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mercredi, 16 mars 2016

Percée de l'AfD en Allemagne : l'heure de la remise en cause européenne est venue

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L'Alternative für Deutschland a gagné trois régions allemandes. Philippe Bilger pointe la responsabilité de la politique d'Angela Merkel, et de l'Union européenne dans la montée des populismes.

Une fois qu'on aura dit, une nouvelle fois, que ce n'est pas bien, que c'est dangereux, que la France est menacée et qu'avec la victoire de l'Alternative für Deutschland (AfD) dans trois Etats régionaux, l'Allemagne elle-même est gangrenée, que les populismes et l'extrême droite sont une scandaleuse poussée de fièvre et d'absurdités, aura-t-on fait avancer le débat, progresser l'analyse pour la meilleure riposte possible?

Je ne sous-estime en aucun cas ce qui vient de se dérouler en Allemagne et qui est révélateur. Pour qu'en un tel pays et avec un tel passé, le barrage tenant au refus d'un certain type d'extrémisme ait été franchi, il faut que la gravité des situations nationale et internationale ait été si accablante que, la coupe paraissant pleine, l'intimidation éthique et historique n'ait plus eu d'effet.

On ne peut dissocier la montée impressionnante du FN en France, avec le sentiment d'une implacable complicité du réel avec la médiocrité du pouvoir et donc les angoisses d'une majorité de citoyens, de ce qui monte partout ailleurs en Europe, même en Allemagne qui n'est donc plus «l'enfant sage» et le modèle qu'on se plaisait à mettre en évidence comme s'ils allaient compenser et excuser notre propre impuissance.

Face à ces visions sommaires, péremptoires qui proposent des solutions souvent incompatibles avec la délicatesse et la sophistication de nos démocraties, le discours moral et la réprobation confortable ne sont plus de mise. En tout cas, plus seulement. Car non seulement ils n'ont pas eu la moindre influence sur le cours des événements politiques en France - bien au contraire - mais ils ont exacerbé l'impression déplaisante et humiliante d'être si mal compris qu'en définitive, une surenchère dans l'adhésion à cet extrémisme était presque suscitée. La réponse au mépris est de s'en faire un honneur!

Pourquoi serait-ce différent pour l'Allemagne et tous ces peuples qui ont l'obsession de se défendre contre des menaces fantasmées ou trop réelles? Constater les dérives, les imputer au passif de ces excités et de ces énergumènes incapables d'appréhender la douce et sereine harmonie de nos incomparables Etats n'est plus suffisant ni même acceptable!

Il faut que les pouvoirs qui n'ont que trop tendance à donner des leçons avec la condescendance du professeur tranquille à l'élève excité se tournent dorénavant vers eux-mêmes, se penchent sur leur faillite, leurs dysfonctionnements, leurs échecs et questionnent leur responsabilité. A un certain niveau de désastre et de malentendu, celui qui enseigne mais n'est jamais suivi ni écouté est davantage fondé à cultiver la mauvaise conscience que celui qui transgresse parce qu'aucune référence ne le sollicite, aucune exemplarité ne l'attire.

N'est-il pas irréfutable maintenant que l'extrême droite et les populismes - je n'aime pas ce terme mais je l'accepte comme une définition de la politique hors cadre - ne cessent de s'amplifier, non pas par un mouvement positif qui leur serait intrinsèque mais à cause de ce qui dans les gestions traditionnelles, gauche et droite classiques confondues, et les pratiques républicaines orthodoxes, est devenu tellement dépassé, si peu convaincant pour le citoyen d'en bas qu'il vomit sans regret les élites d'en haut.

Alors que beaucoup de gouvernants et de candidats à leur succession affirment renverser la table ou avoir l'ambition de le faire - et comme nos sociétés n'en voient jamais le moindre commencement de preuve ni de réalisation -, ces votes qui se multiplient et angoissent pour demain ne tergiversent pas, eux: à leur niveau et pour donner l'exemple, ils renversent la table en espérant que les régimes banalement démocratiques esquisseront aussi un mouvement pour favoriser sa chute.

L'extrême droite en France et en Allemagne, l'absence de détestation des structures autoritaires comme en Hongrie renvoient à des motivations qui imposent de douloureuses prises de conscience. C'est parce qu'il n'y a plus de modèles mais au pire des impuissances, au mieux des bonnes volontés dépassées que le pire politique s'avance et n'est plus très loin du pavois. Il ne représente pas la transgression de nos vertus publiques et de notre excellence mais au contraire la rançon de notre défaite et de nos impérities. L'extrémité est le fruit pervers d'une droite sans plénitude, sans allure, sans volonté et sans courage.

On pourra continuer à proférer sentencieusement que ce n'est pas bien. Mais comment jugerait-on le maître qui ne saurait que désapprouver sans jamais être capable d'entraîner l'égaré, par son exemple et son action, vers le meilleur?

Philippe Bilger

Chaque semaine, Philippe Bilger prend la parole, en toute liberté, dans FigaroVox. Il est magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole. Il tient le blog Justice au singulier et est l'auteur de Ordre et désordres paru aux Éditions Le Passeur en avril 2015.

Source : Le Figaro

 

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