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vendredi, 03 juin 2016

Géraldine Smith : « On ne vit pas ensemble, on coexiste – et pas toujours pacifiquement »

Géraldine Smith est journaliste. Elle est l’auteur de Rue Jean-Pierre Timbaud, Une vie de famille entre bobos et barbus. Elle raconte à Boulevard Voltaire qu’on a beau se bercer d’illusions sur le vivre ensemble, celui-ci n’existe pas. Tout au plus une cohabitation qui « n’a rien de sympa »…

Votre rêve multiculturel n’a pas fonctionné, c’est un peu la conclusion de votre livre. Quel a été votre déclic ?

Qui dit rêve dit réveil… Pour moi, il se produit quand, devant l’école de mes enfants qui jouxte la mosquée de la rue Jean-Pierre-Timbaud, un homme en djellaba m’insulte parce que je suis en survêtement en train de boire un Coca. Du coup, je cesse de nier l’évidence. Vivre au quotidien là où l’islam radical tient le haut du pavé n’a rien de « sympa ». Par la suite, je m’aperçois que nous sommes nombreux dans la rue à partager ce sentiment, sans nous l’avouer, surtout parmi les moins bien lotis, qui ne peuvent pas « racheter » leur liberté en partant ailleurs, et parmi les jeunes, qui se font aborder pour se joindre à la prière ou reçoivent des vidéos et des messages sur Facebook. Mais c’est vrai aussi pour les musulmans modérés, qui sont en fait les plus exposés à la pression des islamistes dans notre espace commun. Je raconte l’histoire de ce pizzaiolo tunisien dont la femme, de guerre lasse, se voile mais qui finit par baisser rideau et par déménager quand on lui enjoint de ne vendre que du « Coca arabe ». Bref, dans une société multiculturelle, le respect doit être mutuel — et non pas à sens unique. Il faut y veiller quand on croit, comme c’est toujours mon cas, à la possibilité d’une vraie convivialité.

On évoque souvent l’échec de notre modèle français d’intégration. Diriez-vous qu’il existe également un manque de volonté de s’intégrer ?

D’abord, ce n’est pas comme si d’autres « modèles », ailleurs, seraient de franches réussites. Moi qui vis aux États-Unis, je vois bien aussi les limites d’un communautarisme « positivé » qui, dans le souci de protéger, érige ses propres barrières à l’intégration. Donc, ce n’est pas facile, nulle part. Ensuite, tout immigré, y compris moi-même en Amérique, se pose constamment la question de ce qui est « à prendre ou à laisser ». C’est normal et, d’ailleurs, c’est toute la différence entre l’assimilation, qui vise l’absorption pure et simple, et l’intégration, qui vise un nouvel ensemble « intégral » dans lequel tout le monde se retrouve.

En France comme ailleurs, l’immense majorité des immigrés ne demandent qu’à s’intégrer dans ce sens, c’est-à-dire en négociant, parfois pied à pied, l’intimité d’une langue maternelle importée, le respect dû aux parents, la longueur des jupes, etc. Dans mon esprit, le modèle français ne demande pas à tout le monde de devenir un « Français moyen » – un être introuvable, inexistant, dans une société comme la nôtre, diverse à tous points de vue. En revanche, il y a un contrat social à respecter, qu’il s’agisse du « rêve américain » inscrit dans leur Constitution ou de nos principes républicains que sont la liberté, l’égalité ou, encore, la laïcité.

C’est là où le bât blesse avec une minorité qui cherche à imposer ses règles, à dicter sa loi divine. Il serait naïf de ne pas voir qu’il s’agit d’un défi et que la « tolérance », au sens médical de ce qui est supportable, n’est pas la bonne façon de le relever. Bien sûr, la crise économique n’aide pas en écrasant la marge de manœuvre. Quand, pendant trop longtemps, l’espoir d’ascension est broyé, de jeunes Français se réinventent facilement une patrie originelle ou s’enferment dans leur minaret pour lancer des foudres. Ils rejettent la France et sont rejetés par elle.

On parle sans cesse de « vivre ensemble ». L’avez-vous constaté concrètement dans votre quartier ?

Non, rue Jean-Pierre-Timbaud, on ne vit pas ensemble, on coexiste – et pas toujours pacifiquement. Les bobos y côtoient les barbus, sans les rencontrer. Les bobos restent entre eux, dans leurs bars, leurs restaurants. Quand ils habitent la rue, ils scolarisent leurs enfants au plus tard à l’entrée en 6e dans d’autres quartiers. Ils se trouvent « cool » et ouverts, sans se rendre compte qu’ils poussent les plus pauvres vers les banlieues du fait de la hausse des loyers et que leur multiculturalisme de façade fait le jeu des barbus. Mais ce n’est pas parce que les bobos s’aveuglent et que les barbus livrent une guerre sainte à tout ce qui ne leur ressemble pas qu’il faut abandonner la poursuite d’un meilleur « vivre ensemble ». Au contraire !

Votre livre est écrit à la première personne, mais vous dites à un moment « On ferme les yeux pour mieux ne rien entendre » : avez-vous l’impression que cet aveuglement est collectif en France ?

Bien sûr, j’ai écrit ce livre parce que je crois que d’autres, comme moi auparavant, se rassurent en se répétant que « c’est quand même calme ici » et que « ça va aller ». Mais mon but n’est pas d’ajouter un anathème – l’aveuglement collectif — à tous ceux qui empêchent déjà un débat lucide. Je voudrais qu’on accepte de regarder les problèmes d’intégration en face tout en sachant qu’on ne les verra jamais tous de la même façon, évidemment. Mais on doit pouvoir les appeler par leur nom sans être excommunié sur la place publique comme « réac » voire « raciste » ou, en face, comme « communautariste » ou « islamo-gauchiste ». Je décris le plus concrètement possible, au jour le jour de ma vie familiale, des problèmes de cohabitation rue Jean-Pierre-Timbaud, des jeunes qui « se prennent pour leur origine » aux classes vertes qui sont supprimées parce que des parents musulmans s’opposent à la mixité entre filles et garçons en voyage. Voilà, commençons par là. Au lieu de nous empoigner au nom de grands principes, reprenons le problème par le bas pour trouver des solutions pragmatiques, vivables. La France d’aujourd’hui est diverse, de toute origine et de toute religion. C’est la seule certitude qui s’impose à tous.

Géraldine Smith

Source : Boulevard Voltaire

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