jeudi, 30 juin 2016
“Dans le foot, passeport et nationalité sportive sont de plus en plus détachés”
Depuis une vingtaine d’années, l’équipe de France de football cristallise des débats n’ayant aucun rapport avec ses performances sportives. En 1998, on encense une équipe idéalisée sous le label « black blanc beur », en ce qu’elle serait le miroir d’une société modèle. Le Front national fustige, en revanche, son métissage. Dès lors, le football devient objet de discussion sur le terrain politique, dont il était jusqu’alors absent. Auteur de L’Histoire du football publié chez Perrin, Paul Dietschy enseigne l’Histoire contemporaine, à l’université de Franche Comté. Dans Football et immigration, un texte publié sur le site du musée national de l’histoire de l’immigration, il retrace l’apport des joueurs étrangers ou issus de l’immigration à l’équipe de France.
Le 1er juin dernier, dans le quotidien espagnol Marca, le joueur Karim Benzema accusait Didier Deschamps d’avoir « cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en l’écartant de la sélection nationale pour l’Euro. Qu’en pensez-vous ?
Le football est un espace qui n’est pas affranchi du racisme ordinaire. Dans ce cas de figure, il me semble pourtant que la réaction de Karim Benzema relève plutôt du dépit. Il s’agit d’une personnalité publique, mise en examen pour quelque chose de grave [le joueur est mis en cause dans une affaire de chantage dit de la sextape, NDRL]. Dans de telles circonstances, la règle est qu’elle se mette en retrait. Le rôle du sélectionneur est de composer son équipe avec la meilleure combinaison de joueurs possible. Je ne pense pas que des questions de cet ordre rentrent en ligne de compte.
La sélection française actuelle serait une des plus métissées de l’Euro.
Cela est vrai sur la durée. En ce sens, la France est un pays pionnier. La sélection française reflète historiquement les vagues de l’immigration. Dès les années 30, des joueurs venus des colonies intègrent l’équipe nationale. Ils sont certes considérés avec beaucoup de paternalisme et de xénophobie. Les années 50 voient l’arrivée des enfants des migrants. Ils sont d’abord polonais, puis portugais, espagnols ou italiens. L’équipe de France représente alors les classes populaires issues des différentes vagues d’immigration.
Depuis les années 2000, le champ des possibles est plus ouvert pour les joueurs. Ils peuvent circuler sur la planète football. Vous dites que le joueur de football incarne une élite mondialisée, on est très loin d’un lien patriotique entre l’équipe nationale et les joueurs.
Etre sélectionné dans une équipe nationale sanctionne la reconnaissance d’une excellence sportive. Pour les joueurs, c’est se voir offrir la possibilité de jouer dans une compétition internationale. On observe de plus en plus un détachement entre la nationalité sur le passeport, et la nationalité sportive. Depuis 1995 et l’arrêt Bosman de la Cour de justice européenne, la circulation des joueurs est libre. Plus de cinq cents français jouent ainsi à l’étranger.
Aujourd’hui, les footballeurs sont semblables aux jeunes sortant des grandes écoles. Leur horizon naturel est le monde, l’Europe. Le lien au territoire est plus faible. Ils sont à la recherche d’opportunités professionnelles alors que l’on voudrait croire qu'ils sont animés d’un mobile patriotique. C’est loin d’être le cas. Et pourquoi en serait-il autrement ? L’Euro ou la Coupe du monde ne sont-ils pas des moments où l’on commercialise la nation, où on en fait un produit de supermarché ? Il suffit de voir ce que l’on vend dans les rayonnages ! Les drapeaux permettent de faire la promotion des marchandises. De la même manière, le choix du joueur pour telle ou telle équipe nationale relève des opportunités professionnelles qui lui sont offertes, avant d’être un choix patriotique.
Depuis quand ces débats sur la nationalité, l’identité, le métissage sont-ils entrés sur le terrain du football ?
Le tournant date de 1998. Lors des victoires de l’équipe emmenée par Michel Platini dans les années 80, les politiques ne s’intéressaient pas au football. Ils le considéraient comme un sport des classes populaires. En 1998, la victoire est une divine surprise. Et autour de l’équipe se développe tout un discours dans la presse française et internationale. C’était la période de la cohabitation, la situation économique était plutôt favorable, un vent d’optimisme soufflait. La France est alors présentée comme un pays idéal. Beaucoup d’attentes sont placées dans cette équipe. Elle suscite de la joie et de la convivialité. Une nouvelle génération d’hommes politiques s’intéresse au football, et en parle. Charles Pasqua évoque même la possibilité de régulariser les sans papiers pour service rendu à la nation.
Le côté « black blanc beur » de l’équipe était exagéré. Zinedine Zidane était un peu une exception. L’équipe représentait plutôt la France des régions, des Dom Tom. Celle d’aujourd’hui reflète bien plus les classes populaires issues de l’immigration.
En 2010, on a reproché aux joueurs de ne pas chanter la Marseillaise. On s’est offusqué que l’hymne soit sifflé dans les stades.
C’est quelque chose de récurrent. On cherche à débusquer ceux qui ne seraient pas de vrais Français, car issus de l’immigration. Cela est lié au débat actuel sur l’identité. On est bien mal placé pour leur reprocher de ne pas chanter la Marseillaise. Elle est à peine enseignée dans les écoles, et on a la mémoire courte. Dans les années 70 et 80, le « grand » Michel Platini ne la chantait jamais. De plus, traditionnellement, dans les stades de football, on s’oppose à ce qui est institutionnel. Siffler l’hymne est aussi un moyen de déstabiliser l’adversaire.
Quelle est la situation dans les pays voisins ?
En 1979, la Grande Bretagne sélectionne un premier footballeur noir. En Italie, en vertu des lois sur l’« italiannité » datant d’avant la Première Guerre mondiale et renforcée par Mussolini, on va recruter des descendants d’Italiens installés en Amérique du Sud. Mais le phénomène du métissage de l’équipe émerge en 1990-2000. En Italie où j’étais récemment, les débats autour de la composition de l’équipe nationale, formée notamment de joueurs d’origine brésilienne, sont nombreux. Comme pour compenser, le sélectionneur Antonio Conte encourage les Italiens à porter les couleurs de l’Azzuro – le nom de la sélection italienne. Il « surjoue » le patriotisme.
L’Allemagne vit pour sa part une lune de miel avec son équipe. C’est un peu l’équivalent du phénomène « black blanc beur » de 1998 en France. Ce groupe offre une vision idéalisée de la société allemande où la réalité est très contrastée. Des mouvements d’extrême droite sont actifs mais, dans le même temps, la situation économique n’est pas si mauvaise, les signaux sont plutôt au vert, et Angela Merkel a pris des positions courageuses face à la question des réfugiés. En fait, cette question du métissage dans l’équipe nationale ne se pose qu’aux vaincus.
05:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
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