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mercredi, 29 juin 2016

La filière turque avait ses entrées à la préfecture

Le tribunal juge deux affaires de trafic de titres de séjour. À la barre, un fonctionnaire imprudent et un influent porte-parole de la communauté turque.

Tribunal correctionnel de Blois

Depuis hier matin, une douzaine de prévenus installés en arc de cercle face au tribunal comparaissent pour répondre de leur participation dans deux trafics de titres de séjour au sein de la communauté turque. Le premier concerne la période 2006-2009 et rayonnait entre Blois, Romorantin et Vierzon. Le second a démarré en 2010 et a été interrompu fin 2012 par l'action de la police et de la justice.

Le principal acteur de ces deux affaires s'appelle Ali Izmirlioglu. Plus connu sous le nom d'Ali Digis, cet homme d'une soixantaine d'années fut longtemps le représentant influent de sa communauté auprès des autorités. Il était aussi en ligne directe avec le consulat général de Turquie. Les enquêteurs ont commencé à le surveiller de plus près quand la police d'Istanbul a signalé des cas de ressortissants turcs qui tentaient d'embarquer pour la France en possession de récépissés émis par la préfecture du Loir-et-Cher. Ces autorisations de séjour provisoire ne permettaient pas de voyager ou de travailler sur le territoire français mais elles évitaient à ces candidats à l'immigration d'être pris pour des clandestins une fois arrivés à destination.


Ali Digis est accusé de leur avoir fourni de façon irrégulière ce précieux sésame en constituant des dossiers à l'aide d'attestations falsifiées et moyennant de fortes sommes d'argent.

" J'avais mes entrées à la préfecture et auprès de nombreux élus "

En novembre 2009, lorsque les enquêteurs ont perquisitionné son domicile richement meublé à Vierzon, ils ont saisi pour 100.000 euros de bijoux et de montres de marque. Le prévenu vivait alors de sa modeste retraite de chauffeur de car. « Il s'agissait de cadeaux offerts lors de fêtes de famille », justifie Ali Digis. L'homme explique que son rôle consistait à aider ses compatriotes dans leurs démarches administratives et sociales. Bénévolement. Hier, il a pour la première fois reconnu que pour constituer un dossier, il prenait 3.000 euros afin de régler ses frais de représentation et de déplacement. « C'est une évolution », note la présidente, Maggy Deligeon.


À la tête de cette association d'entraide depuis 1995, le sexagénaire était respecté comme un chef. Il était aussi l'interlocuteur incontournable des pouvoirs publics. « J'avais mes entrées à la préfecture et auprès de nombreux élus », a confirmé hier l'ancien chauffeur de car qui, à l'époque, déjeunait régulièrement avec des maires et des membres hauts placés du corps préfectoral.


L'ancien chef adjoint du service étrangers de la préfecture en sait quelque chose. Cet homme de 57 ans est lui aussi jugé dans cette affaire. Il est intervenu pour accélérer ou débloquer des situations, si besoin en appelant directement une mairie qui rechignait à remettre le titre demandé. L'homme n'est pas un corrompu : il n'a jamais reçu d'argent ou de cadeau en contrepartie. « J'agissais avec l'aval de ma hiérarchie. M. Digis était un intermédiaire de la communauté turque qui est très importante dans la région, elle pèse dans l'économie locale. » La présidente lui indique qu'une note des Renseignements généraux présentait Ali Digis comme un artisan de l'immigration clandestine. « Seul le cabinet du préfet était destinataire de ces informations », répond le fonctionnaire. Sauf que la plupart des agents du service des étrangers interrogés ont exprimé leurs doutes sur la probité d'Ali Digis. « Je me suis sans doute montré négligent mais je ne suis pas le seul. Je pensais que M. Digis agissait à des fins politiques et non pour gagner de l'argent. »


Selon lui, Ali Digis était aussi un indicateur qui aidait la préfecture à réaliser ses objectifs de reconduites à la frontière en localisant des compatriotes en situation irrégulière. Certains auraient pu revenir sur le territoire grâce à son organisation illégale.


Le fonctionnaire a, depuis sa mise en examen, changé de service. L'inspection générale de l'administration a préconisé un blâme à son encontre. « Compliqué de sanctionner un fusible ! » a lâché son avocat, Me Jacques Sieklucki.


Le procès reprend ce matin avec le réquisitoire et les plaidoiries.

Lionel Oger
 

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