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samedi, 02 avril 2016

La douleur et la peine sont perpétuelles !

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Je me souviens.

Quand la peine de mort a été abolie, on nous avait promis solennellement l'instauration d'une réclusion à perpétuité effective.

Parce qu'on avait compris que l'humanisme, s'il imposait des prohibitions à mon sens légitimes, rendait aussi nécessaires des protections fiables et durables.

Cet engagement n'a pas été tenu par Robert Badinter.

On a vu se développer au contraire, de la part de la gauche naïve et fière de l'être, une tendance qui peu ou prou, après la peine de mort, prétendait nous faire glisser vers la mort de la peine dans ce que celle-ci a d'obligatoirement stigmatisant et traumatisant pour le coupable, avec évidemment la dénonciation corrélative de la prison qui serait la cause de la délinquance et de la criminalité au lieu d'en être, d'abord, le bouclier.

Pierre Méhaignerie qui, comme garde des Sceaux, n'avait pas le centrisme mou, a fait adopter en 1994 une loi, complétée en 2011, permettant une perpétuité incompressible dans deux séries de transgressions gravissimes : meurtre avec viol, tortures ou acte de barbarie d'un mineur de moins de quinze ans et meurtre en bande organisée ou assassinat d'une personne dépositaire de l'autorité publique à l'occasion ou en raison de ses fonctions.

A intervalles réguliers, quand la conscience publique était indignée par des atrocités "ordinaires", sans lien avec un terrorisme aveuglément et cyniquement mortifère, la nostalgie de la peine de mort revenait chez certains en même temps que l'exécution des peines était et demeure le grand fiasco imputable à notre justice. Des libérations conditionnelles imprudentes étaient suivies de tragédies. Mais il y avait toujours de beaux esprits pour nous démontrer que c'était la rançon à payer pour un état de droit digne de ce nom.

Il fallait se persuader que les criminels et les malheurs étaient une fatalité dont il convenait presque de se féliciter.

Puis le terrorisme abject a frappé, tué, massacré en masse. Même les plus compassionnels ont été contraints de regarder la mort des autres en face.

La gauche et la droite unis dans une même indignation, apparemment dans une volonté similaire de sévérité, d'extrême rigueur et d'impossible éradication. Les mêmes qui, sur le plan politique, à l'égard de la délinquance et de la criminalité au quotidien les minimisaient, négligeaient de s'attacher à la misère pénitentiaire et se contentaient d'un verbe creux se campaient dans des postures guerrières parce que l'islamisme semait la dévastation, comme avec l'affaire Merah puis au mois de janvier et de novembre 2015, dans nos villes, dans notre pays, en dissipant pour toujours une tranquillité de vie et de paix.

La lutte contre le terrorisme offrait une bonne conscience répressive à ceux qui étaient détournés, à cause de leur mauvaise conscience, du souci de la lancinante augmentation des crimes et des délits, notamment à l'encontre des personnes, et de ce qu'elle aurait dû imposer de la part d'élus de la Nation.

Et l'exigence de la perpétuité réelle a réapparu avec vigueur dans le débat public parce que les crimes terroristes sont intolérables mais que les autres, s'ils ne sont pas plus supportables, ne méritent tout de même pas une appréhension aussi négative.

On aurait pu penser que sur ce plan, aussi sauvagement spécifique qu'il soit, une concorde se créerait puisque le combat sans concession contre le terrorisme était, paraît-il, une aspiration commune qui dépassait l'esprit partisan.

Mais la gauche ne change pas et sa lutte s'arrête au point précis où elle serait obligée d'abandonner son idéalisme et le peu de catéchisme doctrinaire qui lui reste pour la sauvegarde de tous. Elle veut bien pourfendre les terroristes, qu'ils soient condamnés au plus haut de la sanction mais surtout pas qu'on les maintienne à vie dans un enfermement qui deviendrait inhumain pour eux.

Je ne caricature pas. J'ai bien entendu et lu que par exemple ce serait pire que la peine de mort - une mort à petit feu, en quelque sorte, qui rendrait l'existence insupportable ! - ainsi on a aboli celle-ci mais une autre serait encore plus indigne et de fil en aiguille on aboutira à théoriser l'indulgence comme seule démarche acceptable - et que ces malheureux incarcérés avaient cependant "un droit à l'espoir". Pourquoi ? On ne nous le dit pas. Il aurait été pourtant intéressant de connaître l'argumentation de ces bons apôtres qui, face au désespoir absolu, invoquaient un droit à l'espoir pour ceux qui avaient, en gros ou au détail, suscité et engendré le premier (Mediapart).

Et ce serait, pour Me Michel Tubiana, de la "vengeance" alors que vivants - pour ma part je m'en félicite -, ces terroristes seraient seulement, à la hauteur de leurs crimes sans circonstances pour en atténuer l'implacable responsabilité, jusqu'au bout incarcérés.

Qui peut vraiment frémir d'émotion et de compassion face à une telle perspective ?

A droite, l'approche de la primaire, au lieu de susciter un consensus sur cette question, favorise des clivages artificiels qui sont surtout destinés à montrer qu'on ne pense pas tout à fait comme le voisin (Le Figaro, Le Monde).

Rien pourtant qui distingue profondément, sur la perpétuité incompressible, NKM, Guillaume Larrivé, Xavier Bertrand, François Fillon ou Bruno Le Maire parce que cet extrémisme pénitentiaire de bon sens est naturellement adapté à la gravité du terrorisme et au fait que, pour les terroristes, la liberté est une incitation.

Seule Rachida Dati, pour se singulariser à contre-emploi, a évoqué "les fauves ingérables" qu'ils deviendraient, enfermés à vie. Mais elle néglige que libérés trop tôt, les "fauves" seraient lâchés au détriment de la communauté nationale !

Ce débat, à mon sens, pourrait être utilement élargi en rendant moins rare la perpétuité incompressible dans des situations et pour des existences où le passé et le présent feraient inéluctablement craindre pour le futur et douter de la moindre contrition.

Il n'y a pas que le terrorisme qui fait mal.

Puisque le criminel condamné, terroriste ou non, fait trop vite oublier le criminel odieux qu'il a été, qu'il aurait droit à l'espoir et que la perpétuité réelle décidément serait une violence et une injustice à son égard, je voudrais seulement énoncer cette évidence que, face à lui, contre lui, il y a de la peine et de la douleur.

Et qu'elles seront, elles, perpétuelles. Sans espoir de sortie.

Philippe Bilger

Source : Justice au singulier

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