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samedi, 22 octobre 2016

Est-on raciste parce qu’on utilise le mot « race » ?

 

 

L’alerte enlèvement lancée mardi soir a provoqué une polémique inattendue. Pour désigner le ravisseur de l’enfant, l’annonce a employé l’expression « individu de race noire ». Scandale ! Le ministère de la Justice, devant les réactions, modifie rapidement son texte, remplaçant le syntagme incriminé par « individu à la peau noire », puis « de couleur noire ». Il reconnaît que « la polémique est légitime » et que « ce terme » [de race], « très regrettable, n’aurait jamais dû s’y trouver », se défaussant par ailleurs, selon la presse, de toute responsabilité : le message est rédigé « par le terrain », c’est-à-dire par la police en lien avec le parquet, « dans un laps de temps très court ».

On peut d’abord s’étonner qu’une partie des téléspectateurs se soient plus émus de l’emploi du mot « race » que de l’enlèvement d’une petite fille de quatre mois : « C’est Nadine Morano qui est l’auteur de ça ? » s’indigne un tweeter, tandis qu’un autre commente, plus opportunément : « Retrouvons le bébé d’abord, on s’occupera du fan de Morano et sa “race noire” après. » Les associations antiracistes, comme la LICRA ou SOS Racisme, n’ont pas tardé à réagir, soit en se félicitant de la prise de conscience rapide de l’erreur commise, soit en dénonçant l’emploi du terme « race » dans un texte de l’État, exigeant des explications sur cette « aberration », ainsi que des mesures pour que de tels faits ne se reproduisent pas.

Mais, au-delà de ces réactions, il faut s’interroger sur la pertinence de cette polémique. On se souvient qu’en 2013, l’Assemblée nationale avait adopté, avec le soutien des socialistes, un texte du Front de gauche supprimant le mot « race » de la législation. François Hollande s’était même engagé, en 2012, à l’ôter de la Constitution. Paradoxe ! Ce terme fut introduit dans le préambule de la Constitution de 1946 – auquel celle de 1958 se réfère – pour mettre fin aux discriminations et rejeter les théories racistes : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés », peut-on lire dans la première phrase. Va-t-on accuser de racisme ceux qui ont combattu le nazisme ? 

Si le concept de race a pu servir de prétexte au racisme, le terme n’est pas, en lui-même, porteur de connotations négatives.
Cette polémique montre combien il est difficile de s’exprimer sur certains sujets sans risquer de se faire accuser des pires intentions. Au lieu d’expliquer ses dérives possibles vers des idéologies discriminantes, au lieu de démontrer, sans agressivité, que le terme de « race » n’est pas scientifiquement exact, au lieu de faire preuve de mesure et de discernement, on interdit l’emploi du mot. On recouvre le langage d’une chape de plomb de conformisme. Mais ce n’est pas en instaurant de nouveaux tabous qu’on supprimera le racisme. Bien plus : les censeurs les plus intransigeants, dans leur comportement manichéen, ont tendance à pratiquer eux-mêmes une exclusion à rebours. 
  Le plus étonnant, dans cette histoire, c’est l’outrance du tollé qu’elle a suscité. Ceux qui ont employé le mot « race » naturellement, sans penser à mal, seront-ils cloués au pilori avec, autour du cou, la marque de leur infamie ? Le président Obama, dans un discours prononcé à Philadelphie en 2008, n’avait pas hésité, lui, à l’utiliser : « La race est une question que notre pays ne peut se permettre d’ignorer » » déclara-t-il. En France, il serait taxé de racisme. C’est un comble !

Jean-Michel Léost

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