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mercredi, 01 novembre 2017

Gérard Collomb: "Nous avons déjoué 32 attentats durant l'état d'urgence"

Propos recueillis par Pascal Ceaux, Jérémie Pham-Lê et Boris Thiolay

[EXCLUSIF] Alors que l'état d'urgence prend fin ce mercredi, Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, en dévoile le bilan à L'Express et justifie la nouvelle loi antiterroriste.

Instauré quelques heures après les attentats de Paris -et prolongé à six reprises depuis lors- l'état d'urgence arrive à son terme ce mercredi 1er novembre. Après deux années sous un régime d'exception critiqué par certains avocats et organisations de défense des droits de l'Homme, une nouvelle loi "renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme" entre en vigueur.  

Ce dispositif intègre dans la législation ordinaire une série de mesures qui s'inspirent de l'état d'urgence: des "visites domiciliaires" chez un suspect remplacent les perquisitions administratives; des assignations à résidence, certes élargies à l'échelle du département, sont maintenues... Dans une interview à L'Express, chiffres inédits à l'appui, Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, revient sur ces deux années écoulées et évalue le niveau de la menace qui continue de peser sur le pays.  

 
 

La fin de l'état d'urgence signifie-t-elle que la menace terroriste a enfin diminué?  

La situation n'est plus la même qu'en novembre 2015 lors de la mise en place de ce dispositif d'exception. Avec les attaques simultanées à Paris, le pays était en état de sidération: nous ne parvenions pas à évaluer le phénomène en cours, et notamment le risque que d'autres tueries s'ensuivent. Deux ans après, la menace n'a pas baissé, mais elle a largement évolué. Même s'il nous faut rester très attentifs au risque exogène, avec des attentats téléguidés depuis les territoires contrôlés par Daech, elle revêt désormais un caractère essentiellement endogène, par le biais d'individus qui, depuis le sol français, constituent de petites équipes pour tenter de commettre des actions de masse, comme cela s'est produit à Barcelone, en août dernier, ou passent à l'acte individuellement.  

 

Comment évaluez-vous l'efficacité des mesures mises en place ces deux dernières années? 

L'état d'urgence a permis d'effectuer 4457 perquisitions administratives, au cours desquelles 625 armes ont été saisies, dont 78 de guerre. De plus, 752 personnes ont été assignées à résidence. Cela a incontestablement permis d'éviter des attentats et de clarifier de nombreuses situations. Depuis deux ans, 32 projets ont été déjoués, soit grâce à des renseignements venus de l'étranger, soit grâce à des mesures spécifiques liées à l'état d'urgence. Par exemple, c'est grâce à une perquisition administrative que les services ont découvert, l'an dernier, que deux individus projetaient de commettre une action terroriste à l'occasion de la campagne présidentielle. Cette année, au total, 13 attentats ont été déjoués, le dernier étant celui fomenté par deux détenus à la prison de Fresnes.  

D'autres pays européens, comme la Belgique ou la Grande-Bretagne, ont aussi été touchés par le terrorisme sans pour autant recourir à des lois d'exception... 

Tout simplement parce que ces pays ont des lois plus contraignantes que les nôtres. Ils n'ont pas eu besoin d'instaurer un état d'urgence, car leur législation ordinaire est suffisante. Mais, en 2015, la réalité nous a fait prendre conscience qu'il fallait nous adapter à la menace... 

La nouvelle loi antiterroriste fait entrer dans le droit commun des mesures inspirées de l'état d'urgence. N'avons-nous pas sacrifié quelques libertés au nom de la sécurité? 

Au contraire: les libertés individuelles sont mieux garanties que sous l'état d'urgence. Sans perdre de leur efficacité pour les forces de l'ordre, les nouvelles mesures sont très ciblées. Par exemple, les "visites domiciliaires" (qui s'inspirent du dispositif des perquisitions administratives) et les saisies chez des suspects sont désormais encadrées par l'autorité judiciaire: il faut un avis favorable du procureur et une décision du juge des libertés pour les déclencher.  

EXCLUSIF >> Perquisitions, assignations, saisies... Le bilan définitif de l'état d'urgence 

Un autre exemple: le fait d'instaurer des périmètres de protection autour de grands événements publics est essentiel. Cela sera le cas pour les marchés de Noël, notamment celui de Strasbourg, ou la fête des Lumières, à Lyon. Aujourd'hui, plus personne ne s'étonne que des policiers contrôlent les accès d'un rassemblement ou procèdent à des palpations par mesure de sécurité. Ce n'est plus vécu comme une contrainte, mais comme une précaution rassurante. Cette loi permet de continuer à assurer la sécurité des Français en laissant à nos services la possibilité d'opérer, car sortir de l'état d'urgence sans rien changer par ailleurs aurait rendu impossible la protection de ces événements populaires. 

Tout de même, n'existe-t-il pas un risque de dérive concernant la surveillance des échanges sur internet? Un internaute qui "like" un contenu djihadiste sur Facebook verra-t-il ses communications interceptées, sera-t-il l'objet d'une assignation dans sa commune? 

La surveillance des communications ou la restriction de circulation dans l'espace public ne s'obtiennent pas en claquant des doigts. Il s'agit d'un processus très encadré, qui ne peut pas viser un citoyen lambda: outre diffuser ou adhérer à la propagande djihadiste, d'autres critères rentrent en jeu, comme le fait d'avoir un comportement menaçant. Il y a beaucoup de gens qui s'informent sur le djihad ou l'islamisme radical sur internet, sans pour autant avoir des velléités terroristes. La tâche des services de renseignements est de détecter ceux qui sont susceptibles de constituer un danger. Par exemple, lorsque cette consultation devient habituelle.  

Les défaites militaires de Daech n'entraînent pas la fin du péril djihadiste. Le retour des combattants français représente-t-il réellement une menace majeure?  

Nous savons que beaucoup de djihadistes français sont morts dans les zones de combat. La guerre a été extrêmement dure: nous avons une estimation de 278 décès sur place, mais ce chiffre est probablement sous-estimé. Quant à ceux qui ont survécu, nous n'assistons pas à un mouvement de retour massif.  

Est-il envisageable que certains d'entre eux soient rentrés clandestinement?  

Il existe toujours une possibilité que certains puissent revenir et rester dans l'ombre. Je ne peux pas certifier qu'il n'existe aucun cas de ce type. Mais nous faisons tout pour recueillir du renseignement sur ces retours pour empêcher toute action hostile de leur part. En revanche, tous les returnees connus et identifiés font l'objet de procédures judiciaires. Notre vigilance reste maximale: plusieurs djihadistes ont été arrêtés à leur retour sur notre sol, alors que Daech avait faussement annoncé leur mort. A ce jour, 302 Français sont rentrés depuis 2012: 244 adultes et 58 mineurs. Les premiers font systématiquement l'objet de poursuites judiciaires, les seconds sont placés. 

A l'inverse, des Français ont-ils pu fuir les zones de combat pour gagner d'autres bastions de Daech? 

Nous estimons qu'environ 700 ressortissants français ou résidents, dont 300 femmes, sont encore présents dans ces zones. Leurs possibilités de fuite sont réduites, mais elles existent. Nous pouvons supposer que certains tentent de gagner la Libye, où Daech contrôle encore quelques poches, en passant par l'Egypte. D'autres peuvent essayer de rallier l'Afghanistan ou l'Asie du Sud-est, la nouvelle zone d'expansion annoncée de l'Etat islamique. Nos services sont attentifs à ces mouvements.  

Aujourd'hui, il est quasiment impossible pour un Français candidat au djihad de rejoindre la zone irako-syrienne. Doit-on craindre une multiplication de passages à l'acte sur notre sol?  

Effectivement, nous n'enregistrons presque plus de départs. Rallier ces zones de combat équivaut plus que jamais à un suicide vain. Cela dit, il est clair que de nombreux Français sont toujours séduits hélas par l'idéologie de Daech et peuvent se radicaliser rapidement, sur internet ou au contact d'une personne de leur entourage, notamment familial. Il y a toujours 12 000 personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et suivies de manière active par nos services.  

Malgré tous nos efforts, nous ne pouvons pas exclure qu'un individu passe entre les mailles du filet et mène une attaque avec des moyens rudimentaires. Avec l'attentat de Barcelone, nous avons vu aussi qu'une petite cellule locale, dont aucun membre n'était allé en Syrie, était capable de semer la mort. Par ailleurs, certaines situations sont imprévisibles, avec des risques de passage à l'acte difficilement détectables. Récemment, nous avons eu le cas d'un adolescent radicalisé qui, après s'être disputé avec sa mère, a menacé de s'attaquer à des passants dans la rue avec un couteau... Heureusement, la mère a prévenu la police.  

D'ailleurs, il y a deux mois encore, deux jeunes femmes ont été tuées à la gare de Marseille par un djihadiste... 

Ce drame m'a particulièrement touché. Il nous rappelle qu'en matière de lutte contre le terrorisme, il ne faut jamais baisser la garde. Il serait présomptueux de croire que la fin de l'état d'urgence signifie que le danger est derrière nous.  

Daech appelle ses adeptes à frapper par tous les moyens. Quels scénarios redoutez-vous? 

Tous les risques sont pris en compte. Les forces d'intervention (GIGN, RAID, BRI), l'ensemble des forces de l'ordre, désormais formées et équipées, et les services de secours ont adapté leur capacité à répondre à des menaces variées. Nous travaillons par ailleurs en étroite articulation avec l'ensemble des départements ministériels et des opérateurs concernés, dont le niveau de vigilance a été considérablement accru ces dernières années.  

Un groupuscule d'ultra droite projetant des actions violentes, notamment contre des hommes politiques, vient d'être démantelé. Faut-il redouter l'émergence d'une frange terroriste raciste et identitaire?  

C'est une menace numériquement marginale, mais sérieuse. De petits groupes d'ultra droite cherchent, par la violence, à créer une fracture dans la population, en utilisant le "péril djihadiste" comme prétexte. C'est la stratégie de la tension. Il existe un risque que des individus isolés s'inspirent d'Anders Breivik, figure qu'idolâtrait d'ailleurs le leader du groupuscule démantelé, et passent à l'acte. Cette menace reste toutefois sans commune mesure avec le terrorisme islamiste. Nous y sommes cependant particulièrement attentifs, comme nous le sommes pour les individus appartenant à la mouvance de l'ultra gauche. 

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