lundi, 30 mai 2016
Les baïonnettes de Sainte-Sophie
Le 29 mai 1453, il y a 563 ans jour pour jour, les Ottomans entraient dans Constantinople.
C’était la fin de l’empire byzantin, prolongement oriental de l’empire romain.
On a beaucoup parlé de la passivité des Occidentaux face à l’avancée des Ottomans. Il est vrai qu’ils avaient tant à faire de leur côté : la France et l’Angleterre, notamment, étaient toujours en guerre. Mais sait-on que le pape Nicolas V envoya son légat, le cardinal Isidore de Kiev avec 200 archers à Constantinople à l’automne 1452, que le 12 décembre de la même année l’Union des Eglises d’Orient et d’Occident fut proclamée dans la basilique Sainte-Sophie ? Un peu tard, un peu timide, certes…
Cinq mois plus tard, les Turcs de Mehmet II le Conquérant pénètrent dans Constantinople. Le soleil au zénith, les rues se transforment en ruisseaux de sang. Les portes de bronze de la basilique sont enfoncées. Les prêtres qui y célèbrent la messe sont massacrés sur place avec les fidèles. Ne sont épargnés que ceux, femmes ou enfants, dignes de satisfaire la troupe. A l’heure vespérale, le sultan entre dans l’église de la Sagesse. Un imam monte en chaire pour proclamer que le nom d’Allah est grand et miséricordieux. Sainte-Sophie devenait une mosquée. Elle le restera jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Mustapha Kemal qui, en 1934, eut la sagesse laïque de transformer l’édifice en musée.
La Turquie laïque de l’Atatürk semble désormais révolue. Ainsi, en 2013, le vice-premier ministre turc, Bülent Arinç exprima le souhait que l’édifice redevienne une mosquée. Il déclara même : « Nous regardons une Sainte-Sophie triste… J’espère que nous la reverrons sourire bientôt ». Le rédacteur en chef du journal grec Apoyevmatini d’Istanbul, Mihail Vasiliadis, porte-parole de la petite communauté grecque, répliqua alors : « Certains voient une Sainte-Sophie triste depuis plus de 500 ans et voudraient bien qu’elle redevienne une église ». Mais il ajouta, sans doute avec une sagesse toute chrétienne : « Pour le bien des relations entre les deux communautés, il est préférable que cet édifice reste un symbole de cohabitation ».
Et puis le 28 mai, une manifestation a rassemblé plusieurs milliers de musulmans pour demander que Sainte-Sophie redevienne une mosquée. Un imam venu spécialement de La Mecque a même présidé une prière devant le monument. La foule a crié : « Que les chaînes se brisent, que Sainte-Sophie s’ouvre ».
Ici, plus de prêtres à massacrer, de femmes à violer, d’enfants à traîner en esclavage, comme ce fut le cas en 1453 ou comme ce l’est encore à quelques centaines de kilomètres de là, en Syrie. Bien évidemment, la date de la manifestation a été choisie à dessein. Il ne semble pas que l’on pratique la repentance à outrance en ce pays. C’est sa force. D’ailleurs, plus d’un million de personnes sont attendues à Istanbul pour une reconstitution historique géante organisée par les autorités. Dans la France de Chirac, en 2005, on rasa les murs pour commémorer le soleil d’Austerlitz !
On imagine sans difficulté que la main du Grand Turc est derrière tout cela, rêvant probablement d’ajouter à sa collection de baïonnettes les minarets de Sainte-Sophie.
Mais n’ayons crainte : l’Europe, cette fois-ci, ne sera pas passive. Elle fait déjà mieux. Plus de légat, le pape faisant le job lui-même en portant secours aux mahométans opprimés par d’autres mahométans. La chancelière de l’empire berlino-bruxellois y va à coups de milliards d’euros pour aider le sultan. Quant à celui qui tient lieu d’héritier des rois de France, il se perd en débats byzantins sur la façon de couper, non pas les têtes, mais les cheveux en quatre d’une loi sans queue ni tête.
Georges Michel
13:44 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.