger, comme l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), mais elles concernent plus largement des étrangers en situation irrégulière.

Mais, ces dernières années, de nombreuses voix se sont élevées à son encontre, dénonçant une atteinte au droit de séjour, à l’égalité devant la loi pénale ou encore à l’unicité de la peine. L’article 23 a ainsi été modifié plusieurs fois par de nouvelles lois.

Des exceptions…

L’arrêté d’expulsion est limité une première fois par la loi Defferre du 21 octobre 1981, qui instaure huit catégories « protégées » d’étrangers, qui, en prouvant leurs attaches profondes à la France, peuvent opposer un recours au renvoi. Ne peuvent donc pas être, en cas de démêlés avec la justice, renvoyés vers leur pays d’origine des étrangers qui remplissent les critères suivants :

  • les mineurs,
  • les étrangers qui habitent en France depuis l’âge de 13 ans (résidence habituelle) ou depuis plus de vingt ans (résidence régulière, sauf étudiants),
  • les étrangers qui ne sont pas en situation de polygamie,
  • les étrangers qui sont parents d’un enfant qu’ils élèvent ou dont ils contribuent « à l’entretien » depuis au moins deux ans,
  • les étrangers qui justifient d’au moins trois ans de mariage avec une personne de nationalité française,
  • les étrangers qui perçoivent une rente accident du travail ou maladie professionnelle pour une incapacité permanente de plus de 20 %,
  • les étrangers qui nécessitent une prise en charge médicale qui ne serait pas assurée dans le pays de renvoi,
  • les étrangers qui possèdent un droit de séjour permanent en tant que citoyen de l’Union européenne.

Ces critères ne s’appliquent pas si les faits reprochés à la personne étrangère relèvent d’une atteinte aux droits fondamentaux : incitation à la haine, terrorisme, faux-monnayage, participation à un groupe de combat.

En mars 2003, après plusieurs propositions de loi, le groupe de travail instauré par Nicolas Sarkozy propose une réforme, adoptée en novembre. La protection contre l’expulsion est étendue aux personnes étrangères arrivées en France avant l’âge de 13 ans et à celles qui y résident depuis plus de vingt ans. Là, les expulsions se transforment en assignation à résidence, comme le raconte Libération en 2004.

… mais pas de suppression

La double peine n’est donc pas supprimée ; son cadre d’application est renforcé. En 2013, le ministère de l’intérieur décompte ainsi 14 076 mesures d’éloignement forcé dans un rapport sur les étrangers en France. Parmi ces mesures, on retrouve les étrangers « en situation irrégulière qui sont sous le coup d’une OQTF, d’un arrêté de reconduite à la frontière, d’un arrêté d’expulsion préfectoral ou ministériel, d’une mesure de réadmission ou condamnés à une peine d’interdiction du territoire ». La double peine s’applique donc bien.

Ainsi, en 2010, on compte 3 750 interdictions du territoire français sur 13 456 condamnations pénales, pouvant être assorties d’une peine complémentaire, selon le rapport du 22 février 2012 fait dans le cadre de la proposition de loi tendant à renforcer l’effectivité de la peine complémentaire.

Aujourd’hui, une partie de la droite et de l’extrême droite appelle à généraliser la double peine, ce qui reviendrait à supprimer les exceptions existantes. Mais pour cela, il faudrait enfreindre plusieurs articles de la convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 8 sur le respect de la vie privée et familiale.

La France a été retoquée à plusieurs reprises par la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) au sujet de la double peine. Sur l’année 2015, elle a notamment constaté six violations du droit à un procès équitable (article 6) et une violation de l’article 8.

 Marie Boscher
 


Les commentaires sont fermés.