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dimanche, 24 avril 2016

En Allemagne, des réfugiés piègent la fachosphère

Des clips pro-réfugiés viennent taper l’incruste avant la diffusion de vidéos xénophobes sur YouTube

Comment fait-on pour s’informer quand on est un identitaire allemand et qu’on ne fait plus confiance à la « Lügenpresse », ces médias menteurs qui à longueur de journée manipulent l’opinion publique en lui faisant croire que le multiculturalisme est une chance et qui taisent la conversion à l’islam d’Angela Merkel (à moins qu’elle ne soit en fait juive) ?

A l’instar de son homologue française, la fachosphère allemande dispose d’un arsenal de sites et de blogs dits de réinformation, auxquels viennent s’ajouter les réseaux sociaux, où l’on peut suivre son prédicateur nationaliste préféré.

Parmi ces plateformes, YouTube reste l’un des moyens les plus simples pour obtenir son shoot de discours contre la pensée 

  • islamo-gauchiste
  • atlantiste
  • pro-européenne
  • judéo-maçonnique (au choix).

Rien de mieux qu’une petite retransmission d’un discours de Pegida à Dresde pour se détendre, fermer les yeux et se laisser transporter par une recommandation de l’algorithme sur une interview du philosophe islamophobe Peter Feist ou un coup de gueule d’une Allemande révoltée.

« Votre leader est aussi un réfugié »

Mais depuis le 19 avril 2016, une petite surprise vient gâcher le plaisir de ces internautes : des réfugiés viennent taper l’incruste avant la diffusion des vidéos anti-immigration.

Et à moins que les identitaires n’aient installé un bloqueur de publicité, ils se retrouvent forcés d’entendre Arif, un réfugié syrien de 31 ans, leur raconter une anecdote véridique à propos de Lutz Bachmann, le leader de Pegida :

« Tout de suite, vous allez entendre Lutz Bachmann vous dire que tous les réfugiés sont des criminels. Je ne suis jamais allé en prison. Mais Lutz Bachmann, oui. Le leader de Pegida a déjà été condamné pour vol, violence, cambriolage et trafic de drogue. Je n’ai jamais enfreint la loi. Mais nous avons une chose en commun : nous avons tous les deux fui.

J’ai fui la guerre pour me rendre en Allemagne. Et Lutz Bachmann a fui la justice pour se rendre en Afrique du Sud. Votre leader est aussi un réfugié. Cliquez ici [il pointe du doigt un onglet “dépasser les préjugés”] et découvrez plus de choses à propos de nous. »

L’onglet renvoie sur le site de l’action « Search Racism, Find Truth » (« Cherchez le racisme, trouvez la vérité » en français) menée par l’association d’aide aux réfugiés « Flüchtlinge Wilkommen ».

Un trolling publicitaire

Neuf réfugiés (parmi lesquels le YouTubeur star Firas Al Shater) participent à ces clips pour démonter les préjugés et rappeler quelques faits, tels que l’augmentation de la criminalité due à l’explosion des violences contre les centres d’accueil pour réfugiés ou encore que Alexander Gauland, un des fondateurs du parti Alternative für Deutschland, est un migrant économique puisqu’il a fui l’Allemagne de l’Est pour pouvoir étudier à l’Ouest. Selon l’association, une centaine de vidéos seraient accompagnées de ces clips.

Pour arriver à interpeller (et troller) les identitaires allemands sur YouTube, Flüchtlinge Wilkommen a tout simplement réservé des espaces publicitaires bien ciblés, comme l’explique Mareike Geiling, porte-parole de l’organisation :

« Nous avons réservé les mots-clés et les chaînes que personne n’a envie de réserver sur YouTube, comme Pegida, AfD, islamisation, “réfugiés dehors”, etc. Ainsi, on a pu atteindre les personnes qui veulent voir des vidéos haineuses et leur donner l’opportunité de changer leur point de vue, mais aussi, bien sûr, de donner l’occasion aux réfugiés de raconter leurs histoires. »

Cette méthode pose quand même un problème : en achetant un espace publicitaire, l’association finance aussi la diffusion des propos xénophobes. Interrogée sur ce point par la Süddeutsche Zeitung, Mareike Geiling reconnaît qu’il s’agit là d’une contradiction, mais estime aussi que ce peut être un moyen pour que ces chaînes cessent de monétiser leurs vidéos et éviter ainsi de diffuser des publicités pro-réfugiés à leur insu.

Problème pas résolu

En octobre 2015, le site d’information du Spiegel avait surpris plusieurs grandes marques, parmi lesquelles la Lufthansa, les supermarchés Edeka ou encore l’association d’aide aux personnes handicapés Aktion Mensch, en leur annonçant que leurs spots publicitaires précédaient aussi des vidéos d’extrême droite sur YouTube.

Toutes avaient fait part de leur incompréhension, puisque leurs annonces écartaient déjà certains mots-clés xénophobes. En attendant de régler ce problème, les marques avaient alors demandé à YouTube de cesser la diffusion de leurs campagnes publicitaires. La plateforme d’hébergement de vidéos avait alors réagi en rappelant les « strictes règles de publicités sur Youtube » :

« Dans le cas où des contenus sont inappropriés pour nos partenaires publicitaires, nous prenons des mesures pour qu’aucune publicité n’apparaisse sur les vidéos, les canaux ou les pages correspondantes. »

Il faut donc que les vidéos soient considérées comme inappropriées pour que la publicité cesse.

Mais le problème ne semble toujours pas avoir été résolu puisque lors de la rédaction de cette article, des publicités pour la Deutsche Bahn, des opérateurs téléphoniques, un célèbre site d’enchère ou des marques de vêtements précédaient toujours les vidéos postées sur la chaîne de Lutz Bachmann en personne.

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