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jeudi, 28 avril 2016

Un «oui» à la libre circulation avec la Croatie pour amadouer Bruxelles

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La Chambre basse du Parlement a lancé mardi un signal de bonne volonté à l’égard de l’Union européenne et de la voie bilatérale en avalisant l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes à la Croatie. Les relations entre la Suisse et Bruxelles n’en demeurent pas moins toujours très compliquées. 

L’enjeu de l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) à la Croatie, qui est depuis le 1er juillet 2013 membre à part entière de l’Union européenne (UE), va bien au-delà des relations entre la Confédération et l’ex-République yougoslave, ont rappelé plusieurs députés au cours de débats agités mardi à Berne.

En jeu, ni plus ni moins que l’avenir des relations entre la Suisse et l’UE. Berne doit en effet trouver un moyen d’appliquer l’initiative «contre l’immigration de masse» - qui consacre la gestion autonome de l’immigration avec des plafonds et des quotas d’étrangers – tout en respectant l’accord sur la libre circulation des personnes signé avec l’UE.

Des enjeux très importants

La ratification du protocole avec la Croatie conditionne la participation de la Suisse au programme de recherche «Horizon 2020» et au programme d’échange estudiantin «Erasmus+». Tous deux d’importance fondamentale pour la science et l’économie, ils se traduisent par des montants de plusieurs milliards de francs en faveur de la recherche, comme l’ont souligné de nombreux intervenants au cours des débats à la Chambre du peuple. 

La Confédération avait précisément été exclue de ces programmes après avoir suspendu la signature sur l’extension du protocole avec la Croatie. Une décision prise à la suite de la votation populaire sur l’initiative «contre l’immigration de masse», acceptée par une courte majorité du peuple suisse le 9 février 2014.

La Suisse avait ensuite été partiellement réadmise, mais seulement à titre provisoire, jusqu’à fin 2016. En échange, le gouvernement helvétique avait dû s’engager à respecter la libre circulation des personnes, même sans accord, et à verser les 45 millions de francs prévus à titre de contribution au fonds de cohésion de l’UE pour la Croatie.

Mais si elle ne ratifie pas l’extension de l’ALCP avec la Croatie d’ici au 9 février 2017 – à savoir la date limite pour l’application de l’article constitutionnel sur le contrôle de l’immigration, prévue par l’initiative «contre l’immigration de masse» - la Suisse perdrait l’accès à «Horizon 2020». Avec un effet rétroactif au 1er janvier 2017, elle serait reléguée au statut d’Etat tiers et ses chercheurs pourraient se joindre uniquement à des projets en cours, sans financement de l’UE.

Le gouvernement change d’avis

C’est précisément pour éviter ce scénario que le gouvernement suisse a embrayé la vitesse supérieure. Le 4 mars, soit le jour même au cours duquel la Suisse a signé le protocole sur l’extension de l’ALCP à la Croatie, il l’a transmis au Parlement afin d’obtenir le feu vert à sa ratification. A son tour, la Chambre du peuple n’a pas perdu son temps. Elle l’a examiné et a donné son accord mardi 26 avril à une nette majorité (122 voix pour, 64 contre).

Seuls les députés du groupe UDC (qui inclut les membres de la Lega dei Ticinesi et du Mouvement citoyens romand) s’y sont opposés. A leurs yeux, le protocole sur la Croatie viole l’article constitutionnel sur le contrôle de l’immigration, qui interdit entre autres de conclure des traités internationaux qui vont à l’encontre de l’article en question.

C’était également l’interprétation faite il y a deux ans par le gouvernement suisse, qui avait donc décidé de suspendre l’accord. Mais plusieurs avis juridiques ont entretemps abouti à une conclusion différente. Le protocole relatif à la Croatie ne doit pas être considéré comme un nouveau traité mais comme l’application à un nouveau pays membre d’un accord existant entre Berne et Bruxelles. Cela conformément à ce qui a été fait dans les phases précédentes de l’élargissement de l’UE.

Il n’y aucune raison pour la Suisse de discriminer la Croatie, ont également relevé plusieurs parlementaires. En plus de s’appuyer sur des avis d’experts de droit constitutionnel reconnus, l’exécutif helvétique a motivé son changement d'avis par la disponibilité montrée par Bruxelles de chercher une solution consensuelle à cette impasse

Le gouvernement suisse voit une marge de manœuvre dans l’interprétation de la clause de sauvegarde prévue par l’ALCP, qui permettrait de limiter l’immigration à certaines conditions. La solution pour une libre circulation des personnes compatible avec l’article sur le contrôle de l’immigration «n’existe pas encore, mais le protocole sur la Croatie ne sera pas ratifié jusqu’à ce qu’elle ne soit trouvée», a assuré la ministre de Justice et Police Simonetta Sommaruga.

Comme on le sait, Bruxelles n’a pas l’intention de faire des concessions à la Suisse avant que la Grande-Bretagne ne se prononce sur son avenir européen. D’ici au 23 juin, date de la votation sur le «Brexit», il n’y aura pas de négociations entre la Suisse et l’UE. Mais en coulisses, le travail se poursuit, a souligné la ministre socialiste, qui fait preuve d’optimisme dans ce dossier.

Aux yeux du gouvernement et de la majorité de la Chambre du peuple, l’accord de principe à la ratification du protocole sur la Croatie est la promesse indispensable pour trouver une solution avec l’UE. Pour qu’il soit prêt à temps, il est nécessaire d’avancer à un rythme soutenu, estiment les autorités helvétiques.

Des propositions à la pelle

Le dossier passe à la Chambre des cantons. Selon le souhait du Conseil fédéral et des députés, les sénateurs devraient donner leur feu vert en juin. Cela permettrait de respecter les délais pour le lancement d’un éventuel référendum afin d’être en mesure de ratifier le protocole début 2017.

Il n’est cependant pas certain que ce programme accéléré soit respecté. Au-travers de déclarations faites aux médias, certains membres de la commission préparatoire de la Chambre haute ont en effet indiqué qu’ils ne se prononceraient pas sur le protocole concernant la Croatie avant que ne soient clarifiées toutes les questions fondamentales ouvertes avec l’UE et que la solution concernant la limitation de la libre circulation des personnes ne soit sur la table.

Il n’est donc pas exclu que la commission ne soumette en octobre seulement le dossier à la Chambre des cantons. Il s’agit pour l’heure uniquement de spéculations. Dans l’intervalle, d’autres variantes pourraient faire leur chemin. L’une d’entre elles, développée par un groupe de travail de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, sous la direction du professeur Michael Ambühl et sur mandat du canton du Tessin, prévoit une clause de sauvegarde régionale ou sectorielle, actionnable en fonction du taux de chômage en Suisse. Ce modèle suscite de l’intérêt dans d’autres régions du pays.

D’autres experts réfléchissent à une contre-proposition à l’initiative populaire «Sortons de l’impasse!», également connue sous l’acronyme allemand Rasa, et qui demande d’abroger l’article constitutionnel sur le contrôle de l’immigration. Présenté par le Forum de politique étrangère (foraus), ce contre-projet prévoit de lier l’autorisation de s’établir en Suisse à certaines conditions, comme celle d’avoir un permis un travail ou de démontrer sa capacité à gagner suffisamment d’argent pour assurer son autosuffisance. La Suisse pourrait ainsi gérer l’immigration de manière autonome, sans entraver l’accord sur la libre circulation.

Ce ne sont donc pas les idées qui manquent. Reste à voir si la voie pour une solution concertée entre Berne et Bruxelles se simplifiera ou au contraire se compliquera dans les mois à venir.   

Sonia Fenazzi

Source : Swissinfo

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