mercredi, 06 avril 2016
Béziers: la "charte des mosquées" de Robert Ménard ne passe pas
Le maire biterrois avait proposé aux mosquées de sa ville une charte de bonne conduite, refusée par la majorité d'entre elles, pour se désolidariser des islamistes.
C'est une ritournelle de l'extrême droite: exiger des Français musulmans qu'ils se "désolidarisent" des islamistes - en les supposant coupables de solidarité a priori. Robert Ménard a toutefois poussé la logique un peu plus loin. Au lendemain des attentats du 13 novembre, le maire de Béziers a dégainé une "charte de bonne conduite" à l'adresse des représentants des cinq mosquées de sa ville, afin de "clarifier (leurs) activités". Le ton est donné.
La signature de ce document aurait vocation à "rassurer l'ensemble des habitants de la ville", comme l'indique le préambule. Voire, à "garantir une pratique respectueuse de la religion", ainsi que l'affirme dans une allocution, jeudi 31 mars, l'élu biterrois proche du FN. Entre-temps, deux salles de prière ont apposé leur griffe sur la charte.
Sauf que les trois autres mosquées de la ville font de la résistance. L'imam de la mosquée Ar-Rahma, située en périphérie, a profité de l'allocution pour rappeler via un post Facebook, ce 1er avril, que ses "fidèles ont voté à la majorité absolue de ne pas signer cette charte" lors d'une "assemblée extraordinaire" le 12 décembre dernier.
Robert Ménard le déplore. Joint par L'Express, il affirme qu'il s'agissait de "faire la différence entre les musulmans qui entendent être des citoyens à part entière, et ceux qui apportent le malheur dans notre pays".
Ailleurs à Béziers, la réception est moins ferme. Ainsi du théologien Cheik Omar Mamoun, qui représente une association cultuelle biterroise, Elhouda. "J'ai trouvé que le contenu de cette charte était conforme aux prescriptions sacrées de l'islam (...) pour moi, ce document est une preuve de la confiance que l'on peut nous accorder", confie-t-il au quotidien Midi Libre.
"Il veut faire du buzz dans notre dos"
"Même si on n'a pas attendu Robert Ménard pour appliquer le contenu de la charte, on ne la signera pas", précise, mardi, un responsable de la mosquée Ar-Rahma à L'Express, évoquant des "pressions" de la mairie, pour hâter leur signature. Peine perdue: "On ne veut pas lui donner l'occasion de casser du sucre ou de faire du buzz sur notre dos. Il ne cherche qu'à se rendre populaire".
Derrière ce rejet en bloc, il pointe l'exaspération des Biterrois de confession musulmane vis-à-vis du maire: "Il fait de nous des bouc-émissaires. Pour lui, Béziers n'est peuplé que de clandestins et de Maghrébins. Il rejette tous les soucis sur nous. On se sent stigmatisés." Ce responsable assure que la mosquée Ar Rahma lutte "fortement" contre la radicalisation.
Pour Ménard, ce retoquage révèle "de l'incompréhension de leur part". Un rejet moins équivoque pour d'autres: sur son site, la Ligue de Défense juive (LDJ), groupuscule juif radical, le juge "inquiétant".
Une charte "irrecevable"
Axée autour de six piliers, la charte des mosquées exhorte les imams biterrois à ne pas "diffuser des discours ou faire la promotion des cheikhs saoudiens (wahabites) ou des Frères musulmans", ou encore à "ne pas promouvoir les textes et livres appelant au jihad et réclamant la peine de mort pour les appostats, les athées ou les homosexuels". "Tous les prêches doivent être faits en Français", réclame la charte. Alors que les prêches du vendredi ont souvent lieu en langue littéraire.
Outre ses implicites, la charte des mosquées tricote les mailles d'une suspicion généralisée. "Ce type de charte laisse supposer que les mosquées seraient des lieux où se développent des discours qui ont des retombées criminelles", observe pour L'Express l'avocat spécialiste en droit public, Jean-Michel Ducomte.
Pour cet expert en laïcité, "cette charte a une dimension irrecevable": elle méconnaît des dispositions de la loi de 1905, l'acte fondateur qui sépare les Eglises de l'Etat. "Le maire ne peut intervenir que si, au sein des édifices religieux, il a été constaté une atteinte à l'ordre public. En revanche, il ne peut pas présumer qu'il y a une atteinte, ni présumer que ce qu'il énonce dans cette charte serait de nature à advenir", ajoute l'expert.
"Il contredit l'article 2 de la loi de 1905"
La République ne reconnaissant aucun culte, "c'est comme si un maire s'arrogeait le droit de définir ce qui doit être dit ou pas au sein de ces édifices. Il contredit l'article 2 de la loi de 1905 en se dotant d'un pouvoir d'encadrement du pouvoir religieux", abonde encore Jean-Michel Ducomte.
Robert Ménard, lui, se trouve "tout à fait dans (son rôle) de maire, d'assurer la paix sociale et la tranquillité". "J'essaie de faire à partir des communes ce que l'Etat a été incapable de faire. C'est-à-dire réunir les conditions d'une bonne entente entre tous", dit-il. Quitte à outrepasser sciemment ses prérogatives.
Paul Conge
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