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mardi, 29 mars 2016

Les migrants dans l’impasse grecque

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Depuis l’accord UE-Turquie, ils sont 50 000, pour la plupart Syriens ou Irakiens, à être coincés en Grèce, dont 5 000 survivent sur le port du Pirée.

Assis sur un trottoir du port du Pirée, Wissam mange sa pitance : une cuisse de poulet et des spaghettis à l’huile dans une barquette en alu. «It’s good», affirme-t-il en levant le pouce. D’un lumineux sourire, il remercie les bénévoles qui, ce samedi, ont servi ce repas aux 1 500 réfugiés bloqués là depuis des semaines. Pour Wissam, c’est aussi un repas d’anniversaire. Aujourd’hui, il a 15 ans. «C’est vrai qu’en quittant la Syrie, début février, je ne pensais pas être encore ici à cette date», reconnaît-il. Avec trois de ses frères et leurs parents, l’ado espérait avoir déjà rejoint l’Allemagne. Et Houssam. Son aîné y est arrivé en décembre. Seul. A deux doigts de la majorité, cet élève peu intéressé par l’école risquait «d’être envoyé à l’armée, donc à la guerre», confie le père. Il ne lui restait que l’exil.

Barrières.

Les dirigeants européens n’auront pas permis à la famille de se réunir outre-Rhin. En signant l’accord avec Ankara, le 18 mars, Bruxelles a renforcé les barrières autour de la Grèce et des réfugiés. Les frontières, progressivement fermées depuis novembre, sont définitivement closes. Tous les migrants ayant atteint les côtes grecques à partir du 20 mars doivent être renvoyés en Turquie. Le gouvernement alliant Syriza (le parti de la gauche grecque) et les Grecs indépendants (droite souverainiste), n’est pas vraiment satisfait. «Si l’Europe était majoritairement de gauche, l’accord aurait sans doute été différent. Mais alors qu’elle vire toujours plus à droite, voire à l’extrême droite, au moins nous avons un accord», justifie Giorgos Kyritsis, le porte-parole de SOMP, l’agence qui coordonne les efforts d’Athènes face à la crise des migrants.

Alors qu’avant cet accord, le nombre d’entrées quotidiennes se comptait en milliers, les autorités ont indiqué que 78 personnes seulement étaient arrivées vendredi sur les îles grecques et 161 jeudi. La preuve que l’accord est efficace et que les autorités turques contrôlent leurs côtes ? Il serait précoce de l’affirmer tant la mauvaise météo a aussi empêché les traversées. En tout cas, la Grèce, porte d’entrée dans l’espace Schengen, doit aujourd’hui gérer l’application du texte. Tout en assurant la protection des réfugiés déjà sur son sol. Ils sont actuellement 50 236 présents sur l’ensemble du territoire. La crise humanitaire s’amplifie alors que le pays, «épuisé par six années d’austérité, fait face à d’importantes diminutions des personnels administratifs et à d’énormes problèmes financiers», souligne Giorgos Kyritsis.

Rumeurs.

A Idomeni, dans le nord du pays, plus d’une dizaine de milliers de réfugiés continuent d’espérer que la Macédoine les laisse passer. Au Pirée, ils seraient plus de 5 000 sur les différents terminaux. Le long de la route qui borde le principal port du pays, les files de camions ont cédé leur place : désormais, des tentes igloos sont alignées, chaque jour plus nombreuses ; parfois, des migrants, blottis les uns contre les autres ont pour seul abri des sacs de couchage. Et les halls d’accueil, normalement destinés au transit vers les îles, sont pleins à craquer. «C’est vrai qu’ils ont ouvert les frontières ?» demande Sohayb, un jeune Irakien, relayant une information venue du nord. La moindre rumeur est propagée à la vitesse grand V. Quitte à susciter de faux espoirs.

La réalité, elle, semble circuler sous le manteau : la seule échappatoire offerte aux réfugiés est la demande d’asile et l’inscription dans le programme de relocalisation. Sohayb n’y croit pas : il est seul, n’a «personne à rejoindre dans un pays d’Europe du Nord». Le désespoir le gagne. Il n’a pas le temps de continuer de livrer ses états d’âme. Une rixe éclate sous ses yeux, entre Afghans et Syriens. Lui reste à l’écart. «C’est tous les jours comme ça. Les gens n’en peuvent plus», souffle-t-il simplement.

Tous sont inquiets. Et tous sont en quête d’informations qui peinent à arriver jusqu’au Pirée même si ERT, la télévision publique grecque, a mis en place un flash d’actualité quotidien en langue arabe.«Qu’allons-nous devenir ?» interroge Nouri. Cet Afghan est sur le port du Pirée depuis trois semaines, avec sa femme et ses six enfants. Il cherche le réconfort dans la lecture du Coran. Une «religion de paix», affirme-t-il. Remonté contre les attaques à Bruxelles, dont il se dit «victime collatérale». Entendant ces mots, un jeune Syrien rebondit : «Nous cherchons la paix, nous avons fui Daech et Daech nous poursuit.» Afghans et Syriens sont réunis dans la dénonciation du terrorisme sur le port du Pirée devenu, pour les uns comme pour les autres, une impasse.

Fabien Perrier

Source : Libération

 

 

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