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vendredi, 24 juin 2016

Au pays de Galles, un sentiment d’abandon

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Après la fermeture des mines et d’usines, des Gallois souffrent du chômage, accusent Bruxelles et se méfient des immigrés.

Ici, le charbon et l’acier sont nulle part et partout. Les dernières mines et aciéries des valleys du sud du pays de Galles ont fermé au cours de la décennie passée. Les déchets miniers ont disparu des collines. Chacun raconte avec le même étonnement le passage du noir au vert de ces vallées cafardeuses aux reliefs qui s’étirent du nord au sud - les locaux les appellent les «fingers» («les doigts»). Elles ont retrouvé leurs couleurs d’origine, pré-industrialisation. Mais tant d’indices rappellent cet encombrant passé industriel… Ici, des statues et mémoriaux à la gloire des travailleurs du charbon, comme à Six Bells, où un coup de grisou coûta la vie à 45 mineurs en 1960. Là, une tour d’horloge d’époque indique où se situait une aciérie disparue. Jusqu’à la toponymie, de nombreuses villes étant sorties de terre pour loger la main-d’œuvre : Ashvale («vallon de cendre»), Blackwood («bois noir»), Blackpool («mare noire»)…

La région ne s’est jamais vraiment relevée de la fermeture des mines imposée par Thatcher dans les années 80. Dans le Blaenau Gwent, un des boroughsles plus pauvres du Royaume-Uni, le chômage a atteint jusqu’à 15 % ces dernières années. «Le problème, c’est surtout le type d’emplois : dans les valleys, il y a énormément de boulots à temps partiel, pour environ un actif sur cinq», précise Roger Scully, professeur de sciences politiques à l’Université de Cardiff. Selon lui, «si Cardiff votera sûrement pour le "remain", une bonne partie des valleys choisira le "leave"».

«Pas envie de me voiler»

Dans ces terres de gauche qui ont vu naître Neil Kinnock, ancien chef du Labour, la désindustrialisation et l’absence d’opportunités ont semé de drôles de graines. De nombreux panneaux «Leave» ont aujourd’hui poussé sur les arbres, et le parti europhobe et nationaliste Ukip a remporté en mai 7 sièges sur 60 lors des élections pour le Parlement gallois. Dans ce paysage de feutre vert, comme un tapis de billard posé sur les collines, on traverse des villages de maisons mitoyennes aux pierres sombres, renforçant la sévérité du décor.

A Ashvale, impossible de rater la maison de Lisa, dont les façades sont couvertes de panneaux en faveur du leave et de bannières «Nous voulons récupérer notre pays». «On s’en sortirait beaucoup mieux en dehors de l’UE, affirme cette cuisinière de 46 ans, mère de six enfants. Il n’y a pas assez de boulot et de plus en plus d’immigrés viennent ici. Avec l’UE, on n’est plus capables de contrôler l’immigration. Je n’ai rien contre le multiculturalisme, mais je veux pouvoir continuer de m’habiller comme je veux, je n’ai pas envie de devoir me voiler ! Beaucoup d’industries ont été délocalisées, il n’y a plus grand-chose pour les Britanniques.»

A moins de 5 kilomètres à l’est, se dresse Ebbw Vale, la plus grande ville du Blaenau Gwent, qui compte moins de 20 000 habitants. En 1930, la plus grande aciérie d’Europe s’étendait là, au creux de la vallée. Nationalisée dans les années 60, elle employait plus de 14 000 personnes. Elle a fermé en 2002.

Dans son resto de fish and chips, Remo, petit-fils d’immigrés italiens bientôt sexagénaire, se souvient des «magasins remplis, des nombreux travailleurs. A cette heure-ci, ça grouillait de monde !» Ce jour-là, à 16 heures, les rues sont quasiment désertes, presque tous les commerces sont déjà fermés. Remo ne sait pas encore ce qu’il va voter : «Les gens sont en colère, ils ne voient rien venir.» Partout à Ebbw Vale, comme ailleurs dans la région, on aperçoit pourtant de discrets drapeaux européens. L’UE y a subventionné de nombreux logements, des programmes de régénération urbaine, d’amélioration des transports… Selon l’Université de Cardiff, le pays de Galles a bénéficié en 2014 de 245 millions de livres (320 millions d’euros) en provenance de l’UE.

Quand on lui demande pourquoi il est sûr de voter «out», Paul répond seulement :«Les Polonais.» Assis dans l’un de ces pubs standardisés - moquette épaisse, bières pression et meubles en bois clair -, le quadra d’Ebbw Vale exprime ses doléances : «Pas de boulot, trop de Polonais.» Près d’un million d’Européens de l’Est ont immigré au Royaume-Uni depuis 2004, et sont montrés du doigt. «Ces jours-ci, on entend vraiment des choses moches, sur l’immigration, les étrangers… Mais honnêtement, les gens du coin disent ça histoire de dire quelque chose : ils répètent ce qu’ils lisent dans les tabloïds de Murdoch.» Julian Meek, 43 ans, est l’unique journaliste de The Dynamic, un titre gratuit tiré à 6 000 exemplaires. Depuis son local microscopique d’Abertillery, il prêche la bonne parole des pro-remain. «Thank EU very much» est le titre de une du numéro actuel. «On essaye de montrer les choses positives de l’UE dans la région», avance-t-il, yeux clairs et barbe fournie. Dans cette ville de 11 000 habitants à flanc de colline, «tout le monde me connaît mais je suis peut-être vu comme l’excentrique qu’on tolère», rigole-t-il. «Ici, la gauche est depuis si longtemps au pouvoir qu’elle est devenue l’orthodoxie. Ce qui est incroyable, c’est que les gens reprochent aujourd’hui à la gauche des choses qui ont été imposées par Thatcher. Et sont nostalgiques d’un passé glorieux qui n’a jamais vraiment existé : la vie a toujours été dure ici. Ils sont frustrés, et c’est compréhensible : depuis la fin du charbon, il y a une forme de désespoir. Bruxelles est devenu le coupable idéal.»

«On s’en sortira très bien seuls»

Sur la façade en pierre de son établissement, à Blackwood, Paul Taylor a fait installer des grands «out» écrits en bleu roi et étoiles jaunes. «Comme sur le drapeau européen !» sourit le propriétaire du Rock Tavern. «Beaucoup de gens s’arrêtent pour me dire qu’ils sont d’accord avec moi. Le soutien en faveur du "leave" est phénoménal ici.» A 64 ans, Paul ne veut «pas être contrôlé par des bureaucrates à Bruxelles qui ne sont ni élus ni tenus responsables de leurs actes». N’a-t-il pas peur d’un pays isolé ? «Il n’y a vraiment pas de quoi. Nous sommes la 5e économie mondiale, on s’en sortira très bien seuls. Avec l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE, j’ai été forcé à un mariage arrangé. Aujourd’hui, on me donne enfin l’occasion de divorcer.»

Isabelle Hanne

Source : Libération

 

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