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vendredi, 11 mars 2016

Bruxelles doit réagir à la montée de l’extrémisme en Europe

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Qu’elle découle du ressentiment vis-à-vis d’autrui, souvent étranger, ou bien des situations économiques nationales, encore exsangues, la montée en puissance des partis d’extrême droite en Europe peut avoir, outre les conséquences politiques et électorales, des répercussions économiques néfastes.

Au sein d’une Union européenne (UE) toujours plus en proie à la montée de l’extrémisme, l’Espagne, le Portugal ou encore l’Irlande font office d’exceptions. Jusqu’ici épargnés par la percée électorale des partis nationalistes, ces Etats situés à l’extrême gauche de l’Europe sont de plus en plus isolés sur l’échiquier européen. L’extrême droite prospère effectivement depuis quelques années dans une bonne partie de l’Europe, notamment dans les pays scandinaves, en France et en Grande-Bretagne. Avec, à chaque fois, une particularité nationale : les formations fascistes ou néonazis, comme le Jobbik hongrois, Aube dorée en Grèce ou le NPD allemand, se distinguent des partis conservateurs, xénophobes, nationalistes et anti-européens comme l’Ukip britannique, et a fortiori des organisations d’extrême droite dites « classiques », comme le FN en France, le PVV en Hollande, le FPÖ en Autriche ou la Ligue du Nord en Italie.

L’économie « extrémiste » est ontologiquement anti-européenne

Mais leurs spécificités ne sauraient faire oublier la porosité existante entre ces mouvances. C’est ainsi que Marine Le Pen a finalement réussi à former en juin 2015 un groupe au Parlement européen. Baptisé l’Europe des nations et des libertés, ce groupe politique compte 38 membres, dont certains sont issus de formations aux positions sulfureuses, telles que la Ligue du Nord, le FPÖ, le PVV, le KNP (parti polonais qui cultive le révisionnisme et parle ouvertement de « colonisation » arabo-musulmane), le Belge Vlaams Belang (formation séparatiste flamande) et l’Ukip. Si le projet institutionnel de ces formations reste flou, il est clair qu’elles valorisent la « démocratie directe » au détriment de la démocratie représentative. Elles colportent volontiers le slogan du « coup de balai » destiné à chasser du pouvoir des élites jugées corrompues et coupées du « peuple », celui-ci étant conçu comme une entité transhistorique, un ensemble formé par un fonds culturel invariant et homogène, d’où la distinction entre les nationaux « de souche » et les autres.

En surfant sur l’arrivée massive de migrants sur le sol européen, les droites radicales profitent de la hausse des ressentiments. En Autriche, en Suède, aux Pays-Bas ou encore en Allemagne, les discours dénonçant « le tsunami de l’asile en provenance de pays musulmans » (selon la formule du Néerlandais Geert Wilders, du Parti pour la liberté), ont un succès de plus en plus inquiétant. Or, aux conséquences néfastes pour l’accueil et l’intégration de nouvelles populations en Europe, il faut ajouter le danger que les discours d’extrême droite représentent en matière économique. En effet, les droites radicales promeuvent en général un capitalisme exclusivement national, fondé sur une hostilité explicite à la mondialisation, celle-ci étant désignée comme la cause des problèmes économiques européens. Face à la crise, l’extrême droite propose un « changement drastique d’économie », mais cette proposition s’avère vaine et infondée. Et qui plus est totalement contraire à l’essence même de la construction européenne, qui vise depuis 1957 à rapprocher de manière toujours plus intégrée les Etats membres.

Bruxelles doit réagir

Ainsi, l’inclusion en 2000 du FPÖ dans la coalition gouvernementale autrichienne « ne semble pas avoir radicalement changé les politiques publiques menées », analyse Christophe Bouillaud, professeur à Sciences Po Grenoble. Le discours raciste du parti, en revanche, n’a fait que se renforcer depuis cette expérience. En Italie, au Danemark et aux Pays-Bas, les partis d’extrême droite ayant participé au gouvernement se sont montrés aussi inféconds et inefficaces en matière économique que les formations qu’ils étaient censés combattre. A une différence près : leur inanité s’accompagne souvent de dérives autoritaires, comme c’est notamment le cas de Victor Orban en Hongrie, qui s’en prend clairement à la liberté d’expression et altère profondément le régime démocratique.

En Grèce, Panos Kammenos, « l’encombrant allié d’Alexis Tsipras » comme le surnomme la presse locale – mais pas que –, continue de faire grincer des dents. Après avoir combattu les mesures économiques suggérées par les créanciers du pays, le chef du parti souverainiste des Grecs indépendants, membre détonnant du gouvernement hellène, ne cesse de multiplier les dérapages médiatiques. En mars 2015, M. Kammenos, alors ministre de la Défense, menace d’« inonder l’Europe de migrants » si celle-ci n’arrive pas à régler la dette grecque. « On leur distribuera des papiers valides qui leur permettront de circuler dans l’espace Schengen. Ainsi, la marée humaine pourra se rendre sans problèmes à Berlin. Et tant mieux si, parmi ces migrants, se trouvent des djihadistes de l’État islamique », avait-il osé lancer.

Panos Kammenos illustre parfaitement la capacité de nuisance politique et économique de l’extrême droite. Avec des discours agressifs contre la « troïka », il avait réussi à atteindre 10 % des suffrages, trois mois après la création de son parti, lors des législatives de mai 2012. Pendant la campagne, il n’hésitait pas à affirmer que la Grèce « avait été victime d’un complot international » visant à la brader aux nations les plus offrantes. Or, ministre de la marine à l’époque, il avait lui-même participé aux négociations en vue de la concession du port du Pirée à la Chine en 2008 – dont le dénouement vient d’être acté récemment. Mais M. Kammenos ne semble pas avoir peur de la contradiction. S’il promet par exemple d’attaquer la corruption et les paradis fiscaux, il baigne lui aussi dans des affaires révélées par la presse locale, notamment la possession d’un yacht familial supposé détenu par des sociétés offshore.

Alors que les extrêmes droites européennes poussent des formations traditionnelles de droite à alourdir leurs programmes en mesures sécuritaires – frôlant parfois la xénophobie –, Bruxelles doit à tout prix empêcher que leur influence ne s’étende sur les idées et les programmes économiques nationaux. Pour cela, il est bien sûr nécessaire que les gouvernements proposent des solutions et des projets politiques et économiques à la hauteur des enjeux actuels. Mais ils ne sauraient reléguer l’UE au rang de faire-valoir : c’est l’Union qui a tout à perdre de la montée de l’extrême droite ; c’est son projet politique et social qui est remis en question ; c’est à elle d’agir en première ligne.

Source : Affaires internationales

 

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