mercredi, 22 novembre 2017
Le monde arabo-musulman, un baril toujours plus dangereux (IV)
L’intervention russe en Syrie a atteint ses principaux objectifs. La guerre n’est pas finie, mais le but visé et répété à satiété par les opposants syriens et plus encore par leurs soutiens occidentaux, arabes et turc, qui consistait à régler le sort de Bachar Al Assad, n’est plus d’actualité. Le Président syrien, qui était loin de faire l’unanimité contre lui, a tenu bon. Avec l’aide d’alliés qui interviennent sur le territoire national à sa demande, il a rétabli la situation militaire et contrôle la plus grande partie du territoire et une très large majorité de la population. La présence de forces militaires d’autres pays qui se livrent à des opérations en Syrie sans l’aval du gouvernement légal est une ingérence caractérisée. Juridiquement elle n’est pas fondée. Elle pouvait se justifier pour combattre l’Etat islamique. La défaite de celui-ci laisse l’Etat syrien aux prises avec des opposants dont les plus redoutables appartiennent à la nébuleuse Tahrir Al-Cham, c’est-à-dire à Al-Qaïda. La prétendue Armée Syrienne Libre n’existe qu’avec l’Armée turque au Nord à Al Bab et dans la province d’Idleb qu’elle dispute aux djihadistes. Une autre force d’opposition « modérée » est constituée par les Kurdes appelés « Forces Démocratiques Syriennes », soutenues par les Occidentaux et occupe une large bande de territoire sur la rive gauche de l’Euphrate. L’hostilité de la Turquie envers les Kurdes en dit long sur le caractère disparate voire explosif de l’opposition qui n’a aucune crédibilité. Le Président Poutine, dans un bref échange avec son homologue américain à Da Nang, disait pourtant que la solution serait politique. Sans doute, mais dans son esprit, contrairement à ce que Français ou Américains, ont entendu par ce mot, au Vietnam ou ailleurs, c’est à dire la défaite sans désastre militaire, la solution politique est pour lui l’autre nom de la victoire.
Le bilan actuel paraît globalement d’une grande confusion. Il est porteur de lourdes menaces pour l’avenir. La politique américaine ne sort pas de ses méandres à son avantage. Puissance mondiale monopolistique après la dislocation de l’Empire soviétique, les Etats-Unis n’ont pas su tirer profit de cette situation. Dans les années 1990, ils ont initié en Europe une politique d’ingérence humanitaire qui leur a permis de faire éclater l’ancienne Yougoslavie au détriment des Serbes, en multipliant de petits Etats sans véritable légitimité historique ou démocratique, comme la Bosnie ou le Kosovo. Ces créations ont surtout abouti à instaurer des pays trop faibles pour protéger leurs frontières et pour éviter une corruption généralisée. Les Musulmans, soutenus par la Turquie et les pays du Golfe, ont été les principaux bénéficiaires de la politique américaine dans cette région. Cette stratégie dans la ligne du soutien aux islamistes contre les Soviétiques en Afghanistan n’a pas été payé de retour. En 1993, se produisait le premier attentat au World Trade Center de NewYork, l’année même où les Américains quittaient piteusement la Somalie après « Restore Hope ». Les années Clinton, comme plus tard les années Obama seront caractérisées par une politique d’atermoiements et de compromis à l’égard du monde arabo-musulman, fait de sanctions économiques à l’encontre de l’Irak et d’un total aveuglement envers le danger islamiste. En 2000, c’était l’attentat contre l’USS Cole à Aden, et en 2001, le 11 Septembre… Une politique républicaine de croisade démocratique contre les terroristes et les dictateurs a alors été mise en oeuvre par le Président Bush. L’ennemi principal était l’islamisme, et alors que le combat contre lui était mené sans vigueur en Afghanistan, l’effort principal allait être porté contre la dictature irakienne. Pour le coup, les deux « n’avaient rien à voir ». L’échec de cette étonnante stratégie est aujourd’hui avéré au point qu’on peut se demander s’il y a une ou des politiques américaines. Au fond, les intérêts économiques et énergétiques des Etats-Unis sont primordiaux. La trame de leur action est constituée par l’alliance « pétrole contre protection » nouée le 14/2/1945 entre le Président Roosevelt et le Roi Saoud qui fait de l’Arabie Saoudite leur plus vieil allié dans la région, suivi d’Israël, dans une improbable configuration. La Turquie était le troisième, membre de l’OTAN, et gardienne des détroits.
Cet étrange brelan est aujourd’hui branlant : l’Arabie est riche et fragile à la fois, menacée par l’Iran et par les chiites, sur son sol et surtout chez son voisin yéménite, contre qui elle mène une guerre aux conséquences particulièrement inhumaines. Les islamistes contestent la légitimité des Saoud comme gardiens des lieux saints. La famille régnante s’appuie sur la forme la plus rigoureuse de l’islam, le wahhabisme, ce qui conduit ce pays à conserver des moeurs rétrogrades et une intolérance peu compatible avec l’idéologie qui prévaut à Washington. Ségrégation entre les sexes, entre les religions, peines d’une totale barbarie : curieux allié de l’Amérique, cependant accusé d’hypocrisie par les salafistes en raison même de l’alliance avec Washington et du train de vie des nombreux princes de la famille royale ! Dans le Golfe, Ryad a des concurrents : le petit et richissime Qatar ou les Emirats Arabes Unis. Le premier a vu récemment sa frontière fermée : déjà bienveillant à l’égard des Frères Musulmans, grands ennemis des Saoud, voilà que sa diplomatie erratique l’a rapproché de l’Iran. C’en était trop ! Les Emirats Arabes Unis semblent l’Etat pétrolier le plus sage. C’est lui qui soutient en première ligne l’Egypte de Sissi et le Maréchal Haftar en Libye, c’est-à-dire le retour au nationalisme arabe. Une révolution de palais se déroule actuellement à Ryad au profit du Prince héritier, Mohamed Ben Salman. Ses conséquences peuvent être considérables non seulement pour le royaume, qu’il veut, paraît-il, moderniser, mais pour toute la région. La démission du Premier Ministre libanais, qui possède également la nationalité saoudienne, et qui reste pour le moment en Arabie après l’avoir annoncée, tourne les regards vers le Liban, ce pays frère de la France et voisin d’Israël. Le Hezbollah, l’un des vainqueurs en Syrie, et proche de l’Iran, a montré sa puissance. Il est devenu la force principale du Pays du Cèdre et le Général Aoun, maronite comme il se doit, est son allié. On peut craindre qu’une telle situation soit trop menaçante, pour les Israéliens comme pour les Saoudiens, pour ne pas susciter la volonté de la changer. ( à suivre)
Christian Vanneste
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