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lundi, 12 février 2018

Que révèle notre fascination pour le crime et les criminels ?

Le psychiatre, expert judiciaire, Daniel Zagury a écrit un grand livre, La Barbarie des hommes ordinaires, sous-titré Ces criminels qui pourraient être nous. Il explore brillamment « la clinique de la banalité du mal » et les basculements dans toutes sortes de crimes.

Si des gens ordinaires peuvent tomber dans la barbarie, la barbarie ne laisse jamais indifférents les citoyens ordinaires.

On se demande souvent, comme s’il s’agissait d’une curiosité honteuse, pourquoi les citoyens éprouvent une appétence pour les faits divers, voire une « fascination de l’horreur ». Une passion pour l’univers criminel en général et pour certains crimes en particulier, ceux de sang qui s’inscrivent dans une quotidienneté familière.

Pourtant, rien de plus normal que cette attention du public pour l’histoire infiniment diverse de ce qui blesse et bouleverse la société. Pour ces séquences si révélatrices où certains d’entre nous se permettent d’accomplir des actes qui nous renvoient avec stupéfaction à nous interroger nous-mêmes : aurions-nous pu commettre les mêmes transgressions ?

Je ne crois pas que « la fascination de l’horreur » soit le ressort fondamental pour expliquer l’intérêt que même ceux qui se prétendent indifférents éprouvent pour ces extrémités criminelles qui disent beaucoup.

D’abord la chose criminelle, une fois qu’elle est médiatisée, est en quelque sorte à la disposition de tous. Elle devient commune, elle crée paradoxalement un lien qui rassemble cette multitude indignée, soupçonneuse, inquisitrice ou vengée. N’importe qui a le droit d’exprimer une opinion et cette légitimité pour débattre et analyser, qui n’est plus seulement dévolue aux spécialistes mais à tous, constitue le crime comme une occasion provocatrice d’unité.

Ce crime qui vient d’être commis dont on n’a pas encore interpellé le ou les auteurs, on sait qu’il a été perpétré par des êtres qui relèvent de notre humanité même si, par facilité, on les qualifie de monstrueux, confondant l’acte avec l’acteur.

 

Ils sont donc de notre monde et quand ils ont été appréhendés, impossible de ne pas les ressentir, malgré toute leur cruauté ou notre ressentiment, pour des personnes qui offrent le visage banal de quelqu’un sur qui le crime n’était pas inscrit, sur qui le crime est survenu comme une odieuse parenthèse.

Ces criminels sont donc nous, évidemment, mais ayant poussé au-delà de nos honorables limites des pulsions, des instincts, des volontés homicides. Ils sont nous, donc, mais ne sont pas nous, nous offrant ce bonheur sombre et un peu malsain de sentir qu’eux ont dépassé honteusement, sans pitié, les bornes mais que nous sommes demeurés en deçà. Que nous sommes restés des humains alors que nous aurions pu nous imaginer dans certaines circonstances, par un cauchemar délibéré, impliqués dans le pire. Mais sans ignorer que nous nous faisons peur pour goûter de loin l’extraordinaire transgression, nous qui sommes des gens ordinaires.

Il y a non pas une fascination de l’horreur mais probablement plutôt une fascination pour les processus qui ont fait d’un humain un humain criminel. Pour cette seconde, ces minutes, ces heures ou ces semaines qui ont fait surgir, de manière organisée ou non, la mort de l’autre comme une option. Le crime étant généralement le plus court chemin, pour des moralités défaillantes ou des faiblesses intellectuelles, pour aller d’un problème à une apparente solution vite battue en brèche par policiers, magistrats et prison.

Nul sadisme, donc, dans cette focalisation citoyenne sur ce qui, tout à coup, a ensanglanté la normalité, souvent dans un cadre qui nous rappelle le nôtre mais sans que l’innommable l’ait sali.

Sang pour cent : le crime, une passion ordinaire…

 Extrait de : Justice au Singulier
 
 

 

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