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mardi, 15 mars 2016

A Miami, les républicains en perdent leurs Latinos

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En Floride, les Hispaniques, qui représentent 18 % des électeurs, se détournent de plus en plus d’une campagne républicaine aux relents racistes.

Manuel Dominguez, un exilé cubain de Miami, a voté pour tous les candidats républicains à la présidence depuis Nixon, en 1972. Mais, si Donald Trump obtient l’investiture du parti conservateur, cette fidélité prendra fin le 8 novembre. «Je n’adhère pas du tout à son discours sur l’immigration. Il joue sur les peurs des gens les moins éduqués. S’il le faut, je voterai pour Hillary Clinton afin de lui faire barrage», confie cet ingénieur à la retraite devant le café Versailles, lieu emblématique de Little Havana, le quartier cubain de Miami. Au parc Maximo-Gomez, où les anticastristes enchaînent cigares et parties de dominos, Jessica Fernandez, présidente des «jeunes républicains» de Miami, indique aussi qu’elle ne votera pas Trump. Ni à la primaire de ce mardi - elle soutient Marco Rubio, le sénateur local - ni lors de l’élection générale, en novembre. «Il ne représente pas mes valeurs. Il a insulté les Hispaniques, les musulmans. Il a heurté tous les gens qui voulaient un certain niveau de décence au cours de cette campagne, explique la jeune femme. Si Trump est le candidat, je serai forcée de revoir mon engagement au sein du Parti républicain.»

Péché originel

Au niveau national, Donald Trump ne gagnera pas le vote latino. Aucun candidat républicain ne l’a fait depuis 1976, ce qui n’a pas empêché Ronald Reagan puis George Bush père et fils d’être élus. En fait, on compte trois Etats clés («Swing States») où les électeurs hispaniques peuvent faire pencher la balance : Floride, Colorado et Nevada. A eux trois, ils représentent 44 grands électeurs. Un nombre conséquent quand on sait que George W. Bush a gagné en 2000 et 2004 avec respectivement 5 et 35 grands électeurs d’écart. Lors de ces deux scrutins, il avait raflé les trois Etats. Idem pour Barack Obama en 2008 et 2012. L’impact du vote hispanique n’est nulle part plus évident qu’en Floride, où 18 % des électeurs sont latinos. Depuis 1964, tous les présidents américains ont remporté le «Sunshine State», à l’exception de Bill Clinton en 1992.

En insultant les immigrés illégaux mexicains («violeurs, criminels et trafiquants de drogue») dès les premiers instants de sa campagne, en juin, Donald Trump a peut-être commis un péché originel. Une erreur stratégique qui pourrait empêcher les républicains de reconquérir la Maison Blanche. Ecœurées par sa rhétorique anti-immigrés, choquées par sa double promesse de bâtir un mur à la frontière mexicaine et d’expulser les millions d’illégaux vivant aux Etats-Unis, les organisations latinos ont lancé la riposte. Le mois dernier, neuf d’entre elles - démocrates comme républicaines - ont démarré une campagne appelant les Hispaniques à s’inscrire sur les listes électorales. Une autre devrait débuter dans quelques jours, financée notamment par le milliardaire démocrate George Soros. En Floride, dans le Colorado et le Nevada, 15 millions de dollars (environ 13,5 millions d’euros) seront dépensés. Objectif : mobiliser une communauté qui, traditionnellement, vote moins que les autres. En 2012, 48 % des électeurs hispaniques avaient voté, contre 64 % des Blancs et 66 % des Afro-Américains. Cristobal Alex dirige le Latino Victory Project, l’une des organisations participantes. Basé à Washington, il était à Miami la semaine dernière. «La campagne républicaine est raciste. Nous sommes face à un moment très dangereux, explique-t-il. L’enjeu est tellement grand que si nous n’allons pas voter en masse, la vision de Donald Trump risque de devenir celle du pays. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire.» Même son de cloche chez Dolores Huerta, célèbre syndicaliste : «Nous avons une arme très puissante mais non violente qui s’appelle le droit de vote. Nous devons voter pour nous assurer que des gens comme Donald Trump ne nous représenteront pas.» Quant à Marco Rubio et Ted Cruz, les deux sénateurs d’origine cubaine qui visent aussi l’investiture républicaine, «ce sont des traîtres à la communauté latino», assène Dolores Huerta.

Rubio, «sauveur» à l’agonie

Après la lourde défaite de Mitt Romney en 2012, due notamment à un score désastreux chez les électeurs hispaniques (27 %), les dirigeants républicains semblaient en avoir tiré les leçons. En 2016, clamaient-ils, la reconquête de la Maison Blanche passerait par celle du vote latino. A l’époque, Marco Rubio émergeait comme le grand espoir du parti. Il incarnait aux yeux de certains une jeune génération de conservateurs moins idéologique, plus métissée. «Le sauveur républicain», titrait en février 2013 le magazine Time. Trois ans plus tard, la campagne du «sauveur» est à l’agonie, balayée par la tornade Trump. S’il ne remporte pas ce mardi la primaire de son Etat natal, Rubio pourra dire adieu à ses ambitions présidentielles. Et même s’il bat Trump, donné largement en tête dans les sondages, l’investiture semble pour lui hors de portée.

Relire cet article jette une lumière crue sur l’évolution du camp républicain. En ce mois de février 2013, Marco Rubio - avec un groupe bipartisan de sénateurs - travaille à une réforme du système migratoire : en contrepartie d’un renforcement de la sécurité à la frontière mexicaine, le projet prévoit un long chemin vers la citoyenneté pour les millions d’immigrés en situation irrégulière, en grande majorité mexicains. Le Time cite un message laissé par la mère de Marco Rubio, exilée cubaine, sur le répondeur de son fils : «Un conseil affectueux de la part de la personne qui tient le plus à toi : ne t’en prends pas aux immigrés, mon fils. Ils sont des êtres humains comme nous et sont venus pour les mêmes raisons que nous. Pour travailler. Pour améliorer leur vie.»

Au sein du camp conservateur, les voix modérées sont aujourd’hui inaudibles, étouffées par la rhétorique bruyante et incendiaire de Trump. Son succès a contraint tous les autres candidats à durcir leur discours. Accusé de faiblesse et d’avoir défendu une forme «d’amnistie» pour certains migrants clandestins, Rubio martèle qu’il a changé d’avis.

Au fond de lui, ce n’est sans doute pas le cas. Mais le mal est fait : les électeurs hispaniques - qui connaissent presque tous quelqu’un en situation irrégulière - se sentent stigmatisés. «La communauté hispanique perçoit Donald Trump et le succès de sa candidature comme une attaque directe contre elle-même et contre son rôle aux Etats-Unis. Pour elle, les enjeux ne pourraient pas être plus élevés», résume Fernand Amandi, sondeur et consultant politique basé à Miami.

«Je les adore»

Avec sa modestie habituelle, Trump affiche sa confiance pour résoudre la difficile «équation latino». Ce sont «des gens incroyables, des travailleurs incroyables. Je les adore et je vous garantis que j’aurai beaucoup de succès avec eux», assurait-il récemment lors d’un débat. Trump souligne que, lors du récent caucus du Nevada, la majorité des Hispaniques a voté pour lui, même si les sondages de sortie des urnes sont réputés peu fiables.

José Clay fait partie des rares Hispaniques pro-Trump. Ce jeudi après-midi, devant la librairie de Coral Gables, dans le sud de Miami, ce sexagénaire d’origine cubaine tente de convaincre les électeurs votant par anticipation de soutenir le milliardaire. «Il est le seul à avoir eu le courage de parler des problèmes d’immigration dans ce pays, explique-t-il. Les Mexicains rentrent illégalement, ils prennent les emplois des Américains, apportent des maladies. Quand je suis venu aux Etats-Unis, j’ai dû montrer patte blanche, attendre mon tour. J’ai respecté les règles.»

Inquiets pour l’avenir de leurs enfants, craignant le chômage et la violence qu’ils imputent aux clandestins, certains Hispaniques installés de longue date aux Etats-Unis sont séduits par le discours autoritaire de l’homme d’affaires. Les sondages confirment toutefois qu’ils sont une minorité. D’après une récente enquête publiée par le Washington Post et la chaîne hispanophone Univision, 80 % des électeurs latinos ont une opinion défavorable de Donald Trump. Dans un duel avec Hillary Clinton, le milliardaire ne recueillerait que 16 % des voix latinos. Ce serait le pire score obtenu par un candidat républicain.

Frédéric Autran

Source : Libération

 

 

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