vendredi, 08 avril 2016
Attentats : les filières djihadistes puisent dans les milieux de la délinquance
Les enquêtes sur les attentats et les filières djihadistes révèlent les liens entre délinquance, djihadisme et terrorisme. Plus de la moitié des mis en cause ont un passé de voyous.
Vols de Bijoux, cambriolages, agression ultra-violente... Reda Kriket, interpellé le 24 mars à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) par la DGSI car soupçonné de vouloir commettre un attentat imminent, fut d'abord un vulgaire voyou, avec un casier judiciaire long comme le bras et large comme ses épaules.
Le terroriste présumé est loin d'être le seul dans ce cas. Quelques mois avant d'assassiner à Paris de jeunes gens attablés à la terrasse de cafés, les frères Abdeslam, fêtards invétérés, dealeurs de cannabis, s'abrutissaient de rap en boîte de nuit en Belgique. Avant de mourir en kamikazes à Bruxelles le 22 mars dernier, les frères El-Bakraoui, eux, se livraient à des braquages. Des attaques de Paris à celle de Bruxelles, les liens incestueux entre délinquance et djihadisme apparaissent récurrents.
Le phénomène n'est jamais apparu de manière aussi flagrante qu'aujourd'hui. Bernard Cazeneuve rappelle régulièrement la porosité entre les deux univers. Selon un décompte du ministère de l'Intérieur, un peu plus de la moitié des personnes mises en cause dans les affaires liées à l'islam radical ont un passé de délinquant. « Souvent de petits méfaits, comme des outrages et rébellion, des infractions routières ou des vols », détaille un magistrat. « Cela reflète la réalité sociologique de certains quartiers », décrypte un ponte du renseignement.
La rigueur islamique s'accommode de petits arrangements
L'itinéraire de Mohamed Merah en offre une illustration presque caricaturale. Le jeune Toulousain, mort sous les balles du Raid en mars 2012 après avoir assassiné sept personnes, dont des enfants juifs, est qualifié d'« islamo-délinquant » dans le réquisitoire du parquet de Paris. Les enquêteurs ont trouvé dans son appartement dévasté deux livres sur le grand banditisme (« Mesrine : la Dernière Cavale », « le Sang des caïds ») et onze ouvrages sur l'islam. Saisissant raccourci d'une vie.
Quoi de plus éloigné pourtant de la doctrine radicale prônée par ces nouvelles recrues que leur vie de « mécréant » ? Qu'adviendrait-il de ces adeptes de la sainte trinité « fumette/vol/oisiveté » dans un monde régi par la charia, la loi islamique ? Pour le sociologue Farhad Khosrokhavar, la contradiction n'est qu'apparente, la mort en « martyr » étant censée absoudre leurs fautes.
A l'inverse, certains islamistes versent tardivement dans la délinquance ou la grivèlerie, à des fins utilitaires. Prêts à la consommation, voitures louées et non restituées servent à financer un départ vers la zone de combat irako-syrienne. Daech n'a d'ailleurs aucun complexe à abolir les barrières entre spiritualité et criminalité. Sa propagande réduit l'aspect doctrinal de l'engagement à sa plus simple expression, au profit d'une héroïsation de l'action. C'est sans doute ce qui a séduit Amedy Coulibaly, petit voyou originaire de Grigny (Essonne), endoctriné en prison. La prison qui reste le lieu de rencontre privilégié entre ces deux milieux.
Au dehors, pour sa logistique propre, chacun sollicite les mêmes fournisseurs, peu regardants sur le profil du client. L'argent du crime, c'est bien connu, n'a pas d'odeur. D'autant que la rigueur islamique s'accommode de petits arrangements. Ainsi, le précepte de « ghanima » légitime-t-il le vol, à condition de le commettre pour le djihad et au préjudice des mécréants. Un blanc-seing pour de petits voyous qui y trouvent la légitimation de leur propre violence. Le psychiatre auprès des tribunaux Daniel Zagury évoque une « dimension alibi » : « Je ne viole plus puisque les femmes m'appartiennent. Je continue à voler mais pour la cause. Tout ce que je faisais pour moi, je le destine désormais au djihad. » C'est pourquoi selon lui, la plupart du temps, les nouveaux djihadistes « ne s'apparentent ni à des fous ni à des soldats, mais plutôt à des psychopathes. Des voyous de Dieu en quelque sorte... »
Éric Pelletier
08:28 | Lien permanent | Commentaires (0)
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