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vendredi, 08 avril 2016

Alain de Benoist : Évoquer la « mixité sociale » pour ne pas parler de « mixité ethnique »

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Le gouvernement a récemment déclaré vouloir mettre en œuvre un ambitieux programme de « mixité sociale ». Il s’agit, notamment, d’imposer un quota de « logements sociaux » dans toutes les agglomérations. Mais ne s’agit-il pas, surtout, de rendre « invisibles » des populations qui attirent un peu trop les regards ?

Alain de Benoist : La « mixité sociale » dont on nous rebat les oreilles depuis qu’elle est devenue le maître mot des politiques urbaines n’est évidemment qu’un euphémisme pour parler de mixité ethnique. Il s’agit de répartir la population d’origine immigrée pour éviter qu’elle ne se concentre dans certains quartiers (assimilés à des « ghettos »), et de tenter de faire cohabiter un peu partout des gens d’origine différente. En visant à une répartition « plus équilibrée » des populations, la mixité favoriserait la « cohésion sociale ». Ce discours incantatoire, d’autant plus fort qu’il se place dans une perspective universaliste et égalitariste, se heurte en réalité à deux obstacles principaux.

La « concentration », tout d’abord, est-elle mauvaise en soi ? Elle répond, en fait, à un désir d’entre-soi commun à toutes les populations humaines : qui se ressemble s’assemble. Autrefois, il n’y avait aucune mixité sociale : les riches vivaient dans les quartiers riches, les ouvriers dans les quartiers ouvriers, et personne ne s’en plaignait. C’est même le démantèlement des quartiers ouvriers qui a entraîné l’effondrement de la culture ouvrière. Aujourd’hui, les Maliens qui se sont regroupés à Montreuil l’ont fait pour se retrouver entre eux, et n’ont nulle envie d’aller ailleurs. Les catégories supérieures, même sans avoir à s’enfermer dans des « gated communities » (ensembles résidentiels sécurisés), ont déjà les moyens de pratiquer l’évitement résidentiel et scolaire. Les classes populaires, quant à elles, sont avant tout désireuses de ne pas devenir minoritaires dans leurs quartiers. La demande du « droit à la ville » n’est pas une demande de vivre dans un quartier hétérogène, mais la demande de pouvoir choisir librement son lieu de vie. La solidarité redistributive ne passe pas nécessairement par un mélange social imposé.

Toutes les études empiriques dont on dispose montrent, par ailleurs, que dans les quartiers où règne la « mixité sociale » règnent aussi des formes de cloisonnement et de mise à distance, voire de séparatisme, qui reflètent une contradiction profonde entre la valorisation de la mixité et la réalité des modes de vie. Il en résulte, non pas une cohabitation harmonieuse et une résorption des inégalités ou des tensions, mais au contraire un regain de la compétition que se livrent les groupes sociaux pour l’accès aux ressources urbaines. L’erreur est, ici, de croire que la proximité spatiale entraîne automatiquement la proximité sociale. Au lieu de favoriser la production d’un espace commun, la dispersion des populations gênantes peut aussi détruire le lien social, exacerber les marquages et déstabiliser les sociabilités existantes.

On peut aussi se demander si le débat sur la « mixité sociale » ne détourne pas l’attention d’autres formes de paupérisation ou d’exclusion résultant de l’éviction des populations les plus fragiles de leurs zones d’habitation traditionnelles…

Les classes populaires ont, en effet, été doublement expulsées de leur habitat traditionnel, qu’il s’agisse des centres-villes du fait d’une « gentrification » qui a rapidement transformé les paysages urbains au bénéfice des classes aisées et des « bobos », ou des banlieues, que l’arrivée massive des populations immigrées les a poussées à quitter pour s’installer dans les « périphéries », ce qui les condamne le plus souvent à une exclusion culturelle de fait (dont le vote en faveur du FN est l’une des conséquences). Depuis les années 1980, les quartiers de logements sociaux des grandes villes se sont de facto spécialisés dans l’accueil des populations immigrées, avec comme résultat que les non-immigrés tendent désormais à s’exclure de la demande de logements sociaux.

À une époque où près de 90 % des Français vivent dans des villes, cela pose le problème plus général de ce qu’elles doivent devenir ?

Depuis la fin du XIXe siècle, l’évolution de l’urbanisme a étroitement suivi celle du capitalisme (le capital a besoin de s’urbaniser pour mieux se reproduire, rappelait Henri Lefebvre). On est passé successivement du modèle de la ville-atelier, caractéristique de l’ère industrielle, qui existe avant tout comme concentration d’ateliers de production, à la « ville keynésienne » orientée vers la demande, c’est-à-dire fondamentalement dédiée à la consommation et qui va de pair avec l’exode rural (les centres-villes se tertiarisent, l’État investit massivement dans le transport et les logements, le dynamisme urbain se traduit par l’extension des banlieues et l’accession à la propriété privée immobilière), enfin à la « ville néolibérale » actuelle, orientée vers l’offre, qui s’étend à la proche périphérie (« péri-urbanisation »), favorise la circulation et la mobilité, cherche à attirer des entreprises, met l’accent sur les infrastructures favorisant l’innovation, privilégie l’industrie du divertissement, la création de « styles de vie », etc.

La France est marquée depuis des siècles par l’hypertrophie de la région parisienne. La tendance, aujourd’hui, consiste à miser sur le développement d’un nombre très limité de grandes métropoles régionales. Or, comme le fait observer l’urbaniste Pierre Le Vigan, ce n’est pas de mégapoles que la France a besoin, et moins encore d’un nouveau « Grand Paris », mais d’un réseau de villes moyennes (de 50.000 à 100.000 habitants) dont il faudrait renforcer la densité grâce à un urbanisme de proximité pour mettre fin à cette séparation grandissante des lieux de résidence, de loisir et de production qui a abouti à une « mise en morceaux de l’homme moderne ».

propos recueillis par Nicolas Gauthier 

Source : Metamag

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