Vous êtes arrivés à Londres par l’Eurostar du matin, et voilà qu’après une rapide journée de travail suivie de quelques heures de déambulation dans une ville que vous n’avez pas visité depuis 10 ans mais qui vous fait toujours le même effet, vous êtes contraint de repartir vers Paris. Vous n’avez croisé que peu de divers au cours de la journée, et la propreté impeccable de la gare de St Pancras ne vous incite pas vraiment à partir, mais il le faut bien.
Un rapide passage dans un Marks & Spencer vous permet d’acheter un sandwich hors de prix, car le défaut de Londres est d’être atrocement chère. Toute la journée, vous n’avez eu à faire qu’à des employés avenants et souriants, que ce soit dans les magasins ou au guichet où vous avez acheté votre billet. Voilà que pour payer, vous tombez sur la seule caissière qui semble écoeurée d’avoir à vous parler. Son teint olivâtre et son hijab noir parfaitement ajusté ne vous enchante pas, mais vous passez outre : il vous faut vous hâter vers les contrôles de sécurité drastiques avant de pouvoir embarquer dans le train pour Paris.
Il semble que la femme qui officie devant le tapis roulant de l’inévitable machine à rayon X soit la soeur jumelle de la caissière que vous venez de quitter : même teint olivâtre, même hijab noir, même visage revêche et blasé. Vous vous dites qu’après tout, ce n’est pas pire qu’en France, où les agents de sécurité des aéroports ne portent pas de voile mais vous parlent comme si vous étiez un habitant de la cité rivale de la leur. Vous passez le portique qui se met à sonner pour une raison inconnue, car vous avez pourtant pris soin de vous dépouiller de tous vos effets métalliques, et voilà qu’un autre agent de sécurité se met en devoir de vous fouiller. C’est un petit homme courtois mais distant qui lui aussi a l’air de prendre comme une punition le fait de devoir communiquer avec vous. Sur un faciès qui rappelle vaguement celui du nouveau maire de la ville, il arbore une barbe courte mais hirsute dont la moustache maintenue soigneusement rasée trahit à l’observateur avisé le salafiste convaincu. Que fera-t-il si un « frère » tente de passer un objet tranchant ? Vous ne pouvez que vous perdre en conjectures, tout en remarquant avec un mélange d’agacement et d’amertume que les mahométans sont à la fois ceux qui assassinent et qui ont le droit de vous contrôler. Par une ironie détestable, vous êtes au choix suspect ou victime alors que l’envahisseur est terroriste ou agent de sécurité. Ce sont en quelque sorte les mêmes qui veulent vous tuer et qui vous désignent comme suspects de terrorisme. Le désir monte de vous en ouvrir à un voisin d’infortune, voyageur autochtone tout comme vous, mais vous gardez vos réflexions pour vous car, n’est-ce pas, on ne sait jamais ce qui peut se passer et qui pense quoi. Monde orwellien de terreur et d’autocensure.
Passé ce désagrément, vous vous retrouvez dans la foule des cadres et des touristes aisés qui eux aussi vont vers Paris. Deux heures et quinze minutes plus tard, vous descendez sur un quai de la garde du Nord. Il est tard, la gare est quasi-déserte. Au bout du quai, vous découvrez une trentaine de personnes qui attendent les voyageurs et dont la moitié sont des chauffeurs arborant une petite plaque au nom de leur client. Vous vous éloignez et aussitôt un groupe de maghrébins agressifs tentent de vous proposer des taxis clandestins avec un mélange de mépris et d’intimidation. Vous les ignorez superbement en pensant au désarroi du touriste non-averti qui doit subir ce genre de sollicitation. À peine êtes vous sorti de la gare que vous tombez sur des Noirs hébétés par l’alcool qui titubent lourdement en proférant des paroles sans queue ni tête. Rapidement vous vous éloignez de ces tristes sires, mais à peine avez-vous passé le coin de la rue que ce sont deux Roms avachis sur un matelas en mousse qui, enroulés dans une couverture crasseuse, tendent mollement la main en proférant d’un ton geignard trop bien rôdé pour être crédible les quelques mots de mauvais français mille fois répétés pour obtenir quelques pièces qu’évidemment vous ne leur donnerez pas, quand bien même vous les auriez.
Vous soupirez et essayez de trouver dans le paysage de quoi vous réjouir d’être rentré, mais où que porte votre regard, ce ne sont que papiers gras, mégots négligemment jetés et chewing-gums fossilisés sur un trottoir marqué durablement par des coulées d’urine. Paris est une ville sale, et ce n’est que l’habitude qui vous avait fait oublier à quel point l’endroit peut sembler répugnant. Le contraste avec la propreté exemplaire de Londres vous frappe d’un coup et vous ne pouvez-vous empêcher de vous dire que là où Londres est une métropole dynamique, Paris n’est qu’une sorte de musée crasseux qui vit sur sa réputation. C’est l’accablement qui vous envahit, et le hideux visage du maire de Paris vous vient à l’esprit. Vous chassez cette image déprimante alors même que, quelques centaines de mètres plus loin, vous arrivez à Barbès. Vous constatez avec une satisfaction mesquine que l’endroit est en voie de réhabilitation : le magnifique café Barbès, manifestement destiné à une clientèle bobo-chic, illumine doucement l’endroit, et vous vous prenez d’envie d’aller dire aux inévitables maghrébins qui traînent encore à cette heure tardive en s’apostrophant dans une langue gutturale que leur temps ici touche à sa fin et que les bobos auront la peau de leur quartier. Puis vous songez que de toute façon, cette brasserie chic et tendance ne s’adresse pas vraiment à vous, et vous passez votre chemin.
Vos compagnons d’Eurostar, eux, sont déjà dans leurs taxis et leurs VTC, filant vers quelque appartement en ville. Ils n’auront rien vu de toute la crasse et la vermine. La ville pour eux ne se vit qu’à travers les vitres d’un taxi, d’un café branché à un bureau de verre. Paris et Londres sont des métropoles paradoxales, l’une en perpétuelle chute à force de socialisme et d’immigration, l’autre en expansion permanente à force de libéralisme et, aussi peut-être, d’immigration. Et vous en venez à vous demander si vraiment vous y avez encore votre place, vous qui n’êtes ni immigré, ni socialiste, ni bobo, ni financier.
Mais vous voulez encore croire que Londres vous émerveillera toujours, et vous ne pouvez-vous résoudre à abandonner Paris à la bobocratie et à la racaille. Et vous vous demandez si vraiment votre amour et votre foi seront assez fort pour tenir tête aux forces du mal et de la laideur qui partout s’immiscent et sporadiquement se déchaînent.
Notre lutte et notre outrage sont avant tout esthétiques et moraux.
Paul Fortune
Lagauchematuer
Passé ce désagrément, vous vous retrouvez dans la foule des cadres et des touristes aisés qui eux aussi vont vers Paris. Deux heures et quinze minutes plus tard, vous descendez sur un quai de la garde du Nord. Il est tard, la gare est quasi-déserte. Au bout du quai, vous découvrez une trentaine de personnes qui attendent les voyageurs et dont la moitié sont des chauffeurs arborant une petite plaque au nom de leur client. Vous vous éloignez et aussitôt un groupe de maghrébins agressifs tentent de vous proposer des taxis clandestins avec un mélange de mépris et d’intimidation. Vous les ignorez superbement en pensant au désarroi du touriste non-averti qui doit subir ce genre de sollicitation. À peine êtes vous sorti de la gare que vous tombez sur des Noirs hébétés par l’alcool qui titubent lourdement en proférant des paroles sans queue ni tête. Rapidement vous vous éloignez de ces tristes sires, mais à peine avez-vous passé le coin de la rue que ce sont deux Roms avachis sur un matelas en mousse qui, enroulés dans une couverture crasseuse, tendent mollement la main en proférant d’un ton geignard trop bien rôdé pour être crédible les quelques mots de mauvais français mille fois répétés pour obtenir quelques pièces qu’évidemment vous ne leur donnerez pas, quand bien même vous les auriez.
Vous soupirez et essayez de trouver dans le paysage de quoi vous réjouir d’être rentré, mais où que porte votre regard, ce ne sont que papiers gras, mégots négligemment jetés et chewing-gums fossilisés sur un trottoir marqué durablement par des coulées d’urine. Paris est une ville sale, et ce n’est que l’habitude qui vous avait fait oublier à quel point l’endroit peut sembler répugnant. Le contraste avec la propreté exemplaire de Londres vous frappe d’un coup et vous ne pouvez-vous empêcher de vous dire que là où Londres est une métropole dynamique, Paris n’est qu’une sorte de musée crasseux qui vit sur sa réputation. C’est l’accablement qui vous envahit, et le hideux visage du maire de Paris vous vient à l’esprit. Vous chassez cette image déprimante alors même que, quelques centaines de mètres plus loin, vous arrivez à Barbès. Vous constatez avec une satisfaction mesquine que l’endroit est en voie de réhabilitation : le magnifique café Barbès, manifestement destiné à une clientèle bobo-chic, illumine doucement l’endroit, et vous vous prenez d’envie d’aller dire aux inévitables maghrébins qui traînent encore à cette heure tardive en s’apostrophant dans une langue gutturale que leur temps ici touche à sa fin et que les bobos auront la peau de leur quartier. Puis vous songez que de toute façon, cette brasserie chic et tendance ne s’adresse pas vraiment à vous, et vous passez votre chemin.
Vos compagnons d’Eurostar, eux, sont déjà dans leurs taxis et leurs VTC, filant vers quelque appartement en ville. Ils n’auront rien vu de toute la crasse et la vermine. La ville pour eux ne se vit qu’à travers les vitres d’un taxi, d’un café branché à un bureau de verre. Paris et Londres sont des métropoles paradoxales, l’une en perpétuelle chute à force de socialisme et d’immigration, l’autre en expansion permanente à force de libéralisme et, aussi peut-être, d’immigration. Et vous en venez à vous demander si vraiment vous y avez encore votre place, vous qui n’êtes ni immigré, ni socialiste, ni bobo, ni financier.
Mais vous voulez encore croire que Londres vous émerveillera toujours, et vous ne pouvez-vous résoudre à abandonner Paris à la bobocratie et à la racaille. Et vous vous demandez si vraiment votre amour et votre foi seront assez fort pour tenir tête aux forces du mal et de la laideur qui partout s’immiscent et sporadiquement se déchaînent.
Notre lutte et notre outrage sont avant tout esthétiques et moraux.
Paul Fortune
Lagauchematuer
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