Le numéro 17 de Terre et Peuple débute par la recommandation que nous fait Pierre Vial de “penser à notre âme”, notre âme collective, celle qui nous méritera, non pas l’éternité, mais la pérennité en tant que peuple. Celle qui nous préservera, entre autres maux, de l’enfer du Golem américain, colosse d’argile irresponsable et fou.
Ensuite, Bernard Marillier, inépuisable sur le sujet de la symbolique, relève à propos de la chouette, entre autres, que l’aigle et elle représentent les deux formes fondamentales de la connaissance: la chouette, la connaissance rationnelle, par la perception de la lumière lunaire qui n’est que reflet, et l’aigle, la connaissance intuitive, par la perception directe de la lumière du soleil, que l’aigle reçoit les yeux ouverts.
Thomas Stahler décline l’origine, le rôle, l’importance, le sexe du dieu Soleil chez les indo-européens. Fils du dieu du ciel, il est presque partout de sexe mâle et possède rarement une épouse. Son rôle est d’abord limité: de son char céleste, il voit tout ce qui se passe sur terre. Mais il deviendra primordial sous les dernier Romains et, dans l’image du Sol invictus (le soleil invaincu), la figure emblématique des silhouettes européennes les plus rayonnantes, tels l’Empereur Julien, Frédéric II de Hohenstaufen et Louis XIV. Apollon reviendra, et pour toujours. Mais était-il vraiment parti ?
Pierre Bérard a cuisiné pour nous une copieuse et savoureuse recension du pamphlet de David Martin-Castelnau, “Les francophobes”, lequel fait l’inventaire de ce “grumeau de forces hétérogènes”. Cela débute par les Nazificateurs, acteurs éminents de l’oligarchie. Se trouve classé comme tel Bernard-Henry Lévy, qui prétend voir dans la France la patrie du national-socialisme. A ce bobard, répond l’imposture de la France raciste, répandue par la deuxième catégorie, les Xénophiles, qui confèrent aux immigrés un “statut victimaire”. La série se complète avec les Américanouillards, franchouillards repentis et reconvertis, avec les Darwiniens ou libéraux, surhommes du marché total, et avec les haineusement corrects, clients fidèles des sacrifices humains.
Mais le dossier central de ce numéro de T&P, dossier crucial, évoqué en couverture par un portrait de Recep Tayyip Erdogan, est consacré au refus résolu de l’entrée de la Turquie dans l’Europe. Encore faut-il savoir de quelle Europe il s’agit: de l’Europe-marché, marche-pied de l’hégémonie turque, ou de l’Europe-puissance que nous voulons, “bloc civilisationnel enraciné dans une histoire plurimillénaire et dans une géographie bien comprise, fondé sur un héritage très charnel à la fois helléno-germanique et pagano-chrétien,” qu’a ainsi défini Christopher Gérard. Ce que la Turquie ne pourra jamais être...
Pierre Vial rappelle la succession séculaire des affrontements de la Turquie avec l’Europe. Chaque fois, un choc frontal de deux civilisations, de deux visions du monde inconciliables. Le mot turc apparaît treize siècles avant JC dans des annales chinoises, avant d’être repris par les Arabes, pour qui il signifie brutal. C’est eux qui fonderont le royaume de Mongolie et c’est contre eux que sera été élevée la Grande Muraille de Chine. Les peuples turco-altaïques domineront la haute Asie, de la Mandchourie au Turkestan. C’est eux encore qui, emmenés par Attila, secoueront l’empire romain affaibli, qui sera sauvé, aux Champs Catalauniques, grâce à la coalition des Européens. C’est une autre vague turque, les Avars, que Charlemagne aura beaucoup de peine à endiguer. Les Bougres ou Bulgares et les Khazars menaceront ensuite les Byzantins et seront heureusement inquiétés eux-mêmes par la poussée arabe et musulmane. Islamisés, ils auront tôt fait de s’émanciper et puis de supplanter et de remplacer les sultans arabes. Les croisades sont, en fait, la contre-attaque européenne à la poussée asiatique. Après une période victorieuse, elles connaîtront revers sur revers et, non seulement la Terre Sainte, mais l’Empire romain d’orient et les Balkans seront conquis par les Turcs, qui ne seront arrêtés qu’à Vienne, il y a moins de trois siècles. Si la plupart des Européens l’ignorent, tous les Turcs le savent et en nourrissent fierté et ambition.
Bernard Marillier met en lumière la spécificité de l’islam turc et Thomas Stahler évalue la réalité, considérable, du paganisme turc: Tanri, le dieu du ciel, voit son nom utilisé aussi bien que celui d’Allah pour désigner Dieu et le croisant de lune comme l’étoile ne sont ni musulmans ni arabes.
Jean Mabire trace le portrait d’Enver Pacha, Albanais ou Bosniaque qui s’est voulu l’éveilleur de peuples turcs asiatiques. Il est le pendant inversé de Moustapha Kémal, Turc de Salonique, qui a entrepris de convertir l’empire ottoman en une nation moderne, aussi européenne que possible.
Jean-Gilles Malliarakis démontre par la géopolitique, notamment celle de l’eau et celle du pétrole, que “le rêve d’un monde turc de l’Adriatique à la muraille de Chine”, élément de l’identité turque, est irréductible à l’identité européenne.
Stéphane Bourhis, enfin, développe cinq bonnes raisons de dire non à l’entrée de la Turquie dans l’Europe.
Le numéro se clôture sur un bel hommage de François Fresnay à Leni Riefenstahl et sur une présentation, par Gilles de Fleury, de la BD de fiction spatiale Sillage.
In Renaissance Européenne n°58
ill : couverture de la revue Terre & Peuple n° 17
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