jeudi, 18 février 2016
Fermeture de la mosquée de l’Arbresle : une dérive de l’état d’urgence ?
La mosquée de l'Arbresle - LyonMag
Le parlement vient de prolonger l’état d’urgence pour une durée de trois mois supplémentaires, jusqu’au 26 mai. A Lyon, la fermeture de la mosquée de l’Arbresle le 26 novembre dernier, dans un contexte post-attentat aux effets de sidération inouïe, met en évidence une dérive inquiétante de cet état d’exception. Ainsi, l’utilisation de "notes blanches" au contenu faux et approximatif, en justification de la fermeture du lieu de culte, interpelle.
Elles étaient censées ne plus exister depuis une douzaine d’années. L’Etat vient d’en faire un usage intensif dans le cadre de l’état d’urgence décrété après les attentats du 13 novembre. Les "notes blanches" ont permis aux autorités de motiver des assignations à résidence ou de justifier la fermeture de lieux de culte musulman. Trois mosquées ont été fermées en France dans le cadre de l’état d’urgence, dont la mosquée de l’Arbresle à quelques kilomètres à l’ouest de Lyon dans un coin de campagne réputé paisible. Elle a été rouverte depuis, le 27 janvier dernier précisément.
Recours devant le tribunal
C’est en premier lieu ce dernier point qui suscite les premières interrogations lorsqu’on se penche sur le dossier de la mosquée de l’Arbresle. Car celle-ci devait en effet rester fermée jusqu’à la fin de l’état d’urgence, initialement prévu le 26 février, selon l’arrêté du préfet.
Mais la décision de Michel Delpuech, préfet du Rhône, de rouvrir la mosquée est intervenue au moment même où le tribunal administratif de Lyon était saisi d’un recours en référé contre la décision de fermeture du préfet. Ce recours a été introduit par l’ancien président de la mosquée, Kaled Boulanouar, le 20 janvier. "Quand ils ont fermé la mosquée, on nous a dit : "la mosquée sera rouverte à la condition que vous ne fassiez pas de recours et qu’on démissionne du bureau de l’association". C’est ce qu’on a fait mais les semaines ont passé et jamais il y a eu la réouverture de notre mosquée. Alors, on a fait ce recours devant le tribunal administratif", raconte M. Boulanouar.
L’argument est d’ailleurs repris par le tribunal administratif dans son jugement : "si les requérants ont attendu presque deux mois pour intenter leur recours, c’est en raison du fait même que des réunions ont eu lieu, avec les services communaux et préfectoraux, afin de pouvoir procéder à la réouverture du lieu de culte ; il leur a été imposé, dans les faits, de dissoudre le bureau […] mais la promesse de la réouverture tarde pourtant être mise en œuvre".
Si le tribunal a rejeté le 26 janvier la demande de Kaled Boulanour, c’est donc dans la stricte correspondance de cette procédure que le préfet du Rhône a décidé de la réouverture du lieu de culte le lendemain, soit le 27 janvier. La décision du préfet donne le sentiment que l’Etat s’est subitement rappelé à sa bonne promesse sous la pression du recours intenté par les fidèles.
Une association cultuelle (loi 1905) et une association culturelle (loi 1901) ont été créées afin de chapeauter la mosquée. Dans la première siègent des membres du Conseil Régional du Culte Musulman et dans la seconde, ce sont des membres de la mairie qui sont présents dans les statuts de l’association. Cette reprise en main institutionnelle a de quoi rassurer le préfet.
La fiabilité des notes blanches ?
Mais ce sont les "notes blanches" utilisées par le préfet pour justifier de la fermeture de la mosquée qui étonnent le plus. En 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait supprimé cette pratique largement utilisée par les anciens RG.
A l’époque des Renseignements Généraux, ces notes non datés et totalement anonymes faisaient état de renseignements dont la fiabilité pouvait paraître suspectes mais étaient un instrument redoutable de contrôle à la disposition du pouvoir. Elles viennent de faire leur réapparition massive dans le cadre de l’état d’urgence. Pourtant, en 2004, Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur, déclarait à l’Assemblée Nationale qu'"il n'est pas acceptable en effet dans notre République que des notes puissent faire foi alors qu'elles ne portent pas de mention d'origine et que leur fiabilité ne fait l'objet d'aucune évaluation".
Pour justifier de la fermeture de la mosquée de l’Arbresle, Michel Delpuech a pris sa décision en prenant appui sur deux notes blanches des services de renseignements. Les documents énumèrent un certain nombre de prêcheurs salafistes qui sont intervenus dans la mosquée. Mais aucun "processus de radicalisation, ni propos contre les valeurs de la République ne sont établis par les services de l’Etat", souligne Me Kaddour Haboudou, l’avocat de Kaled Boulanouar.
Le préfet évoque par exemple l’intervention d’Abderahamane Colo, un salafiste diplômé de l’université de Médine en Arabie Saoudite. Mais le préfet omet de rappeler que ce prédicateur a condamné au sein de l’association Dine Al Haqq les attentats de Paris en appelant explicitement à dénoncer Daesh: "il incombe aux prédicateurs, orateurs et autres journalistes d’unir leur discours en annonçant clairement qu'ils se désavouent de ces actes criminels. De même, je dirai à mes enfants et frères salafi de France : […] Mettez en garde contre eux, exposez clairement aux gens leur égarement, leur déviance, leur maux et leur dangerosité".
Cet appel lancé aux salafistes de contribuer à dénoncer la dangerosité de Daesh confirme que les responsables de la mosquée de l’Arbresle se revendiquent d’un salafisme quiétiste et non d’un salafisme radical prônant un discours violent contraire aux valeurs de la République.
Méconnaissance de l’islam ?
La note blanche évoque un autre prêcheur qui serait intervenu au sein de la mosquée de l’Arbresle. "Ce professeur de mathématiques dans un lycée d’Orléans, est en relation avec l’association tunisienne nommée "Oqba Ibn Nafaa" située à Ingre (Loiret), nom tiré d’une katibat liée à AQMI [Al Qaida au Maghreb Islamique, ndlr.]."
S’il ne fait pas de doutes que cette Katibat (groupe de combattant) affiliée à AQMI est à l’origine de l’attaque du musée du Bardo en Tunisie, les services de renseignement font néanmoins l’aveu de leur méconnaissance de l’islam. Car "Oqba Ibn Nafaa" n’est pas "tiré" d’un groupe djihadiste d’Al Qaida, mais il s’agit avant tout d’un général arabe du 7e siècle qui a édifié la mosquée de Kairouan en Tunisie. N’importe qui peut dès lors revendiquer l’héritage de ce général arabe.
"Le monde à l’envers"
La seconde note blanche fait état que le lieu de culte a été fréquenté par Julien B., en lien avec des individus qui se trouvent en Syrie et qui a été en lien avec le djihadiste algérien Saï Arif, chef de Jund al-Aqsa, groupe jihadiste proche du Front al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda. Saïd Arif a été tué en mai 2015 par un tir de drone américain en Syrie.
Pourtant, les responsables de la mosquée de l’Arbresle avaient signalé les agissements de Julien B. aux services du renseignement territorial ( RT). Un fonctionnaire du RT nous a en effet confirmé cette information. "C’est le monde à l’envers", s’agace Kaled Boulanouar, l’ancien président du lieu de culte qui ajoute : "c’est nous qui sommes allés voir les gendarmes pour signaler des individus dangereux à nos risques et périls. Et à la fin, les informations qu’on a pris soin de donner aux autorités se retrouvent dans des notes blanches pour être utilisées contre nous. Comment on peut faire confiance aux policiers du renseignement avec lesquels on travaille ?".
Pour justifier les approximations des notes blanches, le préfet évoque "les contraintes propres au travail des services de renseignement, qui doivent s’abstenir de révéler des éléments couverts par le secret de la défense nationale". Pour le préfet, "il ne saurait être question d’appliquer le même régime de preuve que lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’une infraction pénale".
Voilà qui définit précisément l’état d’urgence comme un état de suspension du droit. Les approximations dans l’administration de la preuve vont continuer encore trois mois en France.
Slim Mazni
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