samedi, 04 novembre 2017
Une extrême-droite très autrichienne
L’extrême-droite est aux portes du pouvoir en Autriche. Le vainqueur des élections législatives du 15 octobre dernier, Sebastian Kurz, devrait être le prochain chancelier – à 31 ans, le plus jeune de l’histoire autrichienne – à la tête d’une coalition entre son parti conservateur, l’ÖVP, et les populistes de droite du FPÖ, le parti dit « libéral ». En 2000 déjà, un des prédécesseurs à la présidence de l’ÖVP, Wolfgang Schüssel, avait constitué un gouvernement avec le FPÖ, alors dirigé par Jörg Haider. Cette alliance avait soulevé un tollé en Europe et au-delà. Israël avait rappelé son ambassadeur à Vienne ; les Européens avaient décidé d’ostraciser l’Autriche, jusqu’à ce qu’un comité ad hoc ait déclaré ne constater aucune infraction aux principes fondateurs de l’UE.
Wolfgang Schüssel s’était défendu à la manière de François Mitterrand en 1981, quand des communistes étaient entrés dans le gouvernement français. Il embrassait l’extrême-droite pour mieux l’étouffer. Il y a en partie réussi. Les populistes sont sortis lessivés de la coalition avec l’ÖVP. Méfiant, Jörg Haider avait préféré ne pas entrer au gouvernement où il aurait pu revendiquer le poste de vice-chancelier. Il était resté gouverneur de Carinthie, son land natal, appliquant la devise des anciens Grecs au temps des rivalités entre cités : il vaut mieux être le premier à Sparte que le second à Athènes. A la fin de la législature, le FPÖ était passé du quart des voix à quelque 5%. Le parti s’était divisé. Haider avait fait scission. Heinz-Christian Strache, son disciple, s’était retourné contre son maître. C’est lui aujourd’hui qui préside le FPÖ (Haider est mort en 2008, victime d’un accident de la route).
La chancellerie ou rien
« HCS », comme il aime se faire appeler, s’était juré qu’on ne l’y prendrait plus. S’il revenait au gouvernement, ce serait comme chancelier sinon rien. Avec l’élection présidentielle de 2016, il s’était cru près du but. Le candidat du FPÖ, Norbert Höfer, n’était-il pas arrivé en tête du premier tour avec plus de 35% des suffrages, laissant loin derrière le candidat des Verts, Alexander van der Bellen, et surtout les représentants des partis traditionnels (ÖVP et SPÖ) ? Un président de la République nommé Höfer n’aurait pas hésité à appeler le chef de son parti à la chancellerie. C’était sans compter le sursaut des électeurs autrichiens qui, après quelques péripéties bureaucratiques, donnèrent au deuxième tour la victoire à l’ancien écologiste.
Mais le FPÖ n’a pas eu aux dernières élections législatives le succès escompté. Les vieux partis ont retrouvé leur statut traditionnel. Le FPÖ est arrivé en troisième position, légèrement derrière les socialistes du SPÖ, HCS devra se contenter du poste de vice-chancelier et de ministre de l’intérieur dans le probable gouvernement Kurz.
Résignation désolée des Européens
L’indignation européenne de 2000 semble avoir cédé la place à une résignation désolée. Après tout, l’Autriche ne sera pas le seul pays membre de l’Union européenne comptant des populistes de droite dans son gouvernement. L’expérience de 2000 ne s’est pas terminée par la catastrophe redoutée et on oublie trop souvent que le FPÖ a déjà participé à une « petite coalition » avec le Parti socialiste de 1983 à 1986 avec le chancelier Fred Sinowatz. Et l’on pourrait même remonter en 1970 quand Bruno Kreisky, l’ancien résistant juif ami de Yasser Arafat, avait formé un gouvernement minoritaire « toléré » par le FPÖ.
Sans doute n’était-ce pas alors le même parti qu’aujourd’hui. Bien qu’ayant, dans les années 1950, servi au recyclage démocratique d’anciens nazis, le FPÖ conservait des restes de son ancrage d’origine, libéral et anti-clérical. Jusqu’à la prise du pouvoir par Jörg Haider, au milieu des années 1980, à la faveur d’un véritable putsch interne, il s’affirmait comme résolument européen, dans un pays que la « neutralité » tenait à l’écart de l’Europe unie.
C’est avec Haider que le FPÖ a pris le tournant du populisme flirtant avec l’extrême-droite. Né dans une famille de nationaux-socialistes militants, le Landeshauptmann de Carinthie se fit connaître en son temps par des propos qui le rapprochait du IIIème Reich. Volontiers pangermaniste, il qualifia un jour la création de l’Autriche de « fausse couche idéologique », réduisit les camps de concentration à des « camps disciplinaires » et loua la politique de l’emploi de Hitler qui « ne laissait pas de place au chômage ».
Un passé néonazi
Pour devenir respectable et avoir une chance d’arriver au pouvoir, le FPÖ a entrepris un processus de « dédiabolisation ». En partie réussi puisque selon des sondages, 75% des Autrichiens le considéreraient comme un parti « normal », intégré dans le système. Il participe d’ailleurs à des gouvernements régionaux, y compris avec les socialistes dans le Burgenland. On peut toutefois se demander si son président depuis dix ans, Heinz-Christian Strache, est la personnalité la mieux placée pour poursuivre cette œuvre de « normalisation ». Son passé ne plaide pas en sa faveur.
Dans les années 1980, HCS a fréquenté assidûment les milieux néonazis autrichiens et allemands. Il a été plusieurs fois interpelé par la police. Il a suivi des camps d’entraînements paramilitaires avec des néonazis allemands du NPD dans les forêts de Carinthie. En 1988, il fit partie des protestataires qui voulaient empêcher le Burgtheater, à Vienne, de programmer la pièce de Thomas Bernhard « La place des héros », sur la compromission de l’Autriche avec l’Allemagne hitlérienne. Il a gardé des liens avec la corporation étudiante Vandalia, une des Burschenschaft où le nombre de balafres sur les joues était un titre de gloire. Cinq de ses adjoints sont encore membres de ces associations qui glorifient la « Grande Allemagne », la communauté du sang et le « völkisch », l’identité du peuple aryen qui le distingue de tous les autres.
Chaque fois qu’il est confronté à son passé, Heinz-Christian Strache minimise ce qu’il concède comme les erreurs d’un jeune « qui se cherchait ».
Victimes et bourreaux
Ses électeurs ne lui en tiennent pas rigueur car il est représentatif de cette Autriche tiraillée par ses contradictions. Il est l’héritier de la génération « victime de la libération », qui se croyait du côté des victimes alors qu’une partie d’entre elle avait été du côté des bourreaux. L’Anschluss de 1938 garde son ambivalence d’unification imposée et de réunion à la mère patrie. Les militants du FPÖ continuent de défendre l’appartenance à la nation allemande tout en reconnaissant, pour certains du bout des lèvres, l’existence de l’Etat autrichien.
Pour la majorité des électeurs du parti populiste ces considérations historico-idéologiques ne sont pas aux racines de leur vote. Mais elles pèsent à un moment où des interrogations surgissent sur l’identité, la défense des valeurs traditionnelles, la place du pays dans la mondialisation. L’antisémitisme, encore latent dans les dernières années du siècle passé, l’a cédé à l’anti-islamisme. Pour tenter d’exorciser le passé, Heinz-Christian Strache a fait deux fois le pèlerinage à Jérusalem, avec un succès limité. En revanche, la Turquie est devenue la bête noire du président du FPÖ, suivi par Sebastian Kurz quand il n’était encore que ministre des affaires étrangères.
Notre ami Poutine
La vague de réfugiés qui a traversé l’Autriche à l’été 2015 quand l’Allemagne a ouvert ses portes a donné des arguments aux populistes sensibles au thème du « grand remplacement ». Par rapport à sa population, l’Autriche a accueilli proportionnellement deux fois plus de réfugiés que l’Allemagne. Comme l’anti-islamisme a remplacé l’antisémitisme, l’anticommunisme s’est transformé en « propoutinisme ». A l’instar de leurs homologues d’autres pays européens, les populistes autrichiens voient dans le Kremlin la forteresse qui défendra les valeurs chrétiennes face au déclin culturel de l’Occident. Ils ont conclu un accord de coopération avec le parti officiel Russie unie. Ils se sentent proches aussi des « démocraties illibérales » d’Europe centrale qui se trouvent être de surcroit, pour certaines d’entre elles, d’anciens territoires de l’empire des Habsbourg.
Les Autrichiens vont bien. La situation économique ne joue pas un rôle essentiel dans le succès relatif du FPÖ. Le chômage est bas et a tendance à diminuer, la croissance est stable, le niveau de vie, l’un des plus élevés d’Europe, est supérieur à celui des Allemands. Mais les Autrichiens souffrent de ce que le sociologue allemand Claus Leggewie appelle le « chauvinisme de la prospérité ». Ce qu’ils possèdent, « on » pourrait le leur reprendre, ce « on » indéfini qui englobe les migrants, les pays émergents, la globalisation, le « système » des partis traditionnels qui est incapable de les protéger – quand les populistes parlent en leur nom.
Les variations sur le thème « l’Autriche aux Autrichiens » ont remplacé les slogans ouvertement xénophobes ou hostiles à l’Europe. C’est bien cependant en vantant un repliement sur une Autriche d’autrefois mythifiée que le FPÖ va joindre sa voix à celles de tous les populistes européens.
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