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lundi, 08 janvier 2018

Les salafistes investissent les mosquées inachevées

Des mosquées inachevées sont investies par les salafistes, qui imposent leur loi aux fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses. Un cahier des charges a été confectionné pour la gestion des mosquées du temps de l’ancien ministre des Affaires religieuses, Bouabdallah Ghlamallah, pour la gestion des mosquées. Son successeur, Mohamed Aïssa, l’a mis sous le coude.

C’était la tour d’un ranch». Ce jeune habitant de Laâqiba, à Belouizdad (Alger), s’étonne que le minaret de la mosquée de son quartier, «Nadi El Islah», soit resté en l’état très longtemps : des bouts de ferraille. Situé à la rue Ben Ali Khodja, devenue après les opérations de démolition un cul-de-sac, l’édifice est toujours fermé. Une nouveauté pourtant depuis quelques semaines, un minaret, typique des mosquées maghrébines, prend la place de la tour de ferraille.

Mais si les gros œuvres sont achevés, l’intérieur de l’édifice est toujours en travaux. Juste en face, un espace de prière que rien ne distingue des autres constructions délabrées du quartier accueille des fidèles. Une plaque vissée au mur d’une habitation informe qu’un compte CCP et un numéro de téléphone sont mis à la disposition des «mouhsinine» (bienfaiteurs) qui participeront à l’achèvement des travaux. «Des opérations de démolition à cet endroit devaient être lancées en 2010.

L’APC n’a pas l’argent pour aider à la construction de cette mosquée. C’est donc un ‘‘mohsin’’ du quartier qui s’est occupé du minbar. Dernièrement, l’un des cinq ouvriers a chuté du haut de la structure, mais s’en est heureusement sorti avec des petites fractures aux pieds», signale un commerçant.

Si la mosquée du vieux quartier de Belouizdad est en cours d’achèvement grâce à un comité de mosquée très entreprenant, ce n’est pas le cas de centaines d’autres construites au centre ou dans les nouveaux lotissements, coopératives ou sites AADL à la périphérie de la capitale. Confiées à des comités privés, comme le permet la loi (décret 91-81 du 23 mars 1991), des mosquées ouvertes aux fidèles sont laissées en l’état.

 
 
 
 
 

Cette situation a eu une conséquence : chargés des opérations, des comités de mosquées, dont les membres sont des salafistes, réussissent à gérer la mosquée, même avec ou contre un imam fonctionnaire dûment désigné par la direction des affaires religieuses.
La pression du courant wahhabite pour le contrôle des mosquées est permanente, d’autant que les pouvoirs publics ne peuvent ni construire ces lieux ni pourvoir à la gestion.

A Bachdjarrah, l’imam, fonctionnaire de l’Etat, installé dans la mosquée inachevée du site de bidonville Boumaaza, démoli récemment à la faveur d’une opération RHP, l’a appris à ses dépens. «Il a été agressé à l’arme blanche. Son agresseur, sous le contrôle des groupes salafistes, n’aurait pas apprécié un avis religieux de l’imam. La police a enquêté. L’imam, qui a visiblement pris peur, a fini par pardonner à son agresseur», raconte un résident du quartier, qui affirme qu’il n’a plus remis les pieds dans cette mosquée depuis que de jeunes wahhabites, «à l’accoutrement très hip-hop» ont fortement investi les lieux.

Sur les 30 000 mosquées ouvertes à travers le pays, 16 000, construites parfois depuis les années 1980, seraient inachevés. A Alger, 30% des 640 mosquées réalisées et ouvertes sont toujours en construction.

Raison : les projets sont lancés souvent par des particuliers (comité de mosquée et/ ou personne physique ou morale).
Et les projets sont restés inachevés, parfois pour l’absence de fonds. Mais il y a une autre raison : le contrôle de la mosquée. «A Mohammadia, une mosquée construite dans la coopérative a failli basculer vers le salafisme. Les jeunes qui la gèrent ont mis la main sur tout, sur la sono, les livres...

L’imam était pourtant désigné par les autorités», signale un habitant, qui a remarqué que tous les lotissements construits sur les Exploitations (EAC, EAI) connaissent une forte tension à cause des frictions entre de jeunes wahhabites en herbe et des fonctionnaires du Wakf.
Pour la direction des affaires religieuses à Alger, si le gros des bâtisseurs sont les comités de mosquées ou des personnes physiques, l’«Etat a ses exigences» «Nos services exigent des donateurs de signer un engagement écrit clair, avec des clauses où il est stipulé qu’il y aura un suivi de notre part du chantier du début jusqu’à la livraison du site et de son exploitation.

Nous tenons aussi au respect du modèle national dans la construction de ces lieux. Il nous arrive aussi de soutenir les comités de mosquées. C’était le cas à Beni Messous et Rouiba, où une enveloppe financière de 2 milliards a été allouée pour l’achèvement des travaux. Il y a eu parfois des démolitions (Oued Ouchayah, Bordj El Kiffan).

Dans tous les cas, la loi 08-15 sur les constructions inachevées s’applique. Il y a eu des cas», précise le directeur des affaires religieuses et du wakf de la wilaya d’Alger, Zoheir Boudraâ. Les opérations de relogement menées par la wilaya ont posé le problème de l’existence des lieux de prière, et les autorités ont eu recours à des «moussalate» (lieux de prière) provisoires, pour répondre à la forte demande des fidèles qui recourent à des caves ou des garages en attendant la construction de mosquées dans leur site. Solution proposée : ouverture de salles dans les rez-de-chaussée des immeubles.

«La wilaya d’Alger a décidé d’aménager des rez-de-chaussée des immeubles AADL en lieux de prière. C’est le cas à Kourifa, Chaïbia, Ouled Fayet…», précise M. Boudraâ. Ce dernier reconnaît l’existence de frictions avec des comités. «Mais dans les mosquées, seul l’imam est maître. Il y a l’obligation de se soumettre au référent national», rassure-t-il, affirmant que toute «déviation» de l’imam fonctionnaire ou du comité est signalée par des fidèles ou des services de sécurité.

Où est le cahier des charges ?

Malgré les assurances, les pouvoirs publics n’ont pas gagné leur bataille contre les salafistes aidés par les forces de l’argent. «Le gros des bienfaiteurs sont des gens de l’informel. La source de l’argent qui sert à la construction n’est pas toujours connue. Les collectes sont certes réglementées et interdites depuis quelques années, mais l’argent des opérations en cours n’est pas facilement contrôlable», signale un cadre du ministère des Affaires religieuses, qui a requis l’anonymat.

Pour lui, l’affrontement avec les salafistes «n’est pas seulement sur les questions doctrinaires, mais aussi dans l’architecture». «L’anarchie a commencé lorsque l’Etat, à travers ses différents décrets (1972, 1991, 2013) relatifs à la construction de la mosquée, a permis aux particuliers de construire des mosquées. Certains ont construit des ‘‘moussalate’’ sur des EAC, dans des ravins, etc. Et comme on le sait, celui qui paye peut contrôler à sa guise le discours développé, et ce, avec tous les risques sur la société», explique-t-il.

Le problème des mosquées inachevées et de leur gestion s’est posé depuis la fin des années 1960 avec la construction de la mosquée Emir Abdelkader de Constantine, confiée à un architecte de renom, Abderrahmane Bouchama. Inaugurée en 1994, après l’engagement d’un bureau d’études de Sonatrach, du génie civil de l’armée, des notabilités locales, le résultat a été très critiqué, vu que l’architecte s’est «contenté», selon ses détracteurs, de s’inspirer du modèle andalou.

Selon un cadre du ministère, remarquant lors de ses visites de terrain l’anarchie dans la construction des mosquées, le président Bouteflika a ordonné au ministre des Affaires religieuses de «mettre de l’ordre dans ce dossier. Sauf que c’est seulement en 2010 que le secrétaire général du ministère des Affaires religieuses, lui-même architecte de formation, a mis en place une commission composée d’architectes, d’historiens, d’archéologues, qui ont organisé des colloques à Oran, Constantine et Alger. Bouzid Boumediene, ancien directeur de la culture islamique au ministère, a présidé certains ateliers qui ont permis d’éditer des publications devant servir de référence pour la rédaction d’un cahier des charges».

Ce document, devant être confectionné en coordination avec les ministères de l’Habitat et l’Intérieur n’a toutefois jamais vu le jour, l’actuel ministre, Mohamed Aïssa, l’aurait mis sous le coude. Des raisons expliquent l’avortement de cette opération prometteuse. «La première est la crainte des responsables de la tutelle que le modèle qui serait adopté n’agréerait pas les ‘‘mouhsinine’’ vu que ces derniers veulent imposer ‘‘leur’’ propre modèle puisque ce sont eux qui payent.

La deuxième est l’influence très importante des salafistes qui sont contre l’architecture actuelle ; pour eux, une mosquée est un édifice sans mihrab, ni minaret... Troisièmement, il serait impossible d’imposer un modèle unique aux populations du Touat, de Béjaïa ou du M’zab. Pour le cadre, le cahier des charges pose le problème de la ‘‘spécificité nationale’’ des mosquées».

 Pour le cadre, le problème se pose pour tous les autres édifices publics qui n’ont pas un cachet local. «Cette marque est certes visible dans les mosquées pôles des chefs-lieux de wilaya, et la mosquée d’Oran, qui a été construite d’abord par les Chinois et ensuite par les Turcs, mais dans l’ensemble l’édifice est ‘‘algérien’’. Le référent doit être algérien à la base», signale-t-il. Un décret est annoncé pour identifier l’«esthétique architecturale» nationale. Mais son adoption prendra encore du temps, nous explique-t-on de source sûre. 

  Nadir Iddir

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