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mardi, 29 mars 2016

Le Pakistan fait face à des islamistes qu'il ne contrôle plus

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Les talibans pakistanais ont revendiqué l'attentat de Lahore où des dizaines de personnes ont été tuées. Pendant plus de trente ans, Islamabad a soutenu des groupes djihadistes pour satisfaire ses intérêts stratégiques.

Une faction des talibans pakistanais, organisation homonyme mais néanmoins distincte de son pendant afghan, a revendiqué l'attentat de dimanche 27 mars à Lahore où plus de 70 personnes ont été tuées. Les chrétiens - un peu moins de 2% de la population de ce pays de 200 millions d'habitants, majoritairement musulman sunnite - étaient vraisemblablement visés.

Plus largement, aujourd'hui, les talibans pakistanais menacent directement l'État. Islamabad n'a pas à chercher bien loin les racines du problème. Pendant plus de trente ans, le Pakistan a inspiré, entraîné, soutenu, financé, protégé et instrumentalisé différents groupes islamistes radicaux. Ces djihadistes, dont les plus connus sont les talibans afghans, étaient autant d'armes au service des intérêts stratégiques pakistanais, contre l'Inde dans la région disputée du Cachemire ou en Afghanistan pour donner au Pakistan une profondeur stratégique accrue. L'ISI, les puissants services secrets pakistanais, était le grand ordonnateur de ce jeu complexe, qu'il pratiquait sans toujours en référer aux gouvernements en place à Islamabad. La chute des talibans afghans en 2001 n'a pas interrompu ces manœuvres, et les États-Unis ont eu beau faire, cajoler ou menacer, Islamabad est resté un allié bien peu fiable dans le jeu régional, offrant asile aux talibans et à al-Qaida, tout en poursuivant avec une vigueur variable certains groupes djihadistes.

Cette politique s'est finalement retournée contre ses instigateurs. Le Pakistan fait aujourd'hui face sur son propre territoire à une version pakistanaise des talibans afghans qu'il a contribué à créer et a abrité. L'armée pakistanaise est engagée dans une guerre brutale dans les mêmes vallées de la province de la Frontière du Nord-Ouest, où les Britanniques livraient à l'époque impériale de «splendides petites guerres» contre les Pathans. La version moderne n'a rien de splendide: elle est vicieuse et cruelle, comme vient de le montrer l'attaque de Lahore.

À leur création, en 2007, les talibans pakistanais (ou Tehrik-e-Taliban Pakistan, TTP), sont une alliance assez souple d'une douzaine de groupes radicaux pachtouns. Ils n'ont en commun avec leurs homologues afghans que leur idéologie radicale, visant à l'imposition de la charia, le recrutement pachtoune et le recours à la violence. Mais c'est l'État pakistanais qui est leur cible. À l'époque, les militaires pakistanais sont encore confiants dans leur capacité à contrôler ce genre d'organisation, qu'ils ont après tout l'habitude de diriger, et dont ils partagent parfois une partie de l'idéologie islamiste et anti-occidentale. L'assassinat de Benazir Bhutto, attribué aux talibans, a été le premier signe inquiétant de la puissance de cette organisation. Depuis, attentats suicides, kidnappings et assassinats se sont multipliés. Les talibans pakistanais ont pris le contrôle de vallées entières, nécessitant parfois des opérations militaires massives pour les en chasser.

Voici encore trois ans, les États-Unis et les pays voisins du Pakistan émettaient les plus grands doutes sur la volonté d'Islamabad de lutter contre ses talibans, et soupçonnaient l'ISI de continuer à manipuler en coulisses l'organisation. Ce n'est plus le cas. L'armée pakistanaise a commencé sérieusement à s'attaquer à sa version des talibans. Les offensives dans les agences du Nord-Waziristan et de Khyber ont été de grande envergure. Beaucoup de cadres se sont réfugiés en Afghanistan.

Autre signal de changement: la coopération entre les États-Unis et les militaires pakistanais, au point mort depuis l'opération contre Ben Laden en 2011, s'est récemment améliorée. Les Américains ont lancé plusieurs attaques de drones sur le territoire afghan contre des chefs talibans pakistanais, et ont accepté de livrer au Pakistan Latif Mehsud, un responsable taliban capturé l'année dernière en Afghanistan.

Mais il est peut-être déjà trop tard pour Islamabad pour reprendre le contrôle de son territoire. Comme l'Arabie saoudite, qui se voit dépassée dans son fondamentalisme par l'État islamique, le Pakistan, pays créé au nom de l'islam et dont les dirigeants ont systématiquement instrumentalisé la religion à des fins politiques, se voit finalement concurrencé par plus radicaux que lui.

Adrien Jaulmes

Source : Le Figaro

 

 

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